MADANIYA
Pérégrinations du pouvoir califal
Roger Naba'a
Lundi 29 octobre 2018 Beyrouth, Novembre
2017.
Précédents
articles sur le même thème
Un hadîth, dûment
consigné dans les recueils canoniques
(les Sahîh/s), cité à l’envi par ceux
qui deviendront les oulémas, fait dire
au Prophète que «… les savants sont les
héritiers des prophètes, et les
prophètes (…) ont laissé comme héritage
la science, celui qui la prend aura
certes pris la part complète», ou selon
une autre version qui ne s’en écarte pas
beaucoup, «Car la science est l’héritage
des prophètes, et les savants sont leurs
héritiers, donc l’amour de la science et
des savants est une preuve d’amour de
l’héritage des prophètes, et par
conséquent détester les savants revient
à détester l’héritage des prophètes et
leurs héritiers.»
Un autre lui fait
dire: «La prophétie restera parmi vous
autant qu’Allah le souhaitera, puis
Allah y mettra un terme quand Il voudra.
Il y aura alors un Califat suivant la
voie prophétique, qui vous gouvernera
autant qu’Allah le souhaitera, puis
Allah y mettra un terme quand Il voudra.
Puis viendra une royauté injuste (et
dynastique) qui vous gouvernera autant
qu’Allah le souhaitera, puis Allah y
mettra un terme quand Il voudra. Puis
viendra une royauté tyrannique qui vous
gouvernera autant qu’Allah le
souhaitera, puis Allah y mettra un terme
quand Il voudra. Puis viendra alors un
Califat suivant la voie prophétique.
Puis le Prophète se tut.»
Mais il a fallu
trois siècles alentour pour en arriver
là, pour que les savants (oulémas) et
les dynasties guerrières arrachent,
chacun pour son propre compte et dans
son domaine propre, son Pouvoir au
calife, les oulémas lui prenant son
pouvoir spirituel et les dynasties
guerrières son pouvoir temporel; et
cette double perte s’est joué au même
moment, au tournent des IXe-Xe siècles,
sous le règne des Abbassides. Elle
devait se jouer également selon une
suite déréglée de batailles, au sens
propre et souvent batailles sanglantes,
mais au sens figuré également, au sens
de polémiques et autres controverses
encore plus souvent violentes.
Mais commençons par
le commencement, et comme il arrive
toujours en terre d’islam, le
commencement commence avec la succession
du Prophète, à l’origine du califat.
On peut, pour faire
rapide, voire grossier, suivre la
dévolution du pouvoir califal selon
trois séquences majeures. La première de
ces séquences (632- ~833/945) fut celle
de la gloire du califat, que
j’appellerai le «califat muhammadien»
[appellation sur laquelle on reviendra]
– c’est ce califat-là qui tisse
l’imaginaire d’Abu Bakr al-Baghdâdi et
c’est celui-là qu’il prétendait
rétablir. Lors de la seconde séquence,
(945-1258/chute de Bagdad), sous les
coups de boutoir des émirs et des
sultans au plan politique, et sous ceux
des oulémas au plan religieux, le
pouvoir califal perdit de sa superbe, se
relativisa pour se réduire finalement à
un rituel formel sans nul effet sur la
politique ou la religion. La troisième
(l’Empire ottoman: 1299-1923) gomme le
calife et le pouvoir califal pour lui
substituer as-Sultân al -A‘zam (Le
Sultan).
1e séquence: le
Califat «muhammadien» ou le plein
pouvoir du calife
(Rashidūn-Abbassides: 632 ~ 833-945)
Au commencement donc étaient les califes
dits «Bien Guidés»/al khulafâ’
ar-râchidûn (632-661: Abû Bakr, ‘Umar,
‘Uthmân et ‘Ali). Ces califes, parmi les
Premiers convertis et les premiers
Compagnons du Prophète, de ses proches
parents en outre, postulant de leur
«intimité» avec le Prophète pour savoir
ce qu’il avait signifié, pouvaient à ce
titre prétendre faire coïncider en eux
le pouvoir temporel, le pouvoir
politique du Prophète, et son pouvoir
spirituel, le pouvoir religieux, non pas
le don prophétique scellé par la mort du
Prophète, mais celui de légiférer et
d’ordonnancer.
