Vu du Droit
Condamnés de Bagdad :
quand les belles âmes font la leçon
Régis de Castelnau
Mercredi 5 juin 2019
Un certain nombre de gens habituellement
silencieux sur les guerres d’agression
sanglantes menées par les États-Unis ou
par la France comme en Libye et aussi,
il faut le dire en Syrie, ont jugé utile
de prendre la pose et de se prétendre
combattants infatigables contre la peine
de mort.
Des avocats ont en effet lancé une
pétition pour demander à la France
d’intervenir pour éviter qu’en Irak la
peine capitale soit appliquée à des
combattants coupables de crimes de
guerre et de crimes contre l’humanité.
La justice
irakienne a donc condamné à mort 11
français qui avaient rejoint Daesh pour
se livrer sur le territoire d’un pays
souverain à une guerre barbare. Nous
savons tous les exactions abominables
commises par ces gens, qui ont quitté la
France précisément pour les commettre et
peut-être devrions-nous faire preuve
d’un peu de modestie et de moins
d’arrogance vis-à-vis d’un pays
martyrisé depuis l’agression commise
contre lui par les États-Unis et une
coalition internationale, que beaucoup
de nos belles âmes avaient fermement
soutenue, n’est-ce pas
Romain Goupil, André Glucksmann, Pascal
Bruckner, et autres Bernard Kouchner
? Ce crime relevant de la justice
internationale n’a pourtant jamais été
puni, alors que chacun sait qu’il a
provoqué la mort de près d’un million de
personnes, des centaines de milliers de
réfugiés, et était à l’origine directe
de la création d’une organisation
terroriste qui a porté la mort jusque
chez nous.
On notera
l’hypocrisie de tous ceux qui restent
muets sur la responsabilité des acteurs
de la mise à feu et à sang d’une région
entière. Et sur celle de la France, dont
il faut rappeler qu’elle a armé les
djihadistes en Syrie, ceux-là même dont
Laurent Fabius dira « qu’ils
faisaient du bon boulot ». Qui ne
semblent voir aucun inconvénient à la
vente d’armes à l’Arabie Saoudite pour
écraser dans des conditions abominables
la population du Yémen. Et qui bien sûr
ont trouvé parfaitement normale la
répression de masse, policière et
judiciaire qui s’est abattue sur les
gilets jaunes, à coups de violations des
libertés fondamentales, de procédures
illégales, et d’instrumentalisation
cynique de la justice. Mais pour les
signataires, tout ceci n’est pas grave,
ce n’est pas de nature à porter « une
tache sur le mandat d’Emmanuel Macron
», mais en revanche, ne pas obtenir
le retour des criminels djihadistes en
France, ce serait affreux. Les
violations des libertés publiques, les
atteintes permanentes à la liberté
d’expression, à la liberté de
manifestation, les lois scélérates, les
incroyables violences policières qui
scandalisent l’opinion internationale,
tout cela n’a aucune importance.
J’avais relayé une pétition d’avocats
français publiée comme celle-ci par
France TV info qui dénonçait les
conditions de la répression décidée par
Macron comme seule réponse au mouvement
social des gilets jaunes. Un petit
pointage permet de constater l’absence
de ces belles âmes pour qui la
compassion et la défense des principes,
sont à géométrie variable. Et leur
engagement, plus il est géographiquement
lointain, mieux c’est. On fera une
exception pour le grand Henri Leclerc,
ce qui ne surprendra personne.
J’invite à lire
attentivement cette pétition qui prétend
défendre des principes mais n’est en
fait qu’un texte ronflant d’une
étonnante arrogance, donneur de leçons
tous azimuts, et finalement quelque part
assez lâche.
