Opinion
Les monarchies du
Golfe, alliées d'Israël... par
procuration
Robert Fisk
Robert
Fisk
Dimanche 10 novembre 2013
How the Sunni-Shia schism is dividing
the world*
Par Robert Fisk, (revue
de presse :
The Star - Afrique du sud – Extraits -
5/11/13)
Le schisme
historique, et tragique, du monde
musulman entre sunnites et chiites a des
répercussions mondiales. La guerre
civile en Syrie, l’alliance éhontée
entre les Etats-Unis et les autocraties
sunnites du Golfe, les soupçons
d’expansion de l’Iran chiite, des
sunnites
(ainsi que d’Israël) affectent aussi
le travail de l’ONU.
Le refus
ahurissant, la semaine dernière, de
l’Arabie saoudite d’occuper le siège qui
lui revient en tant que membre
observateur au sein du Conseil de
sécurité, sans précédent à ce jour,
visait à exprimer le mécontentement de
cette dictature monarchique non
seulement devant le refus de
l’administration US de bombarder la
Syrie après l’utilisation d’armes
chimiques à Damas – mais trahissait ses
peurs de voir le président Obama
répondre favorablement aux ouvertures
iraniennes pour de meilleures relations
avec l’Occident.
Le Chef des
renseignements saoudiens, le Prince
Bandar bin Sultan, -
un bon copain de G.W Bush pendant les 22
ans où il était ambassadeur à Washington
- a sonné la charge pour prévenir
les Américains qu’il y
« aurait un changement fondamental »
dans leurs relations si, indépendamment
de leur position sur la Syrie, ils
n’arrivaient pas à conclure un accord de
paix équitable entre Israël et les
Palestiniens.
Ce que serait
« ce changement » - si on tient
compte du refrain habituel des Saoudiens
sur leur indépendance des Etats-Unis en
matière de politique étrangère - est
resté un secret princier.
En revanche, Israël
a saisi cette occasion, une fois de
plus, pour signaler –
à
juste raison - que sa politique au
Moyen-Orient coïncide étroitement avec
celle des riches potentats du Golfe.
Leur haine du régime syrien
alaouite/chiite, leurs soupçons
inextinguibles quant aux programmes
nucléaires de l’Iran chiite et une peur
généralisée de l’expansion de ce pays
transforment ces monarchies sunnites,
non élues, en alliés par procuration de
l’Etat d’Israël qu’ils s’étaient jurés
de détruire. On peut à peine imaginer le
concept que le Prince Bandar a en tête.
De plus, la
dernière contribution US à la
« paix » au Moyen-Orient est la
vente à l’Arabie saoudite de missiles et
armes d’une valeur de 10.8 milliards de
dollars ainsi qu’aux Emirats Arabes
Unis, tous deux sunnites, dont des
bombes de type GBU-39, ou dites
« bunkers-busters » qu’ils
pourraient propulser sur l’Iran chiite
et dont Israël est déjà en possession.
Que l’infortuné
John Kerry –
dont la promesse d’« une incroyablement
petite » frappe sur la Syrie a fait de
lui la risée du Moyen-Orient -
comprenne le degré de l’engagement dans
lequel il entraine son pays aux côtés
des sunnites dans ce conflit le plus
vieux de l’islam, sujet à débats dans le
monde arabe (…).
Après avoir déjeuné
lundi au domicile parisien de Saud al-Faisal,
ministre saoudien des Affaires
étrangères, Kerry a dit qu’il apprécie –
aux dires des habituels officiels
anonymes - le leadership des
régimes autocratiques de la région et
qu’il partage le désir de Ryad de
dénucléariser l’Iran et de mettre fin à
la guerre en Syrie. Mais, l’insistance
de Kerry de voir Assad et son régime
abandonner le pouvoir signifie qu’un
régime sunnite doit les remplacer. Et
son souhait de désarmer l’Iran chiite -
aussi minimale que la menace nucléaire
puisse être - assurerait la
domination militaire sunnite sur le
Moyen-Orient, des frontières de
l’Afghanistan à la Méditerranée.
Peu de gens savent
que le Yémen est un autre champ de
bataille entre l’Arabie saoudite et
l’Iran : l’enthousiasme des Saoudiens
pour les groupes salafistes dans ce
pays, y compris le
parti Islah, financé, selon certains
par le Qatar, malgré ses dénégations,
est l’une des raisons pour lesquelles le
régime post-Saleh à Sana’a est soutenu
par les
« rebelles » chiites zaydites
houthis des provinces de Sa’adah, al
Jawf et Hajja, frontalières de l’Arabie
saoudite.
La monarchie
sunnite minoritaire à Bahreïn, jouissant
du soutien de l’Arabie saoudite et
naturellement des gouvernements
complaisants des Etats-Unis, France,
Grande-Bretagne et tutti quanti accuse
de pareille manière l’Iran chiite de
conspirer avec la majorité chiite de
l’île. Il est surprenant que le Prince
Bandar puisse reprocher à Obama de
n’avoir pas soutenu la politique
saoudienne à Bahreïn, obligeant son pays
à y envoyer des troupes pour mater les
manifestations chiites en 2011 quand, en
fait, le seul silence des Etats-Unis sur
la violence paramilitaire de cette
monarchie était ce que Washington
pouvait offrir pour conforter la
minorité sunnite et son Altesse, le roi
de Bahreïn.
L’un dans l’autre,
il existe un amour profond de l’Occident
pour l’islam sunnite - un amour qui ne
peut dire son nom dans le Golfe où
« démocratie »
« modération », « partenariat » et
dictatures absolues sont
interchangeables - que ni Washington, ni
Londres ou Paris
(ni aussi Moscou ou Beijing)
n’admettent. Cependant, cette passion
mutuelle est parcourue de secousses
désagréables et incongrues.
Les Saoudiens, par
exemple, blâment Obama pour avoir permis
le renversement de Moubarak en Egypte.
Ils reprochent aux Américains d’avoir
apporté leur soutien au président Morsi
des
Frères Musulmans après des élections
peu appréciées dans le Golfe.
Maintenant, les Saoudiens financent les
militaires égyptiens. Et, Assad, à
Damas, a aussi envoyé ses félicitations
à ces derniers… N’essaie-t-il pas, comme
les militaires égyptiens, d’empêcher les
extrémistes religieux de prendre le
pouvoir ?
Très bien - pourvu
que nous nous souvenions que les
Saoudiens soutiennent vraiment les
salafistes égyptiens qui, cyniquement,
ont offert le leur aux militaires
égyptiens et que ces salafistes,
financés par le royaume saoudien, sont
les plus féroces opposants d’Assad.
Grâce à Kerry et à
ses copains européens, l’absence d’une
mémoire institutionnelle au sein du
Département d’Etat, du Quai d’Orsay et
du
Foreign Office, signifie que
personne ne se rappelle que 15 des 19
terroristes du 9 septembre 2001 étaient
des salafistes -
et oublions cela, plaise à Dieu -
étaient des nationaux sunnites de
l’Arabie saoudite.
Titre AFI-Flash :
Les monarchies du Golfe, alliées
d’Israël… par procuration
*Article paru dans
The Independent (23/10/13) sous le
titre:
How the Sunni-Shia schism is dividing
the world
http://www.independent.co.uk/news/world/politics/how-the-sunnishia-schism-is-dividing-the-world-8899780.html
Traduction et
synthèse : Xavière Jardez
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 10 novembre 2013 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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