La prise de pouvoir
par les Omeyyades en 661, puis par les
Abbassides en 750 ne changea pas
fondamentalement l’assise de l’autorité
califale. La fonction légiférante et
ordonnatrice revenait toujours et tout
aussi légitimement au calife. Car durant
cette longue période,
«… l’institution
califale prétend exercer un pouvoir
théocratique grâce aux liens privilégiés
que son titulaire entretient avec Dieu.
Le souverain reçoit une inspiration
divine (ra’y, hadîth) qui lui permet
d’être le dépositaire du secret divin
(amîn Allah) et le guide inspiré (imâm)
quasi-infaillible (ma’sûm) [1].
C’est à ce titre
que les califes, nommés alors «khalifat
Allah»/Calife de Dieu et non «khalifat
ar-Rasûl»/ Calife du Prophète comme il
est dit et cru, auraient hérité et de
l’autorité religieuse et des
attributions régaliennes du Prophète
[2]. C’est cette sorte de pouvoir
califal que j’appelle «muhammadien».
2e séquence: un
pouvoir en partage
Les choses
changèrent brutalement entre
833/945/1429-1538. Deux suites pas
forcement réglée de raisons et de
causes, concomitantes certes mais sans
relation de causalité, contribuèrent à
la transformation des assises du pouvoir
califal pour en faire un pouvoir en
partage, avant d’en faire (lors de la 3e
séquence) un pouvoir en déshérence.
2.1. En partage
religieux (politique) avec les oulémas
À la mort du
Prophète, la dissémination de la parole
prophétique risquait d’entrainer
l’émiettement de l’islam lui-même et de
son domaine qui se constituait. Dans
l’urgence, les premiers califes se
lancèrent dans l’entreprise d’unifier
cette parole sous l’espèce d’une vulgate
qui reçut la sanction de l’écriture en
se fixant en un «livre», le Coran. Puis
vint le tour des Hadîth/s c’est-à-dire
des dires, faits et gestes du Prophète.
Or, si la recension coranique fut œuvre
califale, la collation des Hadîth/s a
été prise en charge par des individus
(des Compagnons, des proches) plutôt que
par le pouvoir central.
S’il est vrai que
depuis longtemps déjà des récits sur le
Prophète et ses Grands Compagnons
circulaient, ce n’est que vers la fin du
VIIIe/début IXe que ces récits et
hadîth/s se seraient fixés
définitivement et codifiés la forme de
leur transmission pour être légitimés et
reconnus comme authentiques et, c’est à
partir de ce moment-là que les Hadîth/s
prirent de l’importance dans
l’interprétation du Coran, l’élaboration
du droit (fiqh), de la jurisprudence, …;
bref c’est à partir de cette
canonisation qui les consacrait que les
Hadîth/s s’instituraient en texte
«sanctifié», indispensable pour
comprendre et interpréter le Coran. Les
VIIIe-IXe siècles seraient donc ce temps
où se précipita l’élaboration de la
religion musulmane-sunnite et sa
codification. Et qui dit texte, dit
interprétation du texte. Aussi, comme
son ombre portée, s’est constitué un
corps d’oulémas [3], savants versés en
la matière et dont la compétence
religieuse, leur maîtrise du coran et du
Hadîth, leur connaissance des codes
herméneutiques des texte saints, Etc.,
rendaient capables de comprendre et
d’interpréter le sens de ces textes, et
les rendaient, eux, aptes à gérer la
sphère du religieux jusque-là géré par
les califes eux-mêmes [4]. Le clash
entre ces deux tenants du même savoir
indispensable, et concourant pour le
même pouvoir de gestion de la scène
religieuse, et en-deçà, de la sphère
sociale-politique, était inévitable.
