Amérique latine
Rapprochement Cuba/Etats-Unis:
perspectives et obstacles 2/2
Salim Lamrani
Samedi 28 février 2015
Al Mayadeen
http://espanol.almayadeen.net/...
Dans le processus de négociations entre
Cuba et les Etats-Unis, il reste de
nombreux obstacles à surmonter.
En plus des sanctions
économiques, d’autres obstacles restent
à surmonter sur le chemin du
rétablissement de relations
diplomatiques normales et apaisées. Tout
d’abord, les Etats-Unis doivent
supprimer Cuba de la liste des pays
soutenant le terrorisme international.
En effet, Cuba a été placé dans cette
catégorie en 1982 par l’administration
Reagan en raison du soutien apporté aux
mouvements révolutionnaires et
indépendantistes en Amérique latine et à
travers le monde. Aujourd’hui,
Washington justifie le maintien de Cuba
sur ladite liste en raison de la
présence
de certains membres de l’organisation
séparatiste basque ETA et de la guérilla
colombienne des FARC à Cuba, lesquels se
trouvent pourtant sur l’île… à la
demande expresse des gouvernements
espagnol et colombien.
D’ailleurs, Washington le reconnaît
explicitement dans son rapport : « Le
gouvernement de Cuba a soutenu et
accueilli des négociations entre les
FARC et le gouvernement de Colombie avec
l’objectif d’arriver à un accord de paix
entre les deux parties ». Les Etats-Unis
reconnaissent qu’ « il n’y a pas
d’information selon laquelle le
gouvernement cubain ait fourni des armes
ou un entraînement paramilitaire à des
groupes terroristes » et admettent que
les « membres de l’ETA résidant à Cuba
s’y sont installés avec la coopération
du gouvernement espagnol ». Washington
justifie également l’inclusion de Cuba
dans la liste des pays terroristes en
raison de la présence sur l’île de
réfugiés politiques recherchés par la
justice étasunienne depuis les années
1970 et 1980. Or, aucune de ces
personnes n’a jamais été accusée de
terrorisme [1].
Les 33 pays de la Communauté des
Etats latino-américains et caribéens
(CELAC) ont unanimement rejeté
l’inclusion de Cuba dans la liste des
pays terroristes. Dans une déclaration
rendue publique le 7 mai 2014, la CELAC
a exprimé « sa totale opposition à
l’établissement de listes unilatérales
qui accusent prétendument les Etats de
‘soutenir et parrainer le terrorisme’,
et exhorte le gouvernement des
Etats-Unis d’Amérique à mettre fin à
cette pratique » qui suscite « la
réprobation » de « la communauté
internationale et de l’opinion publique
aux Etats-Unis [2].
En effet, l’établissement d’une telle
liste repose uniquement sur des
considérations politiques. Il convient
de rappeler que Washington a maintenu
Nelson Mandela, héros de la lutte contre
l’Apartheid, Président d’Afrique du Sud
de 1994 à 1999 et Prix Nobel de la Paix,
dans la liste des personnes impliquées
dans le terrorisme international
jusqu’en 2008. En revanche, les
pétromonarchies du Moyen-Orient alliées
des Etats-Unis, pourtant impliquées dans
le financement du terrorisme
international notamment de DAESH, ne
font pas partie de la liste du
Département d’Etat.
Cuba exige également l’abrogation
de la loi d’Ajustement cubain adoptée
par le Congrès en 1966. Cette
législation, unique au monde, stipule
que tout Cubain émigrant vers les
Etats-Unis après le 1er
janvier 1959, légalement ou
illégalement, pacifiquement ou par la
violence, obtient automatiquement au
bout de un an et un jour le statut de
résident permanent. C’est d’ailleurs la
raison pour laquelle il n’y a aucun
Cubain en situation irrégulière sur le
territoire étasunien. Cette loi
constitue un formidable outil
d’incitation à l’émigration illégale et
permet aux Etats-Unis de piller Cuba de
son capital humain. Dans le même temps,
Washington limite l’octroi de visas aux
Cubains à 20 000 par an, alimentant
ainsi la dangereuse et lucrative
industrie criminelle de l’émigration
illégale [3].
Concernant la problématique
migratoire, La Havane demande également
l’abrogation de la loi gouvernementale
« Pieds secs, pieds mouillés » adoptée
au début des années 1990. Celle-ci
stipule que tout Cubain candidat à
l’émigration intercepté en pleine mer
par les autorités étasuniennes est
automatiquement rapatrié à Cuba. En
revanche, s’il arrive à poser pied sur
le territoire étasunien, il bénéficie de
la loi d’Ajustement cubain.
