Turquie
Entre coup d'état raté et scénario
prévu,
la Turquie sur le fil du rasoir
Antoine-Noura
Reccep
Tayyeb Erdogan, le président turc.
©Sputniknews
Mardi 26 juillet 2016
Le 15 juillet le monde entier a
retenu son souffle face au coup d’Etat
qui se déroulait en Turquie. Nombreuses
sont les personnes qui se sont
précipitées soit pour fêter la nouvelle,
soit pour dénoncer l’événement. Mais que
s’est-il passé en Turquie le 15 juillet
dernier ? Et où va la Turquie après ce
coup d’Etat raté ?
Nombreuses
sont les versions et les rumeurs à
propos de ce coup d’Etat raté en Turquie
le 15 juillet. Certains veulent voir
absolument une implication américaine.
D’autres une manœuvre russe ou un vrai
putsch en réaction à la politique menée
par le président Recep Tayyeb Erdogan.
Si le scénario d’une éventuelle
implication américaine se confirme, cela
signifie que ces derniers ont réalisé
une manœuvre « d’une pierre deux coups
,» dans la mesure où ils auraient piégé
les militaires, les poussant au coup
d’Etat sachant qu’ils allaient les
lâcher au milieu du chemin. S’il s’avère
vrai, ce scénario de coup d’Etat permet
aux américains de se débarrasser des
risques d’une dictature militaire qui
était prévisible depuis un moment en
Turquie. D’un autre côté, les américains
donnent l’illusion à Erdogan de le
sauver tout en l’affaiblissant,
puisqu’il devient ingérable comme allié,
notamment dans le dossier syrien,
sachant qu’américains et russes sont
parvenus à un compromis dans l’affaire
syrienne. Au moins une chose est sûre,
un tel événement ne peut avoir lieu sans
que les américains et les russes soient
un minimum au courant. Est-ce que les
deux ennemis/alliés ont joué encore une
fois aux jeux de rapports de
force/compromis à propos de la Turquie ?
Il demeure utile de poser la question
sur les éventuelles concessions et
garanties que le président Erdogan a
donné aux uns et aux autres pour se
maintenir au pouvoir. Enfin, les
discours houleux du président turc
envers les Etats-Unis ne constituent
qu’une opération de communication à
destination de ses partisans radicaux et
conservateurs. N’oublions tout de même
pas que la Turquie est membre de l’OTAN.
Quant à la
théorie qui consiste de dire que c’est
le président Erdogan qui a commandité le
coup d’État, elle est plausible à une
période où le président turc se trouve
en grande difficulté sur le plan
extérieur et intérieur. Si nous croyons
le Washington Post, ce journal a publié
un article en date du 7 avril 2016 qui
indiquait qu’Erdogan était en train de
préparer un coup d’Etat afin d’asseoir
de plus en plus son pouvoir éliminant
ses opposants. Néanmoins, nous croyons
qu’il y avait un réel coup d’Etat.
Erdogan a été mis au courant par ses
services, mais il n’avait pas le choix
que de laisser faire le coup d’Etat, en
le précipitant, détournant la chose à
son profit. Selon le professeur
d’histoire et de langue turque à
l’université libanaise, Mohamad Nour El
Dine, la précipitation du putsch a eu
lieu puisque le lendemain, c’est-à-dire
le 16 juillet au matin, les services
secrets turcs, le haut commandement de
l’armée ainsi que la justice allait
arrêter et condamner tous les futurs
putschistes. De ce fait, nous comprenons
pourquoi ces derniers à l’inverse de
tous les coups d’Etat dans le monde ont
arrêté le chef de l’armée, celui de la
gendarmerie et non pas les autorités
politiques civiles. Probablement les
putschistes espéraient par ces
arrestations de leurs supérieurs que ces
derniers finissent par se rallier à eux.
Mais apparemment leur refus a constitué
une raison parmi d’autres expliquant
l’échec du coup d’Etat du 15 juillet.
