Chronique de
Palestine
Les pétards mouillés de Mahmoud Abbas
Ramzy Baroud
Réunion de l'OLP à
Ramallah en 2016 - La "direction" palestinienne
ne survit que grâce
au bon vouloir de
l'occupant israélien, et l'Autorité de
Ramallah est son hochet
pour jouer à la
comédie du pouvoir - Photo : Archives
Jeudi 25 juin 2020
Cette fois, nous
assure-t-on, les choses sont différentes
et le chef de l’Autorité palestinienne,
Mahmoud Abbas, est tout à fait sérieux
quant à sa décision de libérer son
équipe de tous les accords précédents
signés avec Israël et les États-Unis. Mais cette fois-ci,
ce n’est guère différent, et Abbas n’est
pas sérieux.
« L’Organisation de
libération de la Palestine (OLP) et
l’État de Palestine se retirent … de
tous les accords et arrangements avec
les gouvernements américain et israélien
… y compris ceux relatifs à la
sécurité », a
déclaré Abbas lors d’une réunion
d’urgence de son équipe à Ramallah le 19
mai.
Sans surprise,
aucune manifestation digne de ce nom n’a
été signalée dans toute la Palestine
occupée pour soutenir la dernière
décision d’Abbas. À part l’intervention
de quelques loyalistes dans les médias
contrôlés par l’AP, on pouvait croire
qu’Abbas n’avait pas prononcé un seul
mot, et encore moins annulé tous les
accords qui ont justifié l’existence
même de son Autorité depuis près de 30
ans.
La vérité évidente
est qu’Abbas a cessé depuis longtemps de
représenter quoi que ce soit pour les
Palestiniens. Mais pour Israël, il a
toujours beaucoup compté, car son
Autorité a servi de tampon sécuritaire
supplémentaire entre les Palestiniens
sous occupation et l’armée d’occupation.
Grâce à la « coordination sécuritaire »,
Israël a pu en toute tranquillité
fortifier son occupation.
Les Palestiniens
ont depuis longtemps perdu toute
confiance en Abbas, comme le prouvent
les enquêtes d’opinion publique qui se
sont succédé. Cela n’a rien de soudain,
mais c’est l’accumulation de décennies
d’échecs et de déceptions. L’engagement
d’Abbas envers les accords d’Oslo n’a
absolument rien donné, si ce n’est la
création d’un appareil répressif
omniprésent et totalement corrompu dont
la raison d’être est avant tout de « coordonner »
l’assujettissement des Palestiniens avec
leurs oppresseurs israéliens.
Depuis son arrivée
au pouvoir en 2005, Abbas et ses
affiliés au sein du parti du Fatah ont
été obsédés par leur inimitié, non pas
envers Israël et les États-Unis, mais
envers les propres rivaux palestiniens
d’Abbas, au sein même du Fatah –
Mohammed Dahlan, etc… et, dans une plus
large mesure, avec le mouvement du Hamas
à Gaza.
Israël est souvent
dénoncé dans les nombreux
discours d’Abbas à Ramallah et à
l’Assemblée générale des Nations unies à
New York, mais malgré toute cette
rhétorique, peu ou pas d’action n’a
jamais suivi. En même temps, les soldats
israéliens et les colons juifs ont
continué à abuser systématiquement des
Palestiniens, sans aucune limite.
Pas une seule fois
les forces de sécurité d’Abbas (estimées
à 80 000 membres), toujours plus
nombreuses, n’ont bloqué le passage d’un
seul bulldozer israélien qui
démolissait une maison palestinienne
ou
déracinait une ancienne oliveraie en
Cisjordanie. Elles n’ont pas non plus
empêché l’arrestation d’un seul militant
contre l’occupation israélienne.
Souvent, elles ont
procédé elles-mêmes à ces
arrestations.
Alors même
qu’Israël
pilonnait massivement Gaza avec des
bombes et du phosphore blanc, Abbas
continuait d’aboyer
des insultes à ses ennemis palestiniens.
Il condamnait la résistance armée de
Gaza, mais sans jamais offrir aucune
alternative à la version de la prétendue
« résistance » qu’il défendait.
Mais si Abbas a
réussi à survivre dans ces conditions
humiliantes, pourquoi déciderait-il
d’annuler les accords maintenant ? Pour
répondre à cette question, examinons
d’abord le contexte politique de la
décision d’Abbas.
