Vu du Droit
Contrôle du confinement par les
gendarmes :
excès de zèle et arbitraire
Régis de Castelnau
Jeudi 16 avril 2020
Sur la base des
très mauvaises habitudes prises par les
forces de l’ordre dans la répression des
mouvements sociaux et l’utilisation de
violences
considérables couvertes par la
hiérarchie et la justice, la police et
surtout la gendarmerie se croient à
nouveau tout permis. Des quatre coins
de la France remontent des histoires
plus invraisemblables les unes que les
autres où l’on voit des Français déjà
soumis à la violence d’un
confinement-incarcération (légitime),
subir en plus les excès de zèle et
l’arbitraire d’un grand nombre d’agents
publics qui oublient leur mission
républicaine et en donnant le sentiment
difficile à dissiper qu’ils poursuivent
deux objectifs.
D’abord imposer leur pouvoir de la
façon la plus punitive possible, et
ensuite quoi qu’elles en prétendent
remplir les caisses de la manne dont
l’État est privé avec la quasi
disparition des infractions automobiles.
Répression d’ailleurs éminemment
sélective, puisque sur ordre paraît-il
de leur hiérarchie (voir le Canard
enchaîné) il leur a été demandé de
surtout ne pas intervenir dans les
banlieues difficiles. Ce qui permet à
ceux qui sont enfermés de voir les
vidéos sur lesquelles paradent des
irresponsables impunis.
Il est clair que
ces fautes n’auront aucune espèce de
conséquence ni de rappel à l’ordre, ni
de procédures disciplinaires vis-à-vis
de corps dont ce pouvoir a eu déjà un
pressant besoin et pense que ce sera
également le cas pour le jour d’après
pour affronter la colère populaire.
Alors il faudra utiliser la loi et
former des recours contre ces
procès-verbaux abusifs. Et si nécessaire
le moment venu saisir le juge pénal.
Atlantico m’a demandé mon avis.
Atlantico.fr :
Une femme âgée verbalisée pour avoir
saluée son mari derrière la vitre de son
Ehpad, deux personnels soignants
verbalisés pour avoir oublié leur
attestation en rentrant du travail, un
femme sanctionnée pour être allée faire
des courses à 5km de chez elle… A
ne rien faire ou à être trop
laxistes vis-à-vis des ces abus de
pouvoir, ne risquons-nous pas de donner
davantage de poids à ces petits chefs ?
Régis de
Castelnau : Les exemples que vous
rappelez sont consternants. Et
malheureusement
il y en a beaucoup d’autres tout aussi
lamentables qui remontent de toute
la France et qui témoignent d’une
volonté de répression complètement
disproportionnée. Il y a bien sûr la
volonté du pouvoir de faire respecter
strictement le confinement, stratégie
choisie par les autorités de l’État pour
éviter une contagion exponentielle
soumettant notre système de santé déjà
bien malade à une pression
insupportable. Dont acte, mais on va
quand même rappeler que ce qui est
imposé au peuple français dans sa
totalité est d’une grande violence. Il y
a d’abord tous ces travailleurs, appelés
forts justement « premiers de corvée »
qui sont montés au front avec au premier
rang les soignants mais pas seulement et
qui partent au travail avec un
dévouement magnifique, et bien sûr la
peur au ventre. Et comme l’a dit Rachida
Dati : « finalement ce sont les gilets
jaunes qui portent ce pays à bout de
bras ». Mais il y a aussi tous les
autres qui ont accepté sans barguigner
les mesures qui leur sont imposées, et
en particulier la première d’entre elles
qui est l’enfermement. Par expérience
professionnelle je sais ce qu’est la
prison, je peux vous dire
qu’actuellement il y a dans notre pays
50 millions de prisonniers. La moindre
des choses pour l’État qui impose
légitimement cette violence, et dont il
n’est pas excessif de dire que la
conduite a été pour le moins
approximative dans la période, serait de
tenir compte de cette situation. Or,
avec les comptes-rendus quotidiens de
l’évolution de la crise, le ministère de
l’intérieure annonce triomphalement le
bilan des amendes infligées aux
contrevenants. Cette vision purement
répressive et nettement punitive
apparaît moins aux yeux de la population
comme une volonté d’être rigoureux dans
l’application du confinement, que comme
un moyen de remplir les caisses qui ne
sont plus alimentées par les infractions
automobiles.
