Opinion
Union nationale et traque aux
dissidents,
les raisons cachées d’un coup
d’État silencieux
Nicolas Bourgoin
Jeudi 29 janvier 2015
Repérer et sanctionner ceux qui ne
sont pas Charlie : cette injonction
résume à elle seule l’esprit du nouvel
ordre sécuritaire qui s’installe jour
après jour et qui a bénéficié avec la
fusillade de Charlie Hebdo d’un effet
d’aubaine exceptionnel. Car loin d’être
seulement le symptôme d’une folie
collective, la traque aux récalcitrants,
automatiquement identifiés à une
cinquième colonne, est le point d’orgue
d’une politique répressive dirigée
contre tous ceux qui tentent d’échapper
au gigantesque bourrage de crâne
administré par nos élites. Elle n’est
d’ailleurs pas sans rappeler la
chasse aux quenelliers de l’année
passée. Après la promulgation de deux
lois antiterroristes, d’une
loi de programmation militaire (le
tout en moins de 3 ans !),
de nouvelles mesures ont été
annoncées par le trio infernal Valls-Cazeneuve-Taubira
pour instaurer un régime d’exception en
plaçant la totalité de la population
française
sous surveillance renforcée.
Une telle débauche de moyens ne peut
que laisser perplexe eu égard à
l’ampleur de la menace pour laquelle ils
sont mobilisés. Les victimes du
terrorisme en France se comptent presque
sur les doigts d’une main et leur
nombre est en tout cas bien inférieur à
celui des victimes de la délinquance
classique (près d’un millier d’homicides
par an, sans compter les tentatives). La
menace djihadiste,
comme nous l’avions déjà évoqué, est
bien un prétexte pour renforcer toujours
plus le système de domination politique.
La question restant de savoir au
bénéfice de qui et, surtout, pourquoi
maintenant…
Si la loi Cazeneuve promulguée à
l’automne dernier n’a eu aucune
efficacité pour prévenir l’attentat
contre Charlie Hebdo, elle a en revanche
conduit à l’arrestation de nombreuses
personnes accusées de déserter la
« grande mobilisation générale » contre
le terrorisme. En instaurant un délit
d’apologie du terrorisme (passible de 7
ans de prison et 100.000 euros
d’amende), elle a fabriqué en masse des
délinquants d’opinion exposés aux
fourches caudines de la justice. Les
établissements scolaires, dans lesquels
est inculqué le catéchisme laïciste et
« républicain », concentrent à eux seuls
un grand nombre des victimes de cette
chasse aux sorcières : des élèves de
collège ou de lycée sont d’ores et déjà
tombés par dizaines
sous le coup de cette inculpation
pour avoir refusé la minute de silence,
tenu des propos non conformes, posté des
messages provocateurs ou des dessins
sur les réseaux sociaux. Un enfant de 8
ans (!) a même été entendu par les
services de police pour avoir soutenu
verbalement les terroristes. Des
enseignants ont également
été suspendus sur dénonciation de
parents d’élèves.
Face à de telles outrances, on peut
bien sûr plaider
la folie collective. Mais comme bien
souvent, cette hypothèse qui fait fi des
causes réelles et des bénéfices
engrangés par les manipulateurs
n’explique pas grand chose. Le
gigantesque bourrage de crâne administré
par les élites politiques et les médias
relève classiquement du formatage
idéologique. « Tous unis contre le
terrorisme » et
gare aux déserteurs (forcément
suspects de complaisance vis-à-vis de
l’islamisme) : les mots d’ordre d’union
nationale et de mobilisation générale
contre un ennemi commun qui
fonctionnement sur un schéma binaire
(Charlie ou terroriste) justifient une
politique qui tourne le dos à la
démocratie et foule au pied les
libertés. Concentration des pouvoirs aux
mains de l’exécutif et laminage des
contre-pouvoirs, notamment judiciaire,
sur fond d’appels à l’unité nationale
est une recette éprouvée pour resserrer
les rangs dans les périodes de crise
économique aggravée et de montée de la
défiance à l’égard des responsables
politiques. L’état d’exception est
généralement mis en place pour résoudre
par la force les contradictions du
système quand celles-ci deviennent
ingérables par les méthodes
démocratiques. Il s’apparente ainsi au
fascisme tel que le définissait George
Dimitrov, compris comme la « dictature
terroriste ouverte des éléments les plus
réactionnaires, les plus chauvins, les
plus impérialistes du capital
financier ». Il ne s’agit ni plus ni
moins que de gouverner par la peur
(des terroristes et/ou du pouvoir).
Méthode toujours efficace si l’on en
croit les sondages : la cote de
popularité de l’exécutif
remonte nettement et les Français se
disent majoritairement prêts à
sacrifier leurs libertés pour plus de
sécurité.
Cette escalade sécuritaire qui rompt
avec des décennies de tolérance relative
du pouvoir vis-à-vis de la contestation
sociale, est l’effet d’une dégradation
de la situation économique
caractéristique du stade impérialiste du
capitalisme. L’éclatement de la bulle
Internet et les attentats du 11
septembre, provoquant une baisse des
indices boursiers de près de 70 % en 2
ans et demi, ont entraîné une brutale
accélération de la crise. Le krach de
2001-2002 qui marque l’arrêt d’un cycle
de croissance économique lié à l’essor
des nouvelles technologies (1995-2000)
est un véritable tournant dans
l’histoire du capitalisme dont on n’a
pas encore mesuré toute la portée. Près
de 15 années plus tard, les indices
boursiers européens n’ont toujours pas
retrouvé leurs niveaux d’avant-crise.
Guerre sans fin contre le terrorisme,
recul des libertés publiques, montée en
force de l’islamophobie politique et
marasme économique sont les ingrédients
de la politique post-11 septembre menée
dans l’ensemble des pays développés.
Loin d’être l’effet d’une mode
passagère, l’autoritarisme politique sur
fond de « choc des civilisations » est
la forme de gouvernance du capitalisme
parvenu à son stade terminal. La crise
économique qui touche les pays
développés semble bien être en effet la
dernière. De l’aveu même des experts,
il est peu probable que l’économie
mondiale renoue un jour avec la
croissance et la stagnation
économique est sans doute le seul
horizon qui s’offre aux populations des
pays développés condamnées ainsi au
chômage de masse et à la paupérisation à
perpétuité. En France, le chômage
atteint tous les ans
des niveaux record. Privé de grain à
moudre et de toute perspective
d’embellie économique, le pouvoir ne
peut maintenir le système de domination
que par l’usage d’une propagande
toujours plus intense visant à enfouir
la question sociale sous la question
identitaire afin de diviser pour mieux
régner. A défaut de transformer le réel,
il s’agit de changer les consciences :
fabriquer en série et
dès le plus jeune âge des
« Charlie » formés idéologiquement à la
soumission politique, résignés à
accepter leur sort économique et
mobilisables dans la guerre sans fin
menée par l’Occident contre l’Islam.
Voir également : un
entretien à propos de mon dernier
ouvrage « La
République contre les libertés »
Publié le 30 janvier 2015 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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