Quand bien même ils
ne composaient qu’un «corps» informel,
les oulémas forts de ce savoir sacré
maintenant constitué, entrèrent, pour
les matières religieuses, en rivalité
avec le calife, lui contestant mezza
voce le droit de légiférer sans leur
concours, et estimaient qu’ils avaient
seuls le droit de hisba; or la hisba
[5], pouvoir régalien par excellence,
relevait, jusqu’à cette époque, du seul
calife, les califes s’estimant avoir une
responsabilité particulière devant Dieu,
la hisba justifiait leur intervention
dans les affaires religieuses. En
réclamant le droit de hisba, les oulémas
prétendaient appliquer le droit à la
place du calife qui était, du coup,
destitué de son monopole
d’«interprétateur légitime» du texte
sacré, ce qui revient à nier que
l’application de la Loi fût une
prérogative califale et son monopole et
qu’elle revenait à qui de droit, en
l’occurrence, les savants/oulémas. Si la
crise couvait donc – les Abbassides
sentirent bien la montée en puissance de
l’autorité des oulémas qui rabaissait
d’autant le pouvoir califal – elle
n’éclata néanmoins que sous al-Ma’mûn
(r. 813-833) quand il voulut imposer à
la umma, en 832-833, la thèse du «Coran
créé» défendue par les Mu‘tazalites [6].
L’entreprise
d’al-Ma’mun, appelée al-Mihna, ne fut
pas sans susciter l’opposition virulente
des milieux traditionalistes, notamment
de la majeure partie des oulémas
regroupés autour d’Ibn Hanbal, mais
aussi de la majorité des sunnites [7],
le tout défendant le dogme d’un Coran
qadîm awwal/ incréé, «présent avant même
le début des temps» comme dira Ibn
Hanbal s’appuyant sur une lecture
littéraliste du Coran.
Si le règne
d’al-Ma’mûn s’avéra constituer un
tournant dans l’histoire de dévolution
du pouvoir califal, c’est, entre autres
raisons, parce qu’il aurait eu pour
effet de modifier les termes des
rapports de pouvoir califal quant au
rapport qu’entretenait le calife avec
les oulémas; mais également parce s’est
créé, depuis la Mihna, une sorte d’ijmâ’
qui cimenta – et continue – les liens
entre le «peuple sunnite» et les
oulémas, constituant ce bloc historique
[8] en «lieu de la vérité, de la
religion et de l’unité», établissant
avec la sunna (du Prophète) un lien
privilégié qui servira désormais de fond
à l’ijmâ’ «savant» des oulémas et leurs
fatwa/s. La Mihna en vouant l’entreprise
d’al-Ma’mûn à l’échec, précipita la
crise et la séparation des pouvoirs dans
des termes défavorables au califat. Ses
successeurs d’ailleurs non se seulement
se rallièrent aux positions du
traditionalisme, mais renoncèrent en
outre à toute prétention
d’interprétation en matière religieuse,
pouvoir désormais légué aux seuls
oulémas [9].
2.2.En partage
politique avec les sultans
L’immensité de
l’Empire à l’époque abbasside – de
l’Afrique du Nord à la Transoxiane, et
de l’océan Indien à l’Arménie – rendait
difficile l’exercice d’un pouvoir unique
et centralisé depuis Bagdad.
En interne – sans
parler des contestations khârijite et
shi’ite du sein même de l’Empire -, un
vaste processus d’autonomisation des
provinces et de son corollaire
l’affaiblissement du pouvoir central,
s’étaient enclenché dès la moitié du IXe
siècle et les gouverneurs de province
représentaient une menace toujours
présente sous les boisseaux d’autant
qu’ils disposaient d’armées locales qui
échappaient pour la plupart au pouvoir
califal. Devant ce pouvoir affaibli
plusieurs gouverneurs de provinces,
portant le titre d’émir, s’étaient
transformés en souverains héréditaires
et battaient en brèche le pouvoir
califal.
