MADANIYA
Liban-captagon: Le stimulant du djihad
et
des revenus de leurs parrains 2/2
René Naba
Vendredi 25 août 2017
Rien, ni les coups de butoir djihadistes
pour disposer d’un accès à la mer, dans
le secteur de Tripoli (Nord-Liban), ni
leurs tentatives de déstabiliser le
Liban en vue d’ouvrir un nouveau front
pour combattre le Hezbollah sur son
terrain et élargir la guerre
chiite-sunnite à l’ensemble du
Moyen-Orient (Syrie, Irak, Liban,Yémen,
Bahreïn), ni les meurtriers attentats
suicides à coup de captagon qui
terrorisent tant la population. Rien,
pas plus la vacance présidentielle, la
paralysie progressive du pouvoir,
l’asphyxie de son économie…Rien
absolument rien: Dans ce pays mercantile
à l’excès, l’esprit de lucre primait
toute autre considération.
I – Les trois barons
Ils sont
trois à se partager le vaste et lucratif
marché des stupéfiants: un libanais et
deux syriens (Hassan Srour, Mohammad
Chéhadé et Khaldoun Al Ghoufeily)
Tous les
trois sont tombés en 2016 dans les rets
du Bureau Central de Lutte contre les
stupéfiants. Trois barons de la drogue
libanaise considérés comme les plus
importants propriétaires d’atelier et de
laboratoire de fabrication du captagon,
les plus gros producteurs et
exportateurs de cette drogue du Liban
vers le Golfe, via les voies d’accès à
Beyrouth (port et aéroport). A leur
actif ou leur passif, l’exportation de
plusieurs dizaines de millions de
comprimés de captagon vers les
pétromonarchies.
A- Hassan Srour, alias Abou
Abdo, un logement à proximité du QG de
bureau central de lutte contre les
stupéfiants
Le
Libanais est tombé en premier. Ingénieux
il avait pris un logement à proximité
immédiate du Quartier Général du Bureau
Central de la lutte contre les
Stupéfiants, Rue Bliss à Beyrouth dans
le périmètre de la prestigieuse
Université Américaine. Aux enquêteurs,
il avouera avoir choisi cette planque
pensant qu’il s’agissait du dernier
endroit au monde qu’ils décideraient de
ratisser.
Sauf que
l’ostentation est un vilain défaut
libanais. Le déploiement de limousines
au pied de l’immeuble ont mis la puce à
l’oreille des enquêteurs. Plusieurs
voitures spécialement aménagées pour le
transport de la drogue ont été saisies
de même qu’une grande quantité de
comprimés. Propriétaire d’un laboratoire
dans la plaine de la Beka’a, Hassan
Srour opérait en association avec son
frère, Abou Khaled, et de son neveu. Une
entreprise familiale en somme.
B- Mohammad Chéhadé, alias
Abou Abbas, un commandant des forces de
sécurité en guise d’associé en affaires.
Natif de
1964, habitant la bourgade de Flitta,
proche d’Ersal, théâtre d’affrontements
entre l’armée libanaise et les
djihadistes de Syrie, il dispose en
outre d’un appartement à Adama (Syrie).
Il croisera le fer avec les combattants
de Jabhat An Nosra dans le secteur d’Al
Qalmoun pour défendre son périmètre, son
commerce et son trafic, tant du captagon
que du haschich.
L’homme
a connu la célébrité lors de son
apparition sur la chaîne de télévision
syrienne «Al Ikhbariya», menotté, au
sein d’un groupe de trafiquants et de
passeurs interceptés alors qu’ils
tentaient d’écouler 500.000 comprimés de
captagon et de haschich.
Ses plus
grandes opérations de contrebande ont
été dirigées depuis deux appartements
l’un situé à Antélias, dans le secteur
chrétien de la grande agglomération de
Beyrouth, l’autre à Adama, en Syrie.
Abou
Abbas a été arrêté en 2011, au début de
la guerre de Syrie, puis relâché peu
après. Intercepté de nouveau le 5 mai
2017, l’enquête a révélé qu’il était
associé à un commandant des forces de
sécurité dans la production du
laboratoire d’Ersal. Le commandant (dont
les initiales sont B.N), qui a été
arrêté depuis, assurait non seulement sa
protection mais facilitait la sortie de
la production depuis Ersal et acheminait
la cargaison à bord de son véhicule de
service jusqu’à Beyrouth.