Il nous rappelle
avec grandiloquence que la peine de mort
a été abolie en France en 1981. Je
considère pour ma part que cette
abolition dans sa dimension humaine et
symbolique fut essentielle. Et ce m’est
une fierté que mon pays n’use plus d’un
châtiment inutile qui rabaissait l’État
au rang des assassins. On rappellera
simplement qu’une vie entière entre
quatre murs c’est également une terrible
violence. Fort bien, mais nos vaillants
signataires oublient de rappeler que
cette abolition s’est faite dans un pays
en paix, dans lequel le code pénal, où
était inscrite la sanction suprême
aujourd’hui effacée, est l’outil
juridique dont dispose l’État pour
combattre la délinquance, c’est-à-dire
ceux qui violent les lois, et commettent
des infractions dites de droit commun.
Et ceux qui se servent de cet outil,
s’appellent dans une société pacifiée la
police et la justice qui dans la
légalité défendent l’ordre public. Ces
règles sont celles que le peuple
français a souverainement adoptées pour
le territoire où s’exerce cette
souveraineté. Vouloir les exporter est
très honorable si on les pense
universelles et il faut diplomatiquement
y travailler. Quoique pour l’instant par
exemple, il semble que Madame Parly,
guère critiquée par les belles âmes
signataires, préfère envoyer des armes à
l’Arabie Saoudite pour écraser un peuple
voisin, plutôt que de lui recommander
d’arrêter de décapiter au sabre tous les
jours dans ses rues.
Le problème, c’est
que l’Irak est en guerre et n’a connu
que cet état depuis 16 ans. Que ce
conflit lui a été imposé par l’Occident,
seule la détermination de Jacques Chirac
nous ayant permis d’en éviter le
déshonneur. Ce pays en subit donc
aujourd’hui avec le djihadisme une
poursuite atroce avec une grande partie
de ses ennemis venant de l’extérieur y
apporter la barbarie. L’Irak en guerre,
applique donc les lois de celle-ci qui
prévoient le châtiment des coupables de
crimes de guerre, et cela relève de sa
souveraineté de considérer que ces
crimes-là peuvent encourir la peine de
mort. Présenter tout ceci comme un
problème de répression de la délinquance
avec obligation d’appliquer nos propres
règles de pays en paix est absolument
malhonnête.
« La France n’a
pas voulu rapatrier ses ressortissants
et a préféré les exposer à la peine de
mort et à des procès expéditifs dont
nous savons qu’ils méconnaissent
gravement les droits de la défense »
nous dit la pétition. Ah bon ? J’aurais
plutôt pensé que le reproche que l’on
pouvait faire à la France, c’était de
pas avoir été capable d’empêcher un
certain nombre de ses ressortissants
d’aller en Irak y commettre des
atrocités. Que les premiers responsables
de cette exposition à la peine de mort
étaient justement ses ressortissants. Et
que c’est peut-être pour cette raison
qu’un minimum de modestie et de
discrétion s’imposait. Et puis il y a
cette phrase étonnante de prétention
« des procès expéditifs dont nous savons
qu’ils méconnaissent gravement les
droits de la défense ». Ah c’est
cela, tous ces gens savent, ils savent
absolument, comment doit fonctionner une
justice, que ce sont eux qui ont le bon
système, les bonnes valeurs, les bonnes
références et qu’on on ne peut pas faire
confiance aux Irakiens. Parce que ce
sont des arabes ? Mesurez-vous chers
signataires l’arrogance coloniale pour
ne pas dire plus de cette façon de
donner des leçons à un pays souverain à
ce point confronté au malheur ? Et puis
dites donc, on ne vous a pas beaucoup
entendu lorsque Saddam Hussein a été
pendu, je ne me rappelle pas avoir lu de
pétition. Cette fois-ci, c’est parce que
les condamnés sont français ? Pendre
Saddam Hussein c’était un règlement de
comptes entre sauvages, c’est ça ?
Au-delà d’une
petite opération politicienne évidente,
cette grandiloquence, cette hypocrisie,
cette arrogance sont finalement le
masque d’un « occidentalisme »
idéologique, celui qui avait justifié et
applaudi l’agression voulue par George
Bush, celui qui justifie la mise à feu
et à sang du Moyen-Orient qui dure
toujours.
Et qui permet
ensuite venir donner des leçons à ceux
qui en sont les victimes.
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