Dans cette configuration les putschistes
n’avaient également pas le choix que
d’aller jusqu’au bout du processus
espérant des ralliements dans d’autres
villes qu’à Istanbul ou Ankara. Il
convient de préciser que le coup d’Etat
raté va permettre à Erdogan d’éliminer
ses opposants, de renforcer sa base
populaire, de profiter de l’occasion
pour tenter encore une fois
l’instauration d’un régime
présidentielle absolue et à vie,
modifiant la Constitution turque. Mais
la folie des grandeurs d’Erdogan risque
de l’isoler à cause de son absolutisme
islamiste et radical ainsi qu’en raison
de sa politique ultra-répressive. Certes
pour le moment le monde notamment
l’Occident ferme les yeux sur ce qu’il
se passe en Turquie, mais nous croyons
qu’à un moment donné de cette dérive
erdoganiste, les voix vont se lever, à
l’intérieur comme à l’extérieur de la
Turquie, ce qui va devenir un fait
accompli de pousser le président turc
vers la sortie. Puisque le risque est de
ne pas uniquement purger le système des
opposants, surtout d’après les purges en
cours, l’opposition à Erdogan a une
définition très large et ambiguë.
Le maintien
au pouvoir du président turc face à une
tentative de coup d’Etat risque de
renforcer la pensée et les pratiques des
islamistes radicaux dans un pays où
environ 10% de la population soutiennent
les factions comme Daech ou Al-Nosra
opérant en Syrie voisine. Le pouvoir va
être donné aux islamistes au détriment
des institutions étatiques comme la
justice et l’armée, ainsi qu’au
détriment des laïcs ? Cela risque de
fragmenter encore plus la société
turque, menant à de graves conflits
internes, nuisant à l’image de la
Turquie dans le monde. Mais, il suffit
de faire le bilan des islamistes qui ont
pris le pouvoir au Moyen-Orient
notamment suite au printemps arabe pour
deviner la suite d’une telle politique.
Erdogan a ouvertement affiché sa volonté
de nettoyer l’armée des éléments
suspects. Ce qui signifie que les purges
vont s’accentuer au sein de l’armée, ce
qui risque de l’affaiblir. Les prémices
à cela commencent à être perçus par le
quasi retrait des officiers de
renseignements turcs ainsi que des
conseillers militaires d’Alep. Quant à
l’institution judiciaire, sa purge
risque de donner plus de poids à une
justice issue d’une quelconque
interprétation sectaire. Le champ est
libre pour une justice des milices et
des radicaux, cela a été vu la nuit même
du putsch où des individus ont châtié
des soldats turcs, voir décapité
carrément un militaire, sans être
inquiétés. De toute façon les
conséquences vont être désastreuses sur
la Turquie qui est en train d’entamer en
ce moment sa régression. Cependant la
situation actuelle de la Turquie peut
servir Erdogan à détourner l’attention
des conservateurs musulmans ses premiers
partisans au sujet de sa réconciliation
avec Israël. Enfin, si Erdogan réclame
la tête de son maître de pensée le
conservateur Gülen, c’est éventuellement
pour régner seul sans concurrent sur le
secteur des islamistes
ultra-conservateurs.
Erdogan est
en train d’installer une dictature
islamique ultra-conservatrice aux portes
de l’Europe. Cela ne dérange pas les
démocrates occidentaux, tant que le
président turc reste au-dessous de
l’idée de rétablir la peine de mort.
