Opinion
Moins de liberté pour moins de sécurité
:
le triste bilan de Valls-Cazeneuve
Nicolas Bourgoin
Crédit : AFP / THOMAS SAMSON (Sept.
2014)
Vendredi 30 janvier 2015
Qui eut cru que la France de 2015
offrirait un tel tableau : plus d’une
centaine de procédures pour « apologie
de terrorisme », des dizaines de
personnes – dont des enfants et des
individus handicapés mentaux ou
simplement en état d’ébriété – condamnés
à de la prison ferme en comparution
immédiate. Rappels à l’ordre,
surveillance, délation, arrestations et
garde à vue pour avoir eu le seul tort
d’exprimer une opinion dissidente. Cette
hystérie collective rappelle étrangement
la chasse aux quenelliers de l’année
passée où plusieurs centaines de
personnes avaient perdu leur emploi.
Jamais aucun gouvernement n’aura
contribué à ce point à faire reculer les
libertés publiques : 2 lois
antiterroristes en moins de 3 ans, dont
l’une qui instaure un
délit d’opinion inédit dans le droit
pénal français, une
jurisprudence qui lamine le droit à
l’expression publique et artistique, une
loi de programmation militaire qui
légalise la surveillance d’Internet…
les verrous protecteurs de la vie privée
des citoyens sautent les uns après les
autres. Les réseaux sociaux sont une
cible privilégiée du zèle intrusif de
l’État qui a hissé la France au rang de
championne du monde de la censure de
tweets en 2014. Quant à Facebook,
il doit faire face à une
demande d’informations de la part du
gouvernement en hausse exponentielle
(plus 45 % en un an), plaçant notre pays
au quatrième rang mondial des plus
grands demandeurs (après les Etats-Unis,
l’Inde et l’Allemagne).
L’utilité de cette surenchère
sécuritaire ? vraisemblablement nulle,
aucune des personnes inquiétées n’ayant
selon toute vraisemblance la moindre
intention de commettre un quelconque
attentat. Pas plus que la promulgation
de la dernière loi antiterroriste – sans
doute
la plus liberticide jamais votée –
n’a pu prévenir la fusillade de Charlie
Hebdo, cette chasse aux sorcières ne
fera diminuer le risque d’attentat.
Cette absurdité est représentative de
la politique suivie par le ministère de
l’Intérieur : entièrement mobilisé sur
le front d’un risque qui fait moins de
10 victimes par an, il tourne le dos à
la lutte contre l’insécurité réelle qui
concerne des centaines de milliers de
personnes. Dès lors, on ne s’étonnera
pas que les chiffres de la délinquance
soient chaque année plus mauvais. Nous
l’avions
constaté en 2013 et 2014 ne fait
pas exception.
Quasiment
tous les signaux sont au rouge :
d’après les chiffres de l’ONDRP, les
agressions contre les personnes ont cru
respectivement de 4,5 % et 8,6 % (selon
les zones rurales de la gendarmerie ou
urbaines de la police) pour dépasser le
demi-million par an (plus de 10 % pour
les viols). Mention spéciale pour les
coups et violences ayant entraîné la
mort qui progressent de 40 % en moyenne.
Pour ce qui est des atteintes aux biens,
les escroqueries économiques et
financières augmentent de 4,4 % et 7,9
%, selon les zones rurales ou urbaines.
En zone police, les cambriolages dans
les résidences secondaires ont bondi de
plus de 41 %, soit plus de 1 200 faits
supplémentaires constatés en un
an. Excepté la baisse des vols avec
violence en zone police (-9,4 %), tous
les types de violences augmentent dans
les tableaux statistiques des deux
forces de sécurité, notamment les
violences non crapuleuses.
Les menaces et chantages ne cessent
également de progresser (de 4,3 % ou
12,3 % suivant les zones). La palme des
plus mauvais résultats
revenant à Paris avec une
augmentations des atteintes aux biens de
plus de 10 % en un an.
Ce bilan peu glorieux montre, si
besoin était, que le gouvernement
pratique davantage une politique d’ordre
que de sécurité. Moralisme républicain
et catéchisme laïciste sur fond de lutte
obsessionnelle contre le racisme et
l’antisémitisme ont pris le pas sur le
combat contre la délinquance qui devrait
pourtant être la tâche principale du
ministère de l’Intérieur. Entièrement
mobilisé par sa (re)conquête d’une
légitimité de gauche perdue dans sa
conversion au libéralisme, le
gouvernement a recours à la bonne
vieille stratégie de la panique morale :
agiter des menaces en partie fictives ou
en tout cas médiatiquement grossies pour
ensuite les conjurer par la force
répressive. Les adeptes de la quenelle,
les femmes voilées, les
pseudo-djihadistes du net parfois en
culottes courtes, les nationalistes, les
dissidents et tous les déserteurs de la
mobilisation générale contre le
terrorisme font les frais de cette
manipulation qui, à défaut de faire
reculer la délinquance réelle, fait
reculer la liberté et la sécurité.
Exercice politiquement facile mais
socialement coûteux : victime
collatérale abandonnée à son sort, le
peuple français ne peut que connaître
une hausse continue de l’insécurité
réelle.
Voir également : un
entretien à propos de mon dernier
ouvrage « La
République contre les libertés »
Publié le 31 janvier 2015 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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