Et cette impression
est complètement renforcée par le
comportement des forces de l’ordre qui
rivalisent de zèle gendarmesque parfois
le plus obtus. Ce qui est assez
dramatique, c’est qu’avec cette fois-ci
la gendarmerie au premier rang, c’est le
règne des petits chefs ivres de la
volonté de punir. On me dira qu’il ne
faut pas généraliser, mais
malheureusement les informations que
nous recueillons montre que la
répression obtuse est beaucoup trop
souvent destinée à rappeler « qui c’est
qui commande » en mode petit chef. Il
est d’ailleurs intéressant de constater
que ce comportement est largement
partagé dans une partie de
l’administration, que ce soit au niveau
des préfectures ou des agences
régionales de santé. Au moment du bilan,
il faudra faire la clarté sur tous les
mécomptes en termes de sécurité publique
provoqués par un fonctionnement
bureaucratique sans contrôle.
Dans tous les
exemples qui nous sont donnés, il y a
trois catégories. Tout d’abord le refus
d’intégrer la violence des mesures qui
sont imposées à notre peuple et de
prévoir la moindre adaptation, la
moindre souplesse, la moindre indulgence
dès lors que la bonne foi est
incontestable. L’image de la personne
âgée saluant son mari derrière la
fenêtre de l’EHPAD ou de cette
infirmière rentrant de 24 heures de
lutte contre le Covid dans son
établissement et verbalisé pour un
document oublié, ces images donc, sont
calamiteuses en ce qu’elles expriment la
mentalité qui ne voit que la consigne et
la volonté de faire du chiffre en
frappant les citoyens.
Il y a ensuite les
purs et simples excès de pouvoir. Les
petits chefs qui s’arrogent le droit
d’interpréter la loi à leur façon et
fouillent les caddies pour y repérer les
marchandises « de première nécessité
» verbalisant pour deux paquets de
biscuits ou des serviettes périodiques
(!). C’est absolument insupportable
d’arrogance et de volonté manifeste
d’humilier. Alors on va rappeler que le
seul qui peut interpréter la loi, c’est
le juge. Et encore faut-il que cette loi
soit suffisamment précise.
Et il y a bien sûr
enfin le laxisme à faire respecter les
règles du confinement dans les quartiers
dits « difficiles ». Le Canard enchaîné
nous avait dit que le ministère lui-même
avait ordonné de ne pas essayer par peur
des incidents. On ne sait pas s’il
s’agit réellement d’une consigne
gouvernementale, mais il y a
suffisamment de vidéos en circulation
pour que saute aux yeux le « deux poids
deux mesures ». Qui aggrave encore le
sentiment d’arbitraire des excès dont
nous parlons.
Il est clair pour
répondre à votre question que nous ne
devons pas accepter ces comportements.
La période du confinement n’est pas
favorable évidemment à une riposte
organisée à ces dérives, il faut
cependant toutes les recenser dans la
perspective du « jour d’après » ou sur
ce point également il faudra faire les
comptes.
Y-a-t-il des
sanctions déjà existantes qui pourraient
être appliquées lorsque de tels abus de
pouvoir ont lieu ?
Régis de
Castelnau : Concernant la question
des sanctions, nous sommes d’ores et
déjà confrontés aux problèmes liés au
confinement, et en particulier
l’impossibilité d’accès aux tribunaux.,
Mais il y en a également un autre qui
est celui de l’appui des autorités de
l’État à ces dérives. Chaque fois qu’un
scandale concernant des contrôles
abusifs éclate, on voit les préfectures
se précipiter au secours des pandores.
Mais il y a également le plus haut
niveau de l’État. Avons-nous entendu
Christophe Castaner s’exprimer sur autre
chose que le bilan triomphal du nombre
d’amendes délivrées ? Bien sûr que non,
une partie des forces de l’ordre se
croit autorisée à tous ces excès car
elle a l’expérience de ce qui s’est
passé avec les mouvements sociaux des
gilets jaunes, du projet de loi
retraite, des manifestations des
hospitaliers et des pompiers. Une
répression sans mesure, assortie de
violences qui ont scandalisé la presse
étrangère, et qui ont fait l’objet d’un
déni systématique du pouvoir exécutif à
commencer par son chef Emmanuel Macron.