En
février 2015, Abbas avait déjà
menacé de rompre la collusion répressive
avec Israël en réponse à la décision
israélienne de retenir des millions de
dollars de recettes fiscales
palestiniennes, que Tel-Aviv obtient au
nom de l’AP. Des menaces similaires ont
été faites en
juillet 2017, cette fois en réponse
aux mesures illégales prises par Israël
autour des lieux saints musulmans de
Jérusalem occupée. Puis à nouveau en
septembre 2018, lorsque les
États-Unis ont
reconnu unilatéralement Jérusalem
comme capitale d’Israël. Et encore une
fois, en
juillet 2019, lorsque Israël a
démoli des maisons palestiniennes à
Jérusalem-Est occupée.
Le dernier épisode,
la
menace d’Abbas de dissoudre l’AP,
était une réponse à l’annonce américaine
du « Contrat
du siècle« .
Ce ne sont là que
les quelques menaces notables qui ont pu
faire l’objet d’une couverture
médiatique. En réalité, Abbas a mené sa
« guerre » contre Israël sous la forme
de menaces sans fin qui ont toujours
suscité en retour le mépris d’Israël.
La différence,
cette fois, est que Abbas n’a jamais
connu un tel degré d’abandon et de
vulnérabilité politique. Abandonné par
les Américains et désavoué par les
Israéliens, la crédibilité d’Abbas est
au plus bas. Plus important encore, le
peuple palestinien a depuis longtemps
abandonné toute illusion que le chemin
de la libération passerait par le bureau
d’Abbas à Ramallah.
Submergé par de
nombreux obstacles, Abbas a décidé de
mener ce qui sera très probablement son
dernier acte politique. Ce qui se
passera ensuite importe peu, car à ce
stade, le leader palestinien de 84 ans
n’a plus rien à perdre.
L’annulation de
l’engagement palestinien envers les
accords devrait se traduire par peu de
choses sur le terrain, étant donné
qu’Israël et les États-Unis ont déjà et
depuis longtemps ôté toute signification
à ces
accords.
Les accords d’Oslo
étaient censés avoir de la pertinence
jusqu’à un certain point, jusqu’en 1999,
lorsque les négociations sur le statut
final devaient être la dernière étape
avant la création d’un État palestinien
indépendant.
La question de
Jérusalem, tout comme les droits des
réfugiés palestiniens, devait être
résolue à ce moment-là, et non pas être
complètement « retirée de la table » des
négociations deux décennies plus tard.
Aucun échange territorial – et encore
moins aucune annexion – ne devait être
autorisé sans un accord bilatéral entre
les deux parties.
Seuls deux éléments
de ces accords ont survécu aux
nombreuses violations commises par
Israël : la « coordination de la
sécurité » et l’ « argent des
donateurs », qui ont permis à l’AP et à
son armée pléthorique – mais inutile –
de continuer à fonctionner.
Maintenant que les
États-Unis ont
supprimé tous les fonds destinés à
l’Autorité d’Abbas et que le nouveau
gouvernement d’unité nationale israélien
a décidé, en principe, d’annexer une
grande partie de la Cisjordanie, Abbas
se retrouve les mains totalement vides.
En annulant tous
les accords, Abbas et ses partisans
espèrent que la sonnette d’alarme sera
tirée à Washington et à Tel-Aviv,
d’autant plus que l’arrêt de la
« coordination de la sécurité » pourrait
s’avérer coûteux pour la sécurité des
colons juifs d’Israël.
Si Abbas était, en
effet, sérieux dans son annonce, il
aurait inclus dans son discours une
proposition claire pour un nouveau
programme politique palestinien fondé
sur l’unité des Palestiniens. Mais une
véritable stratégie palestinienne n’a
jamais été dans les vues du dirigeant de
l’AP.
Ce que Mahmoud
Abbas espère réaliser, avec ses
dernières mises en scène, c’est
l’établissement d’un nouveau jeu
politique basé sur l’ambiguïté
politique, afin qu’il ne soit pas
entièrement abandonné par ses partisans
occidentaux, ou finalement rejeté comme
collaborateur par son propre peuple.
* Ramzy Baroud
est journaliste, auteur et rédacteur en
chef de
Palestine Chronicle. Son prochain
livre est «The
Last Earth: A Palestine Story» (Pluto
Press). Baroud a un doctorat en études
de la Palestine de l’Université d’Exeter
et est chercheur associé au Centre
Orfalea d’études mondiales et
internationales, Université de
Californie. Visitez son site web:
www.ramzybaroud.net.
27 mai 2020 –
RamzyBaroud.net – Traduction :
Chronique de Palestine
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