Mais le pouvoir
califal ne se discréditait pas seulement
en interne; en externe les Omeyyades de
Cordoue et les Fatimides
(Ifriqiya/Égypte) s’opposaient
directement au califat de Bagdad, dont
ils contestaient la légitimité.
Ainsi, cahin-caha,
le pouvoir abbasside de la suite du IXe
siècle se bâtit sur un équilibre fragile
et précaire, menacé tant au plan
politique que religieux, tant de
l’extérieur que de l’intérieur et, fait
aggravant, de l’intérieur de la dynastie
elle-même puisque l’absence de règle de
succession claire était grosse de
guerres de succession fratricides.
Mais c’est à partir
de 833 pour prendre un symbole et en
faire une référence – que les choses
politiques commencèrent de se gâter
sérieusement, quand le calife
al-Mu’taçim (r. 833-842) eut décidé,
après qu’il a eu perdu toute confiance
en l’armée califale, de fonder une armée
nouvelle formée d’esclaves qu’il fit
venir des grandes steppes turques :
c’est le début du système des Mameluks,
dont lui et ses successeurs devinrent
les otages, les émirs turcs, ayant pris
le contrôle de cette armée nouvelle,
empiétaient ouvertement sur le pouvoir
califal ; le calife n’ayant plus
désormais qu’un pouvoir formel pendant
que le pouvoir réel se partageait entre
les vizirs (Administration) et les émirs
(Armée).
945 devait
consacrer cette tendance, lorsque les
Bûyides (945-1055) d’abord – des
shi’ites de surcroît – puis les
Seljukides (1037-1194/milieu du XIe-fin
XIIe siècles), un siècle plus tard
occupèrent Bagdad, se proclamèrent
«Sultan» et se firent déléguer,
officiellement, le pouvoir politique du
calife, ne lui laissant qu’une autorité
religieuse – toute symbolique. 945
marque effectivement la fin du pouvoir
temporel du califat abbasside.
Néanmoins, malgré
tous ses déboires, l’Empire abbasside,
comme tel, tenait le coup et conservait,
théoriquement au moins, on intégrité
territoriale et son unité politique. Le
califat abbasside parvint à maintenir
sur ce vaste territoire une certaine
autorité califale.
Les choses
changèrent du tout au tout quand les
Mongols, en 1258, mirent fin au califat
abbasside en mettant fin à Bagdad leur
capitale. Alors le pouvoir politique
passa définitivement aux mains d’autres
acteurs, et le califat ne devint plus
qu’une vague et même très vague instance
spirituelle de référence. A noter que
les nouveaux maîtres de l’Empire
court-circuitèrent cette vague référence
en se faisant aider, en matière
religieuse, par les oulémas, si ce n’est
en tant que corps social tout au moins à
titre individuel.
3e séquence:
l’Empire ottoman ou le califat en
déshérence
Quand ils prirent
le pouvoir, les Ottomans se passèrent
royalement du titre de calife lui
préférant le leur, as-Sultân al-A‘zam,
se faisant aider en matière religieuse
par un corps hiérarchisé d’oulémas avec
à leur tête Shaykhu-ul-islam. Ce n’est
qu’au XIXe que le sultan Abdul Hamid II
(r. 1876-1909) reprendra le titre mais
il ne le fit que pour le prestige du
titre, poussé par des raisons politiques
croyant pouvoir rassembler par ce titre,
et le panislamisme qu’il lança alors, ce
que le déclin de l’Empire et la montée
en puissance de l’Europe était en train
de lui arracher : un adjuvant donc de sa
mumāna‘a impériale plutôt que figure
cardinale.
Fin de séquence
Quand Atatürk en
1923 abolit le califat, il ne fit
qu’enterrer un cadavre, mais non
l’imaginaire de la réunification
glorieuse qui attend la umma islâmiyya
des sunnites lors de sa restauration.