Guantanamo, que les Etats-Unis
occupent illégalement depuis 1902,
constitue également un point de
friction. En effet, suite à
l’intervention étasunienne de 1898 dans
la guerre d’indépendance cubaine,
Washington avait imposé l’intégration de
l’amendement Platt à la nouvelle
Constitution, sous peine de maintenir
indéfiniment l’occupation militaire de
l’île. Cet appendice législatif, qui
faisait de Cuba un protectorat sans
véritable souveraineté, stipulait, entre
autres, que Cuba devait louer aux
Etats-Unis une partie de son territoire
pour une durée de 99 ans renouvelables
indéfiniment… à partir du moment où l’un
des deux camps y était favorable. Suite
à l’abrogation de l’amendement Platt en
1934, la base navale de Guantanamo a été
maintenue pour la modique somme de 4 000
dollars par an. Depuis le 1er
janvier 1959, le gouvernement cubain
refuse de percevoir la rétribution
annuelle et exige la dévolution du
territoire. A ce jour, Washington refuse
toute idée de retrait de Guantanamo.
Le financement de l’opposition
interne constitue également un sujet de
discorde entre Washington et La Havane.
Illégal aux yeux du Droit international,
de la législation cubaine et de
n’importe quel Code pénal au monde, le
soutien à la dissidence cubaine dans le
but de renverser l’ordre établi a été
l’un des principaux piliers de la
politique étrangère étasunienne
vis-à-vis de l’île depuis 1959. Si cette
politique a été clandestine de 1959 à
1991, elle est publique et assumée
depuis l’adoption de la loi Torricelli
de 1992. En effet, l’article 1705 de
ladite législation stipule qu’un budget
est alloué au financement d’une
opposition interne à Cuba. Cette
disposition a été ratifiée dans la loi
Helms-Burton de 1996 (article 109) et
dans les deux rapports de la Commission
d’assistance à une Cuba libre de 2004 et
2006. Aujourd’hui, Washington alloue en
moyenne 20 millions de dollars par an
pour obtenir un « changement de régime »
à Cuba, en flagrante violation du Droit
international. De plus, les diplomates
étasuniens en poste à La Havane
apportent régulièrement un soutien
matériel, logistique et financier aux
groupes de dissidents, faisant fi de la
Convention de Vienne [4].
La Havane réclame également la
fin des transmissions radiales et
télévisées de Radio et TV Martí,
respectivement créées en 1983 et 1990
par le gouvernement fédéral, dans le but
d’inciter la population à se soulever
contre le pouvoir en place. Leurs
programmes sont exclusivement destinés à
Cuba et sont diffusés en violation de la
législation internationale sur les
télécommunications, interférant avec les
ondes cubaines.
Les autorités de l’île demandent
enfin que les groupuscules violents
impliqués dans le terrorisme contre Cuba
et installés à Miami soient jugés pour
leurs crimes. Il convient de rappeler
que le peuple cubain a été victime entre
1959 et 1997 de près de 7 000 attentats
terroristes, organisés depuis les
Etats-Unis, qui ont coûté la vie à 3 478
personnes et ont infligé des séquelles
permanentes à 2 099 autres, sans compter
les innombrables dégâts matériels.
Luis Posada Carriles est un cas
emblématique. Ex-policier sous la
dictature de Fulgencio Batista, ancien
agent de la CIA ayant participé à
l’invasion de la Baie des Cochons,
Posada Carriles est l’auteur
intellectuel de plus d’une centaine
d’assassinats. Il est notamment
responsable du premier acte de
terrorisme aérien du continent américain
avec l’attentat contre l’avion civil de
Cubana de Aviación le 6 octobre
1976 qui a coûté la vie à 73 civils,
dont toute l’équipe junior d’escrime qui
venait de remporter les Jeux
panaméricains. Posada Carriles est aussi
le responsable intellectuel de la vague
terroriste qui a frappé l’industrie
touristique cubaine en 1997, qui a fait
plusieurs dizaines de victimes et a
coûté la vie à Fabio di Celmo, un
touriste italien [5].
La culpabilité de Luis Posada Carriles
ne fait aucun doute. Il n’est nul besoin
de prêter attention aux accusations en
provenance de La Havane. En effet, les
rapports du FBI et de la CIA sont
explicites à ce sujet : « Posada
et Bosch ont orchestré l’attentat à la
bombe contre l’avion [6] ».
De la même manière, dans son
autobiographie Los caminos del
guerrero, revendique ouvertement sa
trajectoire terroriste. Enfin, le 12
juillet 1998, Posada Carriles concédait
une interview au New York Times
dans laquelle il se vantait d’être la
personne ayant commis le plus grand
nombre d’actes terroristes contre Cuba,
revendiquant la paternité intellectuelle
des attentats de 1997. Selon lui, le
touriste italien « se
trouvait au mauvais endroit au mauvais
moment [7] ».
