Liban
Un discours peut en cacher un autre
Soraya Hélou
Photo:
D.R.
Samedi 8 mars 2014
Certaines choses ne sont pas bonnes à
dire. Le PDG du quotidien AL Akhbar
Ibrahim el Amine est en train de le
découvrir à ses dépens, au pays dit des
libertés. S'il a eu des mots un peu durs
pour commenter les propos du président
de la République Michel Sleiman
lorsqu'il a qualifié la fameuse équation
qui protège le Liban «armée, peuple et
résistance» de langue de bois, c'est
qu'il estime qu'ils ont touché une chose
sacrée pour laquelle des milliers de
Libanais ont donné leur sang. La
résistance, appuyée par le peuple et par
l'armée s'est forgée dans le sang au
Liban et elle ne peut pas être traitée
avec légèreté comme une vulgaire phrase
que l'on modifie au gré des vents
régionaux ou internationaux. Certes,
l'éditorial du journal était peut-être
un peu violent, mais c'est que pour les
centaines de milliers de Libanais qui
appuient la résistance au Liban,
l'agression, surtout venant du sommet de
l'Etat, était grande et inattendue. Mais
de toute façon, dans un pays où la
liberté d'expression est consacrée par
la Constitution, et où le chef de l'Etat
a à plusieurs reprises affirmé qu'il
défend les valeurs démocratiques, nul ne
s'attendait à ce que le journaliste soit
voué à de telles gémonies et qu'il soit
trainé devant la justice parce qu'il
défend ce que le Liban a de plus sacré
et qui a fait de lui ce pays fort que
l'ennemi craint et qu'il veut à tout
prix déstabiliser. De plus, les propos
du chef de l'Etat sont intervenus à un
moment particulier, où la commission de
rédaction de la déclaration
ministérielle du nouveau gouvernement
butait justement sur le rôle de la
résistance. C'est comme si le chef de
l'Etat demandait indirectement aux
membres de cette commission de ne pas
faire figurer le mot «résistance», dans
leur déclaration ministérielle, pour ne
pas tomber dans la langue de bois
habituelle.
Il y avait de quoi s'étonner et
s'indigner devant une telle démarche de
la part du sommet de l'Etat. Mais
visiblement, les autorités, qui devaient
avoir depuis longtemps le journal et son
PDG dans leur collimateur, attendaient
une occasion pour le traduire en justice
et lui rabattre le caquet. Après tout,
la démarche du ministre de la Justice
est légale. La loi libanaise l'autorise
à demander au Parquet de réagir lorsque
le président est pris à partie. Sauf que
l'expérience passée montre que cette loi
ne s'applique qu'à la carte. Lorsque le
président Emile Lahoud avait été bafoué
par les médias du 14 Mars pour justement
son appui à la résistance, le parquet
n'avait pas été sollicité et le ministre
de la Justice pourtant nommé par le
président lui-même n'avait pas cru bon
de réagir. Un Etat et des autorités
crédibles devraient appliquer la loi à
tous les Libanais et à tous les médias.
Toutes ces remarques ne sont pas dictées
par le souci de défendre tel journaliste
ou tel président. Il s'agit simplement
de montrer l'état de déliquescence dans
lequel se trouvent les institutions de
ce pays, asservies aux projets
politiques et aux sympathies des uns et
des autres. Comme si la division
politique et populaire verticale et
horizontale ne suffisait pas, il faut
désormais y ajouter le parti pris du
président de la République et celui de
certains ministres qui ont pourtant pour
mission de dire le droit et de rendre
justice aux citoyens. Il y a quelques
jours, un ancien repris de justice
menaçait la banlieue sud des pires
souffrances, d'autres chefs d'axes
tirent sur tout alaouite de Jabal Mohsen
qui bouge à Tripoli et la justice ne
prend même pas la peine de publier un
communiqué de condamnation, de faire
semblant de vouloir sévir. Qu'une partie
des Libanais vive sous la menace des
terroristes takfiristes et qu'une autre
soit la cible d'attaques
quasi-quotidiennes ne dérange pas une
partie de la classe politique qui est
trop occupée à vouloir ternir l'image de
la résistance et à chercher à
l'affaiblir. Le cas du journal Al Akhbar
n'est que la partie visible de
l'iceberg. Tant d'autres mesures sont
prises discrètement pour chercher à
isoler la résistance et à la rendre
inutile dans les esprits et les cœurs,
en commençant par les textes. L'idée est
donc de commencer par la déclaration
ministérielle avant d'en arriver à des
textes plus importants et peut-être à
amender la Constitution dans ce but,
comme si on déclenchait tout un
processus. On commence par-là, sous
prétexte qu'il ne s'agit que de la
déclaration ministérielle d'un
gouvernement qui n'est pas destiné à
faire de vieux os et le premier pas
étant fait, on continue dans le même
sens dans chaque discours pour arriver à
discréditer totalement la résistance et
à la faire tomber dans l'oubli. Mais
avec un passé de plus de 32 ans,
celle-ci a réussi à faire des petits et
à donner naissance à des générations de
résistants, auxquels il faut bien plus
que des discours pour oublier ce
pourquoi leurs pères et leurs frères
sont morts.
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