Interpol
avait lancé un mandat d’arrêt à son
encontre et toutes les polices du Golfe
étaient à ses trousses, particulièrement
l’Arabie saoudite, le Koweït et Doubai,
ses trois plus gros marchés
d’exportation. Il sera finalement arrêté
en dépit de nombreuses précautions:
changements fréquents de domicile, de
son nom d’identification, usage de
portables avec cartes pré-payées de
différents fournisseurs. Il passera aux
aveux, reconnaissant sa responsabilité
dans l’exportation du captagon vers le
Golfe, ainsi que la vente des éléments
nécessaires à la fabrication de cette
drogue à des sous traitants au Liban et
en Syrie.
C- Khaldoun Al Ghoufeily,
alias Abou Méchaal
Natif de
1990, ce syrien était réputé dans le
monde de la contrebande du captagon
malgré son jeune âge.
L’homme
ciblait particulièrement l’Arabie
Saoudite, le Koweït et le Qatar, deux
des trois grands financiers de la guerre
contre la Syrie, exportant dans ces
trois pétromonarchies plusieurs millions
de comprimés selon des procédés variés:
cargaison camouflée à l’intérieur de
tables en bois à destination du Qatar,
de plats en plastique à double fond à
destination du Koweït, des plants
destinés à la culture pour l’Arabie
Saoudite.
L’homme
disposait de plusieurs noms
d’identification: Abou Méchaal, Abou
Ahmed, Khaled Al Khalid, Al Khan
(l’oncle). Il a été identité par un
ancien complice lors d’un interrogatoire
musclé.
Khaled
Matroud Al Ghoufeily, son vrai nom,
vivait en fait à Antélias. Il a été
arrêté le 4 janvier 2016 à l’occasion de
la perquisition de sa planque. Un des
principaux financiers de la production
et la commercialisation du captagon, il
était opérationnel depuis 2011.
D – Un super baron à la tête
des 3 barons, sous traitants
L’arrestation des trois barons n’a pas
pour autant asséché le trafic. Trois
mois après leur arrestation, la
permanence du trafic au même degré
d’intensité tend à suggérer la présence
d’un réseau plus vaste et que les trois
barons ne seraient en fait que des sous
barons, agissant comme des sous
traitants d’un plus grand baron,
disposant d’une plus grande protection
et de plus grands soutiens.
Insaisissable pour le moment.
Au
déclenchement de la guerre de Syrie, le
Liban, mais aussi la Turquie (front nord
de la Syrie) et la Jordanie (Front sud
de la Syrie) sont devenus des points de
passage du trafic du captagon. Une
industrie devenue florissante avec
l’extension des hostilités, hissant le
Liban au rang de grand producteur de
cette drogue, encore que la production
et la consommation du captagon demeure
infiniment moindre que le haschich et
l’héroïne, en raison du prix prohibitif
du comprimé.
Les
pétromonarchies, avec leur pouvoir
d’achat supérieur à ceux du Liban et de
la Turquie, ont ravi le marché de la
consommation à leur profit, devenant les
plus gros consommateurs de ce produit
chimique magique. La commercialisation
de ce produit a atteint un degré de
sophistication rarement égalé: Aucun
tabou ne résiste à l’attrait du gain,
pas plus les intestins de mouton que de
faux exemplaires du Coran, tout est bon
pour s’engourdir et s’abrutir.
E – Ateliers mobiles
La
multiplication des perquisitions et des
saisies a conduit de gros producteurs
à opérer via des ateliers mobiles. Les
«stups» ont ainsi saisi un atelier
camouflé dans le coffre arrière d’une
voiture disposant d’une capacité de
production de plusieurs millions de
comprimés.