Attente que ne sut pas combler
al-Baghdâdi.
[1] Nabil
Mouline, «La formation du sunnisme. La
consécration d’une orthodoxie
musulmane»,
http://www.academia.edu/12941938/La_formation_du_sunnisme_The_Rise_of_Sunnism_,
consulté le 19/05/15.
[2] La
question est controversée. La Grande
Tradition sunnite récuse cette
hypothèse, mais le renouvellement des
études islamiques conteste à son tour
cette Grande Tradition construite deux
ou trois siècles après la mort du
Prophète pendant que l’islam s’érigeait
en empire. Ainsi, après tant d’autres,
Christian Décobert (in «L’autorité
religieuse aux premiers siècles de
l’islam», Archives de Sciences sociales
des Religions, n0 125, janvier-mars
2004, pp. 23-44) dément cette Grande
Tradition: «… à l’âge formatif de
l’islam, (…), seule la figure du calife
s’était imposée, celle du chef et guide
(imâm) (…) à ceux qui se disaient
musulmans. […] L’idée est largement
admise, parmi les historiographes
anciens et les historiens modernes, que
l’institution du califat fut d’abord
politique, ou plutôt que l’autorité
religieuse du calife n’émergea, et de
façon conflictuelle, que dans un second
temps. Le pouvoir religieux du chef de
la communauté des “vrais croyants”
revenait au Prophète Muhammad et se
scellait avec lui ; […]»mais,
ajoute-t-il, «Contrairement à ce qu’ont
prétendu les savants (`ulamâ’) de
l’époque abbasside, c’est le titre
Khalifat Allâh (Député de Dieu) qui
s’imposa en premier lieu pour désigner
le calife et ce n’est qu’ensuite que
vint le titre Khalifat Rasûl Allâh
(Député du Messager de Dieu).
L’expression Khalifat Allâh est attestée
pour tous les Omeyyades, comme pour les
califes “bien guidés”, et par des
sources multiples (les poètes, les
traditionnistes eux-mêmes, les premiers
historiens arabes), de même que par la
documentation archéologique. […] Certes,
il y a la fameuse réticence attribuée à
Abû Bakr al-Siddîq, le premier des
califes : lorsque les gens de son
entourage l’appelaient “Député de Dieu
(Khalîfat Allâh)”, il signifiait de ne
pas le nommer ainsi mais plutôt
“Successeur du Prophète (Khalifat Rasûl
Allâh)”, ajoutant que ce titre le
satisfaisait pleinement et signifiant
que sa fonction n’avait rien d’une
hypostase. Sur l’argument de cette
phrase, les `ulamâ’ des IIIe et surtout
IVe siècles de l’islam (IXe-Xe siècles)
soutinrent qu’il y avait eu une
invention [bid‘a] omeyyade, une
innovation blâmable. Il reste que le
propos d’Abû Bakr a les caractéristiques
d’une tradition apocryphe : tout à fait
isolé, il est rapporté par une seule
source, qui n’est pas antérieure au
début du VIIIe siècle (un siècle après
le califat d’Abû Bakr, 632-634). »
Référence électronique :
http://assr.revues.org/1032 ; DOI :
10.4000/assr.1032, consulté le 30
septembre 2016.
[3] Par
«corps» il ne faut pas entendre un corps
formellement constitué ou même
institutionnalisé mais un «corps»
informel qui a fonctionné – et continue
de le faire – sous forme de «réseaux
d’influence et d’affinités doctrinales
ou théologiques». Ils ne formèrent un
«corps institutionnalisé» que sous les
Ottomans, par décret impérial, avec pour
charge d’ordonnancer le quotidien de la
vie, au prorata des besoins du pouvoir
central.