L'Occident démocrate ne s'aperçoit pas
de ce qu’il se passe en Turquie, mais il
s’emploie depuis 5 ans à montrer que
Bachar Al-Assad président de l’Etat
syrien arabe et laïc, qui était en voie
de modernisation comme dictateur. Lui
qui n'a jamais osé faire ce qu’Erdogan
fait en ce moment en Turquie. Il y a eu
des erreurs de gestion dans la crise en
Syrie, comme il peut en avoir de partout
dans le monde, dans une situation de
guerre extrêmement difficile. Les
occidentaux n’ont cessé d’en profiter et
ainsi montrer le président syrien comme
un dictateur réprimant et tuant son
peuple. Mais, un autre qui purge son
pays arrêtant pour le moment environ 15
milles personnes, passe inaperçu. Quelle
ironie… L'Occident ne voit pas la
volonté expansionniste d'Erdogan et son
rêve ottoman, mais se focalise sur
l'expansion de l'Iran qui pour le moment
n'a prêché pour aucun empire quelconque.
Mais si les occidentaux se lève contre
Erdogan pour la peine de mort, c'est
uniquement parce qu'ils ne peuvent plus
par la suite justifier auprès de leurs
opinions publics leurs alliances avec un
tel régime. Finalement rien n’empêche
aux dirigeants occidentaux qui excellent
dans le domaine de l’hypocrisie de
souhaiter dans leur for-intérieur qu'Erdogan
rétablit la peine de mort, pour trouver
l’ultime prétexte à arrêter nette les
négociations de l'entrée de la Turquie
dans l'Union Européenne. De ce fait,
nous ne croyons pas qu' Erdogan remettra
en place la peine de mort, à moins d'un
coup de folie, mais ce n'est pas cela
qui manque en ce moment en Turquie.
Mais, qui est
le peuple turc qui est descendu dans les
rues pour défendre la Démocratie ?
Quelle définition a t-il de cette
dernière ? Si nous croyons Bahar
Kimoygün journaliste turc, les
manifestants de la Démocratie sont des
islamistes et des activistes d'extrême
droite. Est-ce que ces partis
représentent à eux seuls la totalité du
peuple turc ? Enfin, faire des partis
cités des représentants officiels de la
totalité du peuple turc, ne
signifie-t-il pas, prendre ce dernier en
otage, dans la mesure qu’ils ne sont pas
tout le peuple ?
A croire certaines rumeurs les listes
des opposants ont été établies peut
avant le coup d’Etat. Sinon comment
justifier sérieusement les arrestations
massives au lendemain d’un coup d’Etat
raté, sans la moindre enquête de la part
du pouvoir en place. Il y a des milliers
et de milliers de fonctionnaires de tous
les secteurs et les échelons démis de
leurs fonctions. Si tous ces individus
étaient vraiment impliqués dans le coup
d’Etat, certainement ce dernier aurait
réussi. D’où l’hérésie d’Erdogan qui
risque de former contre lui une vraie
société opposante dans le fond, la
pensée et la pratique.
La situation actuelle en Turquie risque
aussi de détourner Erdogan pour quelque
temps de la Syrie. A-t ’il négocié une
sortie à l’amiable du conflit syrien à
partir de ce coup d’Etat raté, sachant
qu’en Syrie sa partie s’avère perdue ?
Enfin, Erdogan s’engage dans une voie
sans issue, dans un mode de pensée
d’autre temps, dans un repli
identitaire. Le retour du président turc
sur l’histoire précisément sur la
période ottomane est très risqué dans un
monde ultra développé, moderne et
mondialisé, dans une société telle que
la société turque, une des plus moderne
au Moyen-Orient. Comme le dit bien le
journaliste chercheur et écrivain
libanais Fayssal Jaloul, la Turquie à
l’image du Japon et de l’Allemagne n’est
pas permise de réinstaurer à nouveau son
empire. Dans une telle configuration
Erdogan risque de régner qu’un temps.
Enfin, il demeure difficile de définir
qui en premier entre le président turc
et les militaires a déclenché un coup
d’Etat en Turquie. Est-ce que c’est le
président Erdogan avec sa politique
islamiste, absolutiste ou les militaires
qui agissent en réaction à cette
politique tout en se battants sur les
ordres du président turc notamment en
Syrie.
Antoine-
Noura
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