Et bien évidemment du refus par la
justice de les sanctionner. Il n’est pas
abusif de dire que les excès actuels ne
sont d’une certaine façon la
continuation de ceux qui se sont
produits dans la période précédente.
Comment voulez-vous dans ces conditions
que certains membres des forces de
l’ordre ne se croient pas tout permis ?
La première
sanction de ces abus devrait être
d’abord et avant tout disciplinaire.
Quelques mises à pied et quelques
procédures immédiates assorties de
sanctions seraient de nature à en calmer
beaucoup.
Malheureusement il
n’y a aucune illusion à se faire sur ce
point, le pouvoir actuel a trop besoin
des forces de l’ordre et de leurs
syndicats pour affronter la suite et «
le jour d’après ».
Alors on ne saurait
trop conseiller, d’abord à ceux victimes
d’abus de pouvoir de contester
immédiatement les procès-verbaux. Il
existe plusieurs plates-formes qui
expliquent la procédure à suivre et qui
fournissent des lettres types pour le
faire. Et en cas de saisine des
tribunaux on peut espérer que ceux-ci
adoptent et généralisent le refus
d’appliquer ces textes sans
qu’auparavant le Conseil constitutionnel
ait pu être consulté sur leur conformité
à la Constitution.
Est-ce que
d’autres sanctions pourraient être
imaginées ? Quelles nouvelles sanctions
devraient être mises en place pour
dissuader certains fonctionnaires de
faire des abus de pouvoir ?
Régis de
Castelnau : Il existe dans le Code
pénal des infractions spécifiques aux
abus d’autorité. À commencer par le fameux
article 432-4 du Code pénal relatif
aux actes attentatoires à la liberté
individuelle. Celle d’aller et venir en
fait partie et est fondamentale. Les
pouvoirs publics l’ont restreinte et en
ont décrit les limites. Le fait pour les
gendarmes de dépasser les limites fixées
par la loi relève de cette infraction
particulièrement grave. Le cas de cet
homme verbalisé parce qu’il se rendait
au chevet de son père mourant et à qui,
une fois le procès-verbal dressé, on a
imposé de faire demi-tour est une
atteinte à la liberté de circuler qui ne
fait en aucun cas partie des
restrictions imposées par le texte
conjoncturel du confinement. Alors bien
sûr, cette décision imbécile ne devrait
pas faire l’objet de cette lourde
procédure pénale, qui s’apparenterait au
marteau pilon destiné à écraser une
mouche, mais plutôt d’une procédure
disciplinaire assortie de la sanction
qu’elle mérite.
Plus intéressant,
on peut imaginer le délit de concussion
prévu par l’article
432-10 du Code pénal qui réprime :
«Le fait, par une personne dépositaire
de l’autorité publique ou chargée d’une
mission de service public, de recevoir,
exiger ou ordonner de percevoir à titre
de droits ou contributions, impôts ou
taxes publics, une somme qu’elle sait ne
pas être due, ou excéder ce qui est dû
». Parmi toutes les histoires qu’on
apprend, il est clair qu’un certain
nombre de membres des forces de l’ordre
ont appliqué des amendes pour faire du
chiffre sachant qu’elles n’étaient pas
dues. Un gendarme sait très bien, où
doit savoir, il n’a pas le droit de
fouiller les caddies ou de s’instituer
juge de savoir si des paquets de
biscuits ou des serviettes périodiques
féminines sont de première nécessité ou
pas…
La période de
confinement est un moment absolument
extraordinaire au sens premier du terme.
Mais il faut être clair les dérives
arbitraires des petits chefs qui sont
autant de désordres, ne sont possibles
que parce qu’elles sont couvertes par
les autorités supérieures. Sans l’appui
et la complaisance du ministère de
l’intérieur, elles ne pourraient pas se
produire avec cette facilité. Quelques
déclarations bien senties et quelques
procédures disciplinaires seraient de
nature à rétablir l’ordre. Et ramener à
une saine discipline sans démobiliser.
Ne rêvons pas.
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