Palestine
Après Paris, la manière israélienne
n’est pas la réponse
Samah Jabr
© Samah
Jabr
Dimanche 20 décembre 2015
Samah Jabr – 2 décembre 2015 – Middle
East Monitor
Les secours
apportent assistance aux blessés par
balles et autres après les attentats de
Paris (archives).
Quand je suis
arrivée à Paris dans la soirée du
vendredi 13 novembre, la personne qui
m’accueillait a demandé à notre
chauffeur de taxi de nous emmener chez
elle, rue de la Fontaine-au-Roi ; le GPS
du taxi affichait qu’une fusillade y
avait lieu au même moment. Ce n’est que
le lendemain matin que nous avons
compris tous les détails de la tragédie.
Peu après ce voyage à Paris, je me suis
rendue à Bruxelles, pour y constater que
l’alerte sécurité y avait atteint le
« niveau quatre » et que le métro et les
écoles avaient été fermés dans la
crainte d’un attentat terroriste. Le but
de ces deux voyages était de répondre
positivement à des organisations de
solidarité avec le peuple palestinien
qui m’avaient invitée à venir dialoguer
avec le public en Europe sur la vie en
Palestine occupée.
J’éprouve un
attachement pour la France, où autrefois
j’ai habité et étudié, et où j’ai gardé
des amis et des camarades. Je suis
tourmentée par le massacre de ces
innocents à Paris, tout comme je le suis
par le massacre du Liban à Beyrouth le
jour d’avant, les massacres à Bamako la
semaine qui a suivi, et le récent
massacre des manifestants pro-kurdes à
Ankara et des touristes russes dans le
Sinaï. L’angoisse pour moi est double :
elle touche à la perte de la vie de
l’ « autre », aussi bien qu’à l’atteinte
grave au système de valeur de mon propre
« moi » étendu.
Les attentats de
Paris ont fourni une opportunité aux
dirigeants israéliens et à leurs
partisans, comme d’habitude, pour
discréditer la résistance palestinienne
à l’occupation militaire brutale
d’Israël. Le Premier ministre a prétendu
que ceux qui condamnaient les attentats
de Paris sans condamner la violence
contre les Israéliens étaient des « hypocrites
et des aveugles. Derrière ces attentats
terroristes se tient l’Islam radical,
qui cherche à nous détruire, le même
Islam radical qui a frappé à Paris et
menace l’Europe tout entière ». Poussant
à plus de pensée binaire, à une
partition du « nous contre eux » et des
« bons contre les méchants », il a
ajouté, « Comme je le dis depuis de
nombreuses années, le terrorisme
islamique militant agresse nos sociétés
parce qu’il veut détruire notre
civilisation et nos valeurs ». Le
ministre de la Défense d’Israël, Moshe
Ya’alon, a déclaré dans une même veine :
« Ce que nous avons, c’est l’Islam
djihadiste qui appelle à la destruction
de la culture occidentale ». Ce
cliché est diffusé alors même que la
plupart des victimes des groupes
terroristes « islamiques » sont des
musulmans, et que ces victimes sont
souvent, tels les réfugiés palestiniens
de Syrie, des adversaires d’Israël.
« Ils veulent
nous tuer parce que nous sommes juifs »,
ainsi s’expriment les dirigeants
israéliens face aux actes de la
résistance palestinienne, dans un déni
total du contexte de l’occupation. En
France, un article de Véronique
Mortaigne et Nathalie Guilbert, publié
dans Le Monde deux jours après
les attentats de Paris, a fait le lien
entre l’attentat contre le Bataclan et
les appels antérieurs par des groupes
pro-palestiniens au boycott de ce
théâtre parce qu’il avait organisé un
gala au profit des soldats israéliens.
Malgré une condamnation prompte des
attentats de Paris par les groupes de
résistance islamiques palestiniens, et
malgré l’expression de leur solidarité
avec leurs victimes, il a circulé, sur
les médias sociaux en France, une photo
datant de 2012 et montrant des
Palestiniens célébrant la signature d’un
accord de réconciliation, avec
l’affirmation mensongère qu’ils étaient
en train de célébrer les attentats dans
la capitale française. Ce n’est que plus
tard que cette imposture a été révélée.
Il y a eu des allusions subtiles de
journalistes israéliens que l’Europe
méritait les attentats terroristes pour
avoir adopté une politique d’étiquetage
des produits précisément s’ils
proviennent des colonies illégales
israéliennes, et aussi des déclarations
plus vigoureuses, comme celle du rabbin
Dov Lior, « Les méchants de l’Europe
imbibée de sang le méritent pour ce
qu’ils ont fait à notre peuple il y a 70
ans ». De telles opinions
scandaleuses ont été moins fréquentes en
Europe.
La vérité, c’est
que l’ « État juif » a été créé grâce à
une violence excessive et une agression
contre les Palestiniens, peuple
originaire de cette terre. Comme
d’autres peuples autochtones dont la
terre a été colonisée, dont les
ressources ont été volées, et dont les
familles et relations ont été tuées, les
Palestiniens ont pu être capables
d’utiliser la violence en représailles
contre leurs oppresseurs, et pour les
dissuader de plus d’oppression, tout en
utilisant des campagnes non violentes et
des canaux diplomatiques pour obtenir
leur libération. Tout cela étant inclus
totalement dans leurs droits issus de la
législation internationale.
Les Palestiniens
sont connus pour leur hospitalité envers
les étrangers qui viennent en Palestine,
pas pour les tuer. Dans des cas aussi
rares que celui du meurtre du militant
italien pro-Palestine Vittorio Arrigoni,
par un groupe salafiste de Gaza, les
auteurs ont été punis par la loi, et
condamnés par tout l’éventail des partis
politiques. À l’inverse, les meurtres
d’une liste interminable de militants et
journalistes étrangers par l’armée
israélienne ont reçu leur justification
(autodéfense), sans punition ni justice.
Il est vrai que durant les années 1970,
certains Palestiniens ont pris des
Israéliens en otage, en des lieux
extérieurs aux frontières de la
Palestine historique, pour les échanger
avec des prisonniers politiques – le
plus spectaculaire étant à Munich – mais
dont les responsables étaient des
groupes de résistance laïcs, qui n’ont
jamais utilisé la rhétorique islamique
pour faire avancer leur idéologie. Les
groupes palestiniens islamiques ont
toujours limité leur lutte à la
Palestine occupée, et pas au-delà. Ce
sont les Israéliens qui se targuent que
le Mossad (Institut pour les
renseignements et les affaires
spéciales) a tué des militants, des
intellectuels palestiniens, des
représentants de l’Organisation de
libération de la Palestine (OLP), et
d’autres groupes de résistance, en
Europe comme dans des capitales arabes.
Il est ainsi plus
justifié de comparer les tactiques de
Daesh à celles des groupes terroristes
qui sont derrière la fondation de l’État
d’Israël, plutôt qu’à celles de la
résistance palestinienne. Tant Daesh que
l’ « État juif » se sont créés grâce à
d’épouvantables massacres, entraînant
une population de réfugiés dans leur
sillage. Les deux font preuve
d’ambitions expansionnistes. La
stratégie de Daesh est d’attaquer
l’Occident, avec l’objectif de provoquer
plus de discrimination à l’encontre des
musulmans d’Occident pour les sortir de
la « zone grise » ; le Mossad d’Israël a
été à l’origine d’attentats terroristes
contre des juifs en Iraq, en Égypte et
au Maroc, avec l’objectif de les faire
venir en Israël. L’opération Sushana
dans laquelle des espions israéliens ont
programmé des attentats à la bombe
contre des juifs égyptiens ; l’attentat
intentionnel et soutenu par des avions
et des vedettes lance-torpilles
israéliens contre le USS Liberty,
tuant 34 membres de l’équipage et en
blessant 171 autres ; et différentes
opérations sous faux pavillon à travers
le monde, sont des exemples des crimes
odieux perpétrés par les Israéliens pour
lesquels les responsabilités ont été
imputées ailleurs.
En plus de tirer un
profit politique en reformulant
l’occupation de la Palestine, en
imposant une politique israélienne comme
une « guerre contre le terrorisme »
et en diffamant le caractère des
Palestiniens, les présentant comme des
terroristes inhumains, barbares, Israël
se saisit aussi de l’opportunité
actuelle pour colporter son appareil et
sa politique de sécurité comme un « savoir-faire »
testé sur le terrain contre les
Palestiniens. Ce « savoir-faire »
a été utilisé pour réprimer la liberté
et la démocratie en Europe et pour
exacerber une « guerre contre le
terrorisme » dont les victimes
comprennent déjà plus de 4000 civils. À
un moment où Israël rabaisse l’âge de la
responsabilité pénale pour les enfants
palestiniens à 12 ans, les envoyant dans
les centres d’interrogatoire et les
soumettant à la torture, nous ne pouvons
qu’espérer que l’Europe s’avancera vers
une expansion de son système législatif
démocratique et ses efforts pour les
droits de l’homme, avec l’objectif
d’aider les Palestiniens dans leur quête
de justice sur leurs territoires
actuellement occupés. C’est avec plus de
démocratie, plus de solidarité et plus
de politique en faveur des droits
humains, et plus d’anti-impérialisme,
qu’il sera mis fin au terrorisme, et non
par la répression, la pensée binaire et
l’exportation des « leçons »
israéliennes vers l’Europe.
Samah Jabr
est psychiatre et psychothérapeute à
Jérusalem, elle se préoccupe du
bien-être de sa communauté, allant bien
au-delà des questions de maladie
mentale. Elle écrit régulièrement sur la
psychiatrie en Palestine occupée.
https://www.middleeastmonitor.com/articles/europe/22610-in-the-aftermath-of-paris-the-israeli-way-is-not-the-answer
Traduction : JPP
pour les Amis de Jayyous
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