Guerre secrète
Erreur de Washington et de Moscou
Thierry Meyssan
Mercredi 1er juin 2016
Washington et Moscou collaborent pour
développer la force militaire des Kurdes
de Syrie prétendument contre Daesh, en
réalité contre le président Erdoğan dont
les deux Grands veulent se débarrasser.
Mais l’apprenti dictateur d’Ankara se
prépare à renverser la table : il a
commencé à changer la population à la
frontière syrienne de sorte de prendre
les Kurdes turcs en tenaille, et
s’apprête à utiliser son espion kurde
syrien, Salih Muslim —armé par les
États-Unis et la Russie—, pour créer un
Kurdistan en Syrie et y expulser les
Kurdes turcs.
Les États-Unis et la
Russie se sont entendus, en décembre
2015, pour faire tomber le président
Erdoğan.
Côté russe, c’est le soutien des amis
d’Erdoğan —les fondations IHH et
İmkander— aux jihadistes du Caucase de
1995 à la fin des années 2000, puis
aujourd’hui le soutien de Recep Tayyip
Erdoğan en personne à Daesh, et enfin la
destruction programmée d’un Soukhoï
au-dessus de la Syrie en novembre
dernier qui ont déclenché la colère.
Sachant que les empires turco-mongols
ont été des ennemis historiques de la
Russie, Moscou ne se préoccupe pas de
l’avenir du pays, uniquement d’en faire
tomber le chef quel qu’en soit le prix.
Côté états-unien, on distingue au
contraire la Turquie, État allié membre
de l’Otan, du président Erdoğan, un
autocrate qui cède à la folie des
grandeurs et foule aux pieds les idéaux
occidentaux. Le renverser est une
nécessité à la fois pour pouvoir
continuer à présenter l’Otan comme le
défenseur des démocraties, et parce
qu’aucun leader ne doit défier
Washington sans être sanctionné. La CIA
lui a déjà fait perdre les élections de
juin en créant de toute pièces le HDP,
mais a été dépassée par le trucage
massif des élections de septembre.
Barack Obama et Vladimir Poutine se
sont donc accordés pour soutenir les
Kurdes syriens contre Daesh, en pensant
qu’à terme ils pourraient représenter
une puissance militaire capable de
perturber le jeu de l’apprenti dictateur
d’Ankara. De fait, Recep Tayyip Erdoğan
a condamné avec véhémence le soutien du
Pentagone au YPG et les voyages en Syrie
du commandant de la Coalition anti-Daesh,
Brett McGurk, et du patron du CentCom,
le général Joseph Votel. De fait, les
services secrets turcs (le MIT) ont
augmenté leur aide à Daesh pour qu’il
résiste à cette offensive.
Mais il semble que la Maison-Blanche
et le Kremlin se soient trompés sur leur
adversaire. Loin d’estimer dangereux le
développement du YPG, le président
Erdoğan l’a intégré à sa stratégie.
Les États-uniens et les Russes
considèrent à tort que les Kurdes de
Syrie forment un groupe soudé. En
réalité, le YPG est la branche armée du
PYD qui a deux co-présidents : une
femme, Asya Abdullah, et un homme, Salih
Muslim. La première est fidèle aux
principes d’Abudllah Öcalan —le
fondateur du PKK— et entend créer un
Kurdistan sur le territoire turc. Le
second est un traître qui a négocié,
lors d’une réunion secrète le 31 octobre
2014 à l’Élysée, un accord avec les
présidents Hollande et Erdoğan.
Dans ces conditions, Recep Tayyip
Erdoğan entend tourner à son avantage le
piège que les États-uniens et les Russes
lui tendent.
Sur ses instructions, la police et
l’armée turque mènent actuellement des
opérations contre les Kurdes du PKK. Ces
forces de répression ont déjà détruit
plusieurs villages et terrorisé la
population de plusieurs autres, les
forçant à fuir. Au cours des dernières
semaines, cette campagne de terreur a
ainsi provoqué le déplacement des
populations kurdes de plusieurs villages
turcs situés à la frontière syrienne. Le
Palais blanc a alors offert ces
habitations à des réfugiés sunnites
syriens qu’il pense favorables aux
jihadistes. Ainsi a débuté un changement
de population le long de la frontière
turco-syrienne.
Pour comprendre ce que le président
Erdoğan est en train de faire, on doit
se rappeler qu’à la fin du XIXe siècle,
le sultan Abdülhamid II —qui voulait lui
aussi homogénéiser la population turque—
encouragea les Kurdes à expulser les
chrétiens, voire à les massacrer. Ce
programme continua et prit de l’ampleur
avec les Jeunes Turcs qui massacrèrent
un million et demi de Grecs pontiques et
d’Arméniens. La fin de ce programme
suppose que l’on expulse les Kurdes
cette fois, pour les remplacer enfin par
des Turcs, ou à défaut par des arabes
sunnites.
C’est ce programme que la France
s’était engagée, en 2011, à conduire
avec la Turquie, en limitant les
massacres. Selon un Traité secret signé
par les ministres des Affaires
étrangères de l’époque, Alain Juppé et
Ahmet Davutoğlu, Paris et Ankara
devaient créer un nouvel État en Syrie
pour y expulser les Kurdes du PKK. C’est
cet accord que François Hollande s’était
engagé à appliquer en organisant à
l’Élysée la rencontre Erdoğan-Muslim. Et
c’est cet accord que, sans le savoir,
Washington et Moscou sont en train de
réaliser.
Source
Al-Watan (Syrie)
Document joint
Al-Watan 2408
(PDF - 165.4 ko)
Thierry Meyssan
Consultant
politique, président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007). Compte
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