Algérie résistance
Meziane, martyr de la
Révolution algérienne
Mohsen Abdelmoumen
Détachement de l’ALN. D.R.
Mercredi 10 décembre 2014
J’aime évoquer les héros que les
badauds ignorent, trop occupés qu’ils
sont par la superficialité frénétique
qui comble leur néant quotidien. Qu’y
a-t-il de plus noble qu’un martyr, de
plus honorable qu’un chahid qui offre sa
vie par amour pour son pays et son
peuple ? Son existence conjugue la
réflexion, le mouvement et l’action,
dans une harmonie parfaite entre
l’esprit et le corps. La commémoration
de ces immortels qui ont lutté jusqu’au
sacrifice ultime n’obéit à aucune date,
c’est à chaque instant que nous devons
honorer ces phares qui éclairent notre
chemin. Comment ne pas admirer ceux qui
luttent sans rien attendre de personne
et qui donnent leur vie pour un monde
meilleur ? Tant pis pour ceux qui ne
comprennent pas le message de Meziane le
fier, l’Algérien qui a arrosé sa terre
avec son sang pur. L’exemple des héros
de jadis nous éloigne du compost
sociétal et de l’uniformité conformiste
animant les carcasses des consommateurs,
et nous permet de tenir debout en
adhérant au rêve généreux des hommes
libres. Pour ma part, je me sens plus
proche de ces martyrs que des cloportes
qui vaquent à leurs besoins sans autre
pensée que celle d’assouvir leurs
pulsions de tubes digestifs.
Ce texte n’est pas que le portrait d’un
combattant pour la liberté, mais un
hommage, un devoir de mémoire qui
traverse le temps et l’espace, un hymne
contre l’oubli. Mon article est un cri
de reconnaissance à Meziane et à ses
frères martyrs, et ne sert aucun
objectif d’intérêt personnel si ce n’est
celui de respirer un air frais loin des
actualités avec leur lot de tragédies et
de bassesses quotidiennes, en faisant
resurgir du passé des hommes qui nous
ont légué ce qu’il y a de plus beau et
de plus pur : l’abnégation, la bravoure
et le sens du devoir. L’un des problèmes
de l’Algérie, c’est d’avoir peu ou mal
parlé de nos martyrs, les rendant quasi
inaccessibles à notre jeunesse qui ne
se reconnaît pas dans nos héros. Quand
on implique des enjeux personnels dans
le récit de l’Histoire, on en fausse la
lecture et, pour rendre hommage, il faut
être soi-même dénué de toute velléité de
récupération. Le folklore commémoratif
avec l’organisation de colloques autour
de la bouffe et des petits fours porte
préjudice au souvenir de nos martyrs et
le temps est venu d’adopter des méthodes
saines en recueillant les témoignages
avant qu’ils aient totalement disparu.
La reconstitution de notre épopée
révolutionnaire commence dans nos foyers
avec l’écoute des narrations évoquant la
droiture et le sacrifice de ces hommes,
cela ne requiert ni subventions ni
autorisations de qui que ce soit. Au
diable les archives coloniales
françaises ! Nous n’avons pas besoin
d’elles pour connaître notre propre
histoire. Nos mères, nos pères, nos
grand-mères et nos grands-pères sont des
bibliothèques vivantes, il faut juste
des oreilles attentives pour recueillir
les récits et reconstituer le tracé
historique à partir des événements qui
nous sont racontés.
On n’a pas beaucoup parlé de Meziane,
l’enfant du peuple qui a voué sa vie à
la lutte contre l’oppresseur colonial,
mais la mémoire collective résiste à
toutes les amnésies. La légende de ce
Brave qui est passé dans mon quartier
pour signer l’acte de naissance du
courage et du patriotisme est devenue un
chant épique que les anciens fredonnent
encore, se souvenant de l’époque où
l’Algérie produisait des hommes tels que
lui : « Meziane est là, Meziane
marche doucement mais sûrement, il guète
la cible et abattra l’ennemi et les
traîtres ». C’est en écoutant ma
mère chantonner la ballade de Meziane,
rendant vie au fidai de la
glorieuse ALN (Armée de Libération
Nationale), que j’ai décidé de lui
consacrer un article afin que le vent du
Web diffuse son histoire aux quatre
coins du globe, car son exemple est un
poème, une ode à la résistance, un verbe
conjugué au futur de l’impératif, une
fleur née de son sang versé. Le cri de
liberté de Meziane traversera les
montagnes des Babors et résonnera à
Londres, Mexico, Caracas, Moscou, La
Havane, Stockholm, New York, Sidney,
Beijing, et ailleurs, son combat
universel s’adressant à chacun d’entre
nous. Diffusons ce chant des martyrs
partout dans le monde, unissons-nous
contre les néocolonialistes et
continuons l’œuvre immortelle de
Meziane.
« Action, rapidité et bravoure »,
combien nous avons besoin des Meziane
par ces temps de doute, de trahison et
de régression. De petite taille, agile,
il allait droit au but en méprisant la
peur, et rien qu’à le citer, les quatre
éléments se mettent à entonner la
complainte des chouhadas qui ont tout
sacrifié pour que nous puissions nous
dresser, debout et fiers, dans un pays
libéré. À l’évocation de son nom, les
visages se figent dans la méditation et
les regards errent au loin, car il est
un symbole, celui d’un héros du peuple,
méconnu par beaucoup, mais qui mérite
d’être popularisé, afin que les hommes
libres et justes puissent, à travers son
exemple, connaître la lutte de la nation
algérienne durant la nuit coloniale.
Lors de mon dernier séjour en Algