Entretien
Salim Lamrani : « Cuba n’a jamais
attaqué
les États-Unis de son histoire »
Mouâd Sahli
© Salim Lamrani
Jeudi 28 avril 2016
Mouâd Sahli
Alohanews
http://alohanews.be/politique/salim-lamrani-cuba-usa
Contre toute attente,
Barack Obama a surpris toute la classe
politico-médiatique en annonçant qu’il
se rendrait à Cuba. Il est ainsi le
premier président US en exercice à poser
son Air Force One sur le tarmac de La
Havane depuis la révolution de 1959. Les
liens entre les deux pays étaient au
point mort depuis l’imposition de
l’embargo sur l’île en 1962 par John F.
Kennedy. Comment expliquer ce
rapprochement ? Pourquoi Obama a-t-il
changé sa politique étrangère concernant
le régime castriste ? Pour nous
répondre, nous avons rencontré Salim
Lamrani, Docteur ès Études Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
IV-Sorbonne, spécialiste des relations
entre Cuba et les États-Unis. Rencontre.
Comment expliquez-vous le
basculement de la politique étrangère de
Barack Obama envers le régime castriste
?
Salim Lamrani : Le Président Obama a
fait un constat lucide : la politique
des Etats-Unis vis-à-vis de Cuba est un
échec complet. Au lieu d’isoler La
Havane sur la scène internationale, la
politique de sanctions économiques a
isolé Washington. En octobre 2015, pour
la 24ème année consécutive,
191 pays sur 193, y compris les
principaux alliés des Etats-Unis, ont
condamné l’état de siège économique
imposé à la population cubaine depuis
1960. Lors du Sommet des Amériques de
2013, à Carthagène, en Colombie, le
Président Manuel Santos, le plus fidèle
soutien de Washington du continent
latino-américain, avait déclaré qu’un
autre sommet sans la présence de Cuba
n’aurait aucun sens. La majorité des
nations avait menacé de boycotter le
Sommet de Panama d’avril 2015 si Cuba
n’était pas invitée. Obama a donc décidé
de rétablir le dialogue avec Cuba en
décembre 2014.
Washington a également pris la mesure
du rejet des sanctions contre Cuba au
sein de l’opinion publique des
Etats-Unis, à 70% favorable à une
normalisation des relations avec La
Havane. Celle-ci ne comprend toujours
pas pourquoi elle peut voyager en Chine,
au Vietnam ou en Corée du Nord, mais pas
à Cuba.
Le monde des affaires est également
opposé à la politique agressive des
Etats-Unis car il voit un marché naturel
de 11 millions d’habitants, à 150
kilomètres des côtes étasuniennes,
profiter aux investisseurs
internationaux.
Peut-on dire que ce rapprochement
des États-Unis avec la Havane est une
victoire pour la diplomatie cubaine ?
SL : Cuba a toujours exprimé son
souhait d’entretenir des relations
cordiales et pacifiques avec les
Etats-Unis à condition que les principes
du droit international – qu’elle
considère comme sacrés – soient
respectés, à savoir l’égalité
souveraine, la réciprocité et la
non-ingérence dans les affaires
internes.
Il convient de rappeler que le
conflit entre les deux pays est
asymétrique. C’est Washington qui
applique une politique hostile contre un
pays du Tiers-monde qui n’a jamais
agressé les Etats-Unis de son histoire.
Cuba n’a ni renoncé à son système
politique, ni à son modèle social, ni à
sa politique étrangère, qui sont des
compétences exclusives du peuple de
l’île. A ce titre, le rapprochement
entre les deux nations constitue une
reconnaissance de l’échec d’une
politique cruelle et une victoire pour
le peuple cubain qui a toujours tendu
une main fraternelle à son voisin, tout
en rappelant qu’il était le seul maître
des destinées de son pays.
Comment cette normalisation a été
perçue par la communauté cubaine exilée
à Miami connue pour son anti-castrisme ?
SL : Depuis longtemps, la
majorité de la communauté cubaine des
Etats-Unis est favorable à une
normalisation des relations entre les
deux pays, car presque tous les Cubains
émigrés ont un membre de leur famille au
pays. Tous savent que les sanctions
économiques affectent leurs parents,
cousins, et autres, restés dans l’île.
Seule une minorité de Cubains,
héritière de l’ancien régime, mais
disposant d’une certaine influence
politique et économique, est opposée à
la normalisation des relations et
souhaite maintenir une politique hostile
contre Cuba. Mais elle sera rapidement
balayée par l’histoire.
Nous sommes en pleine campagne
pour les présidentielles US qui auront
lieu le 8 novembre prochain. Est-ce que
cette normalisation peut être mise à mal
avec l'arrivée de Hilary Clinton ou
Donald Trump à la Maison Blanche ?
SL : D’un point de vue juridique,
le prochain président dispose de toutes
les prérogatives nécessaires pour mettre
un terme à la politique de dialogue de
Barack Obama. En revanche, d’un point de
vue politique, ce sera beaucoup plus
difficile de faire marche arrière car
cela susciterait l’hostilité de
l’opinion publique étasunienne, du monde
des affaires et de la communauté
internationale.
Il est possible qu’un président
républicain ralentisse le processus de
normalisation des relations, mais je
doute qu’il annule les mesures
constructives prises par Obama.
Quel visage prendra Cuba dans les
années à venir ?
SL : Cuba prendra le visage que
souhaitera lui donner son peuple, qui
dispose de l’intelligence et de
l’expérience nécessaires pour adopter la
voie qu’il jugera la meilleure. Il fera
inévitablement face aux chants de sirène
vantant les mérites de l’abondance
matérielle et de l’individualisme.
Sera-t-il prêt pour autant à renoncer à
l’édification d’une société où la loi
première de la République serait « le
culte à la pleine dignité de l’être
humain », chose qui a été la raison
d’être de toute une nation depuis José
Martí ? Je ne le crois pas.
Docteur ès
Etudes Ibériques et Latino-américaines
de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel
ouvrage s’intitule Cuba, parole à la
défense !, Paris, Editions Estrella,
2015 (Préface d’André Chassaigne).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
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