[4] Tout donne à penser que les
premiers califes, des Bien Guidés aux
Abbassides du IXe siècle, étaient versés
en matière coranique. Pour ne donner
qu’un exemple, et tardif, celui d’al-Ma’mûn,
fils de Hârûn ar-Rashîd), « [il] reçut
(…) en matière de sciences religieuses,
une formation en hadîth (et devint
lui-même transmetteur) et en fiqh (…) où
il excella en jurisprudence hanafite. »
Cf. pour plus de détails, M. Rekaya,
« al-Ma’mūn », Encyclopédie de l’Islam,
Brill Online, 2012.
http://referenceworks.brillonline.com/entries/encyclopedie-de-l-islam/al-mamun-SIM_4889.
[5] « al amr bi-l ma‘rûf wa-n
nahy ‘an al munkar», l’obligation
d’ordonner le bien et d’interdire le
mal. La hisba était une obligation
collective et non individuelle, qui doit
être à ce titre appliquée par toute la
umma dont le calife lui-même.
[6] Au prétexte que la grande
masse de la umma – qui ne possède pas la
lumière de la connaissance comme le
calife -, se trompe quand elle épouse la
thèse selon laquelle le Coran est qadîm
awwal, prééternel/incréé, car Dieu a dit
dans le Coran (43, 3) : « Nous en avons
fait (j̲a‘alnāhu) un Coran arabe », et
tout ce qu’Il a fait (j̲a‘ala), Il l’a
créé (k̲h̲alaqa), al-Ma’mûn voulut
imposer la thèse mu‘tazalite du « Coran
créé ». Pour plus de détails, cf. at-Ṭabarī,
III/1112 et sv., ou Encyclopédie de
l’Islam, article « Mihna », Brill
Online,
http://referenceworks.brillonline.com/entries/encyclopedie-de-l-islam/mihna-COM_0732,
consulté le 25/04/2012.
[7] La thèse califale du «Coran
créé», soutenue par les Mu‘tazalites et
défendue par al-Ma’mûn, par trop
«élitiste» par ses finesses
intellectuelles et son argumentaire
d’autorité, ne réussit pas à mobiliser
le «peuple sunnite» qui la rejeta,
d’autant que cet «élitisme intellectuel»
était souligné en abîme par
l’« élitisme » de leur train de vie
« aristocratique » qui allait à
l’encontre des us et coutumes populaires
indexés sur le train de vie du Prophète,
ou tout aussi loin des symboles et
idéaux du califat « bien dirigé »
véhiculés par les oulémas depuis
plusieurs décennies.
[8] C’est ce bloc historique sous
le signe de l’ijmâ‘ qu’ignora Abu Bakr
al-Baghdâdi quand il proclama
intempestivement son califat. Concept
gramscien par excellence mais non
formellement défini par son auteur,
absence qui n’a pas manqué de multiplier
les définitions.
De toutes celles
offertes au choix, je collationne celle
qui sert mon propos, à savoir, qu’un
bloc historique se constitue par une
alliance organique entre un certain
nombre de forces sociales, en
l’occurrence les masses sunnites (comme
«Peuple») et les oulémas (comme
intellectuels organiques), qui ont
réussi à l’occasion de la bataille de la
Mihna à prendre la direction religieuse,
morale et intellectuelle du peuple
sunnite, piédestal de leur conquête du
pouvoir, ici religieux (sans oublier ses
prolongement politiques), étant entendu
que cette alliance est en rapport
d’unité dialectique, faite donc
d’histoire et donc de divergences, de
contradictions, voire, parfois, de
luttes, et qu/enfin c’est un rapport
asymétrique la balance penchant du côté
des oulémas.
[9] Cf.
Nabil Mouline, «La consécration d’une
orthodoxie musulmane», article cité.
Illustration
Bronze Pièce
d’échecs du calife Abbasside Harun
al-Rashid du Khorassan ver 780 AD à 850
jc Dimensions 3,4 « (8,6 cm) de hauteur
Pièce d’échecs du grand calife Abbasside
Harun al-Rashid du 8 ou 9eme siècle
Les dernières mises à jour
|