Les
laboratoires sont dissémines
principalement dans la plaine centrale
de la Beka’a et dans le nord du Liban,
une région à forte densité sunnite
autour de Tripoli, caractérisée par une
forte présence de sympathisants
pro-djihadistes, ainsi que dans le
secteur de FLITTA (Syrie) et de la
bourgade d’Ersal (Liban), longtemps un
champ d’affrontement entre l’armée
libanaise et les djihadistes de Syrie.
II- Le Hezbollah, engagé dans la
chasse aux trafiquants de drogue.
Devant
l’ampleur des ravages de la drogue et
des abus des trafiquants, le Hezbollah a
engagé en 2017, une bataille contre les
barons de la drogue, particulièrement
dans la banlieue sud de Beyrouth, son
fief, qui abrite près de 600.000
personnes, dans leur très grande
majorité de confession chiite.
Deux
vagues de perquisition ont été ordonnées
par le Hezbollah, la première d’une
durée de six semaines a eu lieu en
Février et Mars 2017, la seconde en
Avril. 50 personnes ont été arrêtées et
remises à la justice libanaise.
Le
Hezbollah a mis sur pied, à cette
occasion, un bataillon spécial de 120
personnes chargé de la lutte contre le
trafic des stupéfiants. Dénommé «Al
Abbas», le bataillon a été placé sous
l’autorité d’Abbas Hamiyeh, un
responsable qui appartient à l’une des
grandes tribus chiites de la plaine de
la Beka’a, qui passent pour compter des
«grands barons» de la drogue en leur
sein.
Outre le
clan Hamiyeh, les cinq autres tribus
dont le nom figure dans ce trafic sont:
Zeaiter, Jaafar, Moqdad, Amhaz et Berro.
Toutefois, l’un des grands chef de la
mafia libanaise de la drogue Nouh
Zeaiter, a échappé au coup de filet du
Hezbollah.
Pour aller plus loin sur ce thème,
voir la version arabe sur ce lien :
III – Le captagon, un stimulant
sexuel, le secret de son engouement au
sein des pétromonarchies
Le
succès du captagon au sein des
populations des pétromonarchies
s’explique par le rôle qui lui est
attribué de stimulant sexuel. Mis revers
de la médaille, la surconsommation de ce
stimulant réduit les capacités
génésiques et les performances sexuelles
du consommateur, le conduisant à un
usage renouvelé à des doses de plus en
plus élevées. Une surconsommation élevée
entraîne sur le long terme un véritable
collapsus physique. Une infernale
spirale.
Des
groupements djihadistes terroristes
comme l’État islamique ou Jabhat An
Nosra utilisent cette substance pour
inhiber la peur de leurs combattants.
Ces groupements produisent et utilisent
le captagon pour rendre les combattants
le plus opérationnel possible au moment
des combats, en faisant disparaître la
crainte et la fatigue. De surcroît le
comprimé rend insensible à la douleur en
cas d’interrogatoire musclé
Parfois
mixé avec la caféine, cette combinaison
stimule la dopamine et améliore la
concentration de l’individu. En raison
de ces vertus, le captagon a été un
temps utilisé comme médicament,
notamment pour traiter la narcolepsie et
l’hyperactivité, avant d’être considéré
comme substance addictive et interdit
dans plusieurs pays dès la décennie
1980.
Depuis
2011, la fabrication du captagon au
Liban, jusque-là principal producteur,
se serait largement délocalisée vers la
Syrie. La majeure partie des pilules est
désormais élaborée dans ce pays, selon
un responsable de l’unité de contrôle
des drogues libanais. Celles-ci sont
ensuite transportées par bateau ou
voiture de la Syrie vers le Liban et la
Jordanie.
Selon
l’Organisation mondiale des douanes
(OMD), la quantité de pilules saisies
dans les pays de la péninsule arabique a
fortement augmenté: plus de 11 tonnes de
captagon en 2013, contre 4 seulement
l’année précédente. Vendu entre 5 et 20
dollars le comprimé, le captagon offre
un potentiel de financement majeures du
djihad.
Le golfe
pétromonarchique est vraisemblablement
l’une des rares parcelles de la planète
où le paradis est au ciel et sur terre,
grâce au captagon. Et dire qu’ils
ambitionnent de régenter le Monde arabe.
Reçu de René Naba pour publication
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