A ce jour, Luis Posada Carriles vit
tranquillement à Miami et les Etats-Unis
refusent de le juger pour ses crimes.
Tant que ces questions ne seront pas
réglées, à savoir, la levée des
sanctions économiques, le retrait de
Cuba de la liste des pays soutenant le
terrorisme international, l’abrogation
de la loi d’Ajustement cubain, la
dévolution de la base navale de
Guantanamo, la fin du financement de
l’opposition cubaine et le jugement de
Luis Posada Carriles, il sera difficile
d’espérer une pleine normalisation des
relations bilatérales. A l’exception de
la levée des sanctions économiques,
Washington ne semble pas disposé, pour
l’instant, à effectuer des changements
substantiels dans ces domaines.
De son côté, Cuba a exprimé sa
disposition à discuter des éventuelles
compensations pour les propriétés
étasuniennes nationalisées dans les
années 1960, en accord avec ce que
commande le Droit international. Mais,
les autorités de La Havane ont également
déclaré, qu’en parallèle à ces
négociations, devra s’ouvrir une
discussion sur le coût causé par des
sanctions économiques et la politique
d’agression contre l’île depuis 1959, et
les inévitables indemnisations.
Dans le différend historique qui
oppose Cuba et les Etats-Unis, il
convient de rappeler un truisme souvent
négligé par les médias. Dans ce conflit
asymétrique, il y a un agresseur –
Washington – et une victime – le peuple
de Cuba. En effet, contrairement aux
Etats-Unis, Cuba n’occupe pas
illégalement et par la force une partie
du territoire étasunien, n’impose pas de
sanctions économiques à son voisin,
n’a
jamais envahi les Etats-Unis (Baie des
Cochons), ni n’a jamais menacé le peuple
étasunien de désintégration nucléaire
(crise des missiles de 1962). Par
ailleurs, La Havane ne demande pas un
changement de régime aux Etats-Unis,
n’émet pas des transmissions illégales
et ne finance pas une opposition interne
dans le but de renverser l’ordre établi.
Un préalable est indispensable à
la normalisation des relations
bilatérales entre les deux nations : les
Etats-Unis doivent renoncer à leur
objectif stratégique de « changement de
régime » et accepter la réalité d’une
Cuba souveraine et indépendante. Toute
tentative d’intromission dans les
affaires internes de l’île est vouée à
l’échec, car La Havane n’est pas disposé
à négocier son système politique ou son
modèle de société, qui relèvent tous
deux de la compétence exclusive du
peuple cubain. Les seules relations
viables entre Cuba et les Etats-Unis
sont celles cimentées autour de trois
principes fondamentaux : l’égalité
souveraine, la réciprocité et la
non-ingérence.
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de
conférences à l’Université de La
Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba.
Les médias face au défi de
l’impartialité, Paris, Editions
Estrella, 2013 et comporte une préface
d’Eduardo Galeano.
http://www.amazon.fr/Cuba-m%C3%A9dias-face-d%C3%A9fi-limpartialit%C3%A9/dp/2953128433/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1376731937&sr=1-1
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[1]
U.S. Department of State,
« State Sponsors of Terrorism »,
avril 2014.
http://www.state.gov/j/ct/list/c14151.htm
(site consulté le 9 mai 2014).
[2]
Communauté des Etats
latino-américains et caribéens,
« Déclaration de la CELAC à
propos de l’inclusion de Cuba
dans la liste des Etats
promoteurs du terrorisme », 7
mai 2014.
http://www.granma.cu/idiomas/frances/notre-amerique/8mayo-celac.html
(site consulté le 9 mai 2014).
[3]
[4]
[5]
Salim Lamrani, Cuba, ce que
les médias ne vous diront jamais,
Paris, Estrella, 2009, p.
135-154.
[6]
Federal
Bureau of Investigation,
« Suspected Bombing of Cubana
Airlines DC-8 Near barbados,
West Indies, October 6,1976 », 7
octobre 1976, Luis Posada
Carriles, the Declassified
Record, The National Security
Archive, George
Washington University.
http://www.gwu.edu/ nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB153/19761008.pdf
(site consulte le 3 juin 2013).
[7]
Ann Louise Bardach & Larry
Rohter, « Key Cuba Foe Claims
Exiles’ Backing », New York
Times,12 juillet 1998.
Le sommaire de Salim Lamrani
Le dossier Amérique latine
Les dernières mises à jour
|