Opinion
Affaire des moines de Tibhirine : quand
le juge Marc Trévidic «insulte» les
experts algériens
Rafik Meddour
Photo:
D.R.
Mercredi 12 novembre 2014
Le juge antiterroriste au Tribunal de
grande instance de Paris ne fait pas
confiance aux compétences algériennes.
Il le dit clairement lors de son
passage, hier, à la radio France Inter.
«On nous dit que les experts algériens
sont très compétents, je veux bien le
croire… Ce sont des expertises très
pointues, très techniques, il faut du
matériel très sophistiqué. Si on nous
donne l'assurance absolue qu'ils sont
capables de le faire (ce n’est pas du
tout ce que j'ai compris quand j'étais
là-bas) je veux bien», a déclaré ce
juge, proche des thèses du «qui tue qui»
en Algérie, chargé de l’enquête sur
l’assassinat des moines de Tibhirine en
1996. Ainsi, il doute fortement des
compétences et des qualifications des
experts algériens qui ont pourtant reçu
des formations dans les grandes écoles
américaines spécialisées dans ce
domaine, et sont habitués à des analyses
plus complexes et plus délicates avec du
matériel ultra-sophistiqué. Ces experts
ont réussi d’ailleurs en un temps record
à identifier les corps carbonisés lors
de l’attaque terroriste contre le site
gazier de Tiguentourine. Cela ne semble
pas suffire aux yeux de ce juge qui
craint pour le sort des prélèvements. Il
met en avant le fait que l’expertise des
prélèvements ne peut pas se faire deux
fois. «Mais les prélèvements, une fois
qu'ils sont expertisés, on ne peut pas
le faire deux fois. Après, c'est fini »,
a-t-il insisté dans une vaine tentative
de convaincre les autorités françaises
d’exercer plus de «pressions» sur
l’Algérie pour autoriser l’envoi de ces
«prélèvements» en France. «Les autorités
algériennes feront quelque chose si les
autorités françaises poussent pour
qu'elles le fassent. J'ai l'impression
qu'il faut un minimum mettre la pression
pour que ça avance dans ce dossier. Et
quand je dis un minimum, c'est une
litote», a-t-il dit, reconnaissant
encore une fois avoir pu effectuer dans
de bonnes conditions son travail lors de
son voyage en octobre dernier. Mais il
reste déçu de n’avoir pas pu prendre
dans ses valises ces fameux
prélèvements. «Pendant la semaine, on a
pu faire tout ce qu'on fait
traditionnellement au microscope,
analyse des têtes, des vertèbres, etc.
La science est très évoluée maintenant.
C'est vrai qu'on pourrait avoir des
certitudes sur différentes questions si
on avait les prélèvements qu'on a faits
sur place. Et on a été très déçus, c'est
une grande surprise», a-t-il relevé. Le
but inavoué de son enquête est de
créditer la thèse du «qui tue qui» en
Algérie. Il espérait ainsi trouver des
«preuves compromettantes» contre
l’institution militaire algérienne. Mais
au vu des premiers éléments de son
enquête, tous les scénarios échafaudés
depuis des années s’écroulent sous la
preuve scientifique. Son enquête vise en
effet à déterminer si les moines avaient
été égorgés ou décapités après leur
mort. Craignant visiblement que les
résultats des prélèvements consolident
la version officielle selon laquelle les
moines ont été décapités par le GIA, le
juge Trévidic prend ses devants en
soulignant que «déterminer comment sont
morts les moines ne permettra pas en soi
de trancher entre la version officielle,
un assassinat par le Groupe islamique
armé, et d'autres hypothèses autour
d'une bavure ou d'une manipulation de
l'armée algérienne». Le juge Trévidic ne
semble en effet pas apprécier les
déclarations du ministre français des
Affaires étrangères, Laurent Fabius, qui
a appelé au «respect du droit algérien»
dans cette affaire. «La procédure doit
respecter le droit algérien comme le
droit français», a-t-il déclaré à la
presse lors de sa visite en Algérie en
compagnie du ministre de l’Economie,
Emmanuel Macron. Une visite lors de
laquelle il a loué la qualité de la
coopération sécuritaire, mais aussi
judiciaire entre les deux pays.
Rafik Meddour
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