Opinion
Le double
jeu et les craintes d'une monarchie
Soraya Hélou
Samedi 18 janvier 2014
Ce n'est plus un secret pour personne
que la mouvance takfiriste est désormais
une menace pour l'ensemble de la région
et même pour les pays occidentaux, pays
européens en tête. Les services de
sécurité libanais multiplient les
arrestations, mais les cellules restent
nombreuses et actives, réussissant même
à réagir rapidement à chaque
arrestation, en lançant une nouvelle
attaque contre les civils. C'est dire
qu'elles sont non seulement structurées,
mais aussi elles bénéficient d'un
environnement favorable qui leur permet
d'agir en toute sécurité et d‘un soutien
financier qui leur permet de renouveler
en permanence «leurs stocks d'outils de
travail».
Les spécialistes d'al-Qaëda révèlent à
cet égard que cette mouvance s'est
largement répandue au cours des
dernières années pour devenir plus
puissante qu'elle ne l'avait jamais été,
même au moment de sa création lors de la
première guerre d'Afghanistan contre les
troupes soviétiques. A cette époque, les
services saoudiens et américains avaient
eu cette idée de former ce groupe pour
briser l'URSS. L'idée a d'ailleurs
montré son efficacité puisque très
rapidement, les troupes soviétiques ont
été contraintes de se retirer
d'Afghanistan en prélude à
l'effondrement de l'Union soviétique à
partir de 1989. Les spécialistes
précisent toutefois que le rôle d'al-Qaëda
ne s'est pas arrêté une fois cette
mission accomplie. Il a simplement
changé et cette mouvance est devenue le
moyen pour l'Arabie saoudite d'augmenter
son influence dans le monde musulman,
sous couvert d'associations religieuses
et d'impressions massives de copies de
Coran distribuées dans le monde entier.
Selon les spécialistes, ce rôle est
d'autant plus important aujourd'hui que
les piliers de la monarchie wahhabite
sont en train d'être ébranlés. Depuis sa
création, cette monarchie a bénéficié de
trois éléments de force. D'abord, les
tribus, qui soutiennent la famille
royale, selon un réseau d'alliances
subtiles et qui assurent la survie de la
monarchie. Mais aujourd'hui,
l'affaiblissement du pouvoir central, dû
à l'état de santé du roi, et les
rivalités au sein des héritiers du
trône, notamment ceux de la troisième
génération, font que l'allégeance des
tribus se disperse entre les divers
courants qui divisent la famille royale.
Le second élément de force consiste dans
la protection américaine qui depuis de
longues années permet à la monarchie
d'asseoir son pouvoir, sans craindre
soulèvements et coups d'Etats. Or,
aujourd'hui, avec les divergences entre
le pouvoir en Arabie et l'administration
américaine, à cause de l'accord entre
les Etats-Unis et l'Iran et le refus des
Américains de bombarder la Syrie, cette
protection n'est plus aussi solide
qu'avant. En tout cas, c'est
l'impression qui règne au sein de la
famille royale et qui la pousse à croire
que les Etats-Unis ne sont plus l'allié
fiable d'antan. Enfin, le troisième
élément de force de la monarchie, ce
sont les ressources pétrolières qui
rendent l'Arabie indispensable à
l'énergie mondiale et en particulier
américaine. D'où la nécessité de
préserver sa stabilité. Or, non
seulement les Etats-Unis cherchent à
devenir autonomes en matière d'énergie
en exploitant leurs ressources en gaz de
schiste, mais de plus, le Moyen Orient
est sur le point de devenir un nouveau
réservoir de pétrole, avec les
découvertes de plus précises de
ressources importantes en Syrie, au
Liban et en Egypte.
Face à l'affaiblissement de ses
principaux éléments de force, la
monarchie saoudienne traverse donc
actuellement une période de doute et de
radicalisation qui la pousse à
rechercher des solutions de rechange
indispensables, selon elle, à sa survie.
C'est ainsi que certains de ses
responsables ont décidé de réactiver
«l'armée parallèle des takfiristes» ou
ce que certains spécialistes appellent
«l'armée wahhabite non régulière». Cette
formation qui n'a pas d'existence
officielle, ni reconnue, a pourtant
montré son efficacité dans plusieurs
lieux. D'autant qu'elle permet à ceux
qui en tiennent les commandes de ne pas
mener des affrontements directs, mais
d'avancer des pions discrètement, tout
en gardant la possibilité de se
désengager s'il le faut.
C'est un peu ce qui se passe aujourd'hui
entre Daech et le Front islamique en
Syrie. Daech étant devenue un poids en
raison de sa violence et de ses
exactions, le Front islamique a été créé
pour la combattre. Il apparaît ainsi
comme une force «modérée», alors que ce
sont souvent les mêmes qui coiffent un
jour la casquette de Daech et le
lendemain celle du Front islamique. La
manœuvre permet ainsi à ceux qui
tiennent les ficelles de jouer tantôt un
courant, tantôt l'autre et tantôt l'un
contre l'autre pour apparaître comme la
seule force capable de juguler et de
contenir les extrémistes et finalement
de régler un problème ... qui a été créé
volontairement. Mais dans les
circonstances actuelles, avec le
développement impressionnant des groupes
takfiristes un peu partout dans la
région, le sort peut se retourner contre
tout le monde et le feu brûler même ceux
qui ne s'y attendent pas. C'est
d'ailleurs la raison pour laquelle de
plus en plus de voix s'élèvent pour
former un vaste front contre les
takfiristes...
Source : Al-Ahednews
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