Amérique latine
Che Guevara, apôtre des opprimés IV
Salim Lamrani
Mardi 23 janvier 2018
Le cinquantième
anniversaire de l’assassinat du Che en
Bolivie le 9 octobre 1967 offre
l’occasion de revenir sur le parcours du
révolutionnaire cubano-argentin qui a
dédié sa vie à la défense des « Damnés
de la terre ».
IV. Une figure
internationale
Le Che était-il le visage de la
Révolution cubaine ?
Fidel
Castro a toujours été la figure
emblématique de la Révolution cubaine.
Le Che en était le représentant
international. Il a
réalisé sa première tournée diplomatique
à travers le monde en juin 1959, qui
dura trois mois. Fidel Castro lui avait
confié la mission de parcourir l’Afrique
et l’Asie, à la recherche de soutien
politique. Cela illustrait la grande
confiance que Fidel avait vis-à-vis de
l’Argentin. Le Che rencontra Nasser en
Egypte, Surkarno en Indonésie, Nehru en
Inde. Il visita également la Birmanie,
le Japon, Singapour, la Malaisie, la
Thaïlande, Hong-Kong, le Pakistan, la
Grèce, la Yougoslavie, l’Italie, le
Soudan et le Maroc.
Un an plus
tard, en octobre 1960, il réalisa une
nouvelle tournée diplomatique dans les
pays socialistes avec un objectif plus
économique. Il se rendit en
Tchécoslovaquie, en Russie et en Chine.
Il fut à chaque fois accueilli avec
beaucoup de fraternité et était
ovationné par la foule à chaque
apparition publique. Il prit ainsi la
mesure de la popularité de la Révolution
cubaine à travers le monde.
Enfin, sa
participation à la Conférence du Conseil
interaméricain économique et social de
Punta del Este, en Uruguay, en août 1961
le transforma en figure iconique de la
gauche latino-américaine.
La CIA a-t-elle essayé d’assassiner le
Che ?
Dès le départ, les Etats-Unis
ont opté pour l’assassinat politique des
leaders de la Révolution cubaine. La
principale cible était Fidel Castro, qui
a été la victime de plus de 600
tentatives d’assassinat. Mais le Che et
Raúl Castro se trouvaient également
parmi les cibles.
Quel a été le message du célèbre
discours du Che aux Nations unies en
décembre 1964 ?
Ce discours est un
réquisitoire contre l’impérialisme, le
colonialisme et le néocolonialisme.
C’est également un vibrant plaidoyer
pour l’autodétermination des peuples
d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie.
Cuba représente le symbole de la petite
nation qui aspire à la souveraineté sous
la menace constante du puissant voisin.
De nombreux pays du Tiers-monde se
reconnaissent dans la lutte du peuple
cubain pour la dignité. Le Che apporte
un message de paix et appelle à la
coexistence pacifique entre toutes les
nations du monde aux modèles de sociétés
différents, et non pas seulement entre
les pays les plus puissants. Le Che
dénonce les agressions impérialistes
contre le Vietnam, le Cambodge et le
Laos. Il dénonce également
l’impérialisme belge au Congo ainsi que
le régime ségrégationniste de
l’Apartheid en Afrique du Sud.
Chose peu
connue, le Che lance également l’un des
premiers appels au désarmement
nucléaire. Il milite également pour
l’indivisibilité de la Chine et pour son
entrée aux Nations unies. Il termine son
discours en dénonçant l’état de siège
étasunien contre Cuba et en rappelant la
vocation internationaliste de la
Révolution.
Quel rôle a joué le Che dans le soutien
aux peuples en lutte ?
Le Che, au nom de la
Révolution cubaine, a apporté son
soutien à tous les mouvements
anticoloniaux à travers le monde, en
Amérique latine, en Afrique et en Asie.
La lutte pour l’émancipation humaine
devait être globale et chaque
progressiste devait lui apporter son
concours. La
théorie révolutionnaire du « foco » du
Che consiste à lancer une guerre de
guérilla sans forcément attendre que
toutes les conditions subjectives
(organisation du peuple, syndicats
puissants, prédisposition à la lutte)
soient réunies pour cela. Les conditions
objectives (misère, pauvreté,
exploitation, oppression) étaient
réunies partout. Le but est de
déclencher, par cette guerre de
guérilla, un soulèvement des masses.
L’action de guérilla devait avoir lieu
dans les campagnes. Le guevarisme est la
rupture de l’ordre ancien par la lutte
armée. Il se base sur
l’anti-impérialisme et le marxisme.
Selon lui, si les conditions objectives
sont réunies, la guerre de guérilla peut
créer les conditions subjectives pour
renverser l’ordre établi et édifier une
société socialiste.
Que signifiait l’appel du Che « créer
deux, trois… plusieurs Vietnam ».
Pour le Che, la solidarité
avec la lutte du peuple vietnamien pour
la liberté, aux prises avec
l’impitoyable impérialisme étasunien,
devait être la priorité de tous les
révolutionnaires. Le Vietnam menait la
bataille la plus rude contre les
Etats-Unis. Pour affaiblir
l’impérialisme, il fallait ouvrir des
mouvements de lutte armée dans tout le
Tiers-monde et contraindre ainsi
l’ennemi à diviser ses forces.
Quel était le pacte moral entre le Che
et Fidel Castro ?
Lors
de leur première rencontre au Mexique,
le Che, en s’unissant à la troupe du
Mouvement 26 Juillet, avait demandé à
Fidel Castro de pouvoir quitter le
groupe une fois le triomphe obtenu à
Cuba, afin de lancer un mouvement
révolutionnaire en Argentine. Fidel
Castro était résolument opposé à un
départ du Che car c’était un dirigeant
central de la Révolution. Mais pour lui,
la parole donnée était sacrée. Les
conditions indispensables au lancement
d’une lutte armée en Argentine n’étaient
pas réunies et Fidel Castro ne
souhaitait pas risquer inutilement la
vie du Che.
En attendant de créer ces conditions,
Fidel Castro propose au Che d’aller au
Congo où existe un mouvement
révolutionnaire. L’histoire est connue
et relatée dans le journal du Che au
Congo : c’est un échec cuisant en raison
du manque de discipline des
combattantset de la conduite des chefs
qui préféraient vivre dans le luxe de la
capitale au lieu d’affronter les
inclémences de la guérilla à la tête de
leurs hommes.
En 1965,
Fidel Castro rendit publique la lettre
d’adieu du Che car de nombreuses rumeurs
circulaient à son sujet. Après l’échec
du Congo, Fidel lui proposa de rentrer
se préparer à Cuba en vue de sa
prochaine entreprise en Bolivie. Après
de maints efforts, il parvint à
convaincre le Che de retourner à La
Havane, car ce dernier était réticent à
l’idée de réapparaître à Cuba après la
lecture de sa lettre d’adieu. Il revint
secrètement à Cuba dissimulant son
visage sous un déguisement qui se
révèlera très efficace.
Après sa capture et son exécution,
pourquoi le corps du Che a-t-il été
mutilé et dissimulé ?
Suite à son assassinat le 9
octobre 1967, la CIA et l’armée
bolivienne décidèrent de filmer son
cadavre afin de prouver au monde la mort
du Che. On lui avait coupé les mains
afin de pouvoir vérifier son identité
avec ses empreintes digitales auprès de
la police fédérale argentine. Le corps
fut enterré clandestinement à Valle
Grande, en Bolivie. Il sera découvert en
1997 et rapatrié à Cuba où il repose
dans un mausolée à la mémoire du Che
dans la ville de Santa Clara.
Quel est l’héritage du Che aujourd’hui ?
Le Che perdure dans la mémoire
collective comme l’Apôtre des opprimés
et le symbole de la résistance à
l’humiliation et de l’indignation face
aux injustices. Renonçant à ses intérêts
de classe, il a pris les armes au nom de
l’intérêt supérieur des déshérités.
C’est également l’archétype de
l’internationaliste solidaire qui a
tendu une main fraternelle et généreuse
aux peuples en lutte pour leur
émancipation. Les idéaux du Che et son
exemple sont toujours vivants malgré les
multiples tentatives de travestir son
combat et de salir sa mémoire.
Docteur ès
Etudes Ibériques et Latino-américaines
de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, spécialiste
des relations entre Cuba et les
Etats-Unis.
Son nouvel ouvrage s’intitule Fidel
Castro, héros des déshérités, Paris,
Editions Estrella,
2016. Préface d’Ignacio Ramonet.
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
Le sommaire de Salim Lamrani
Les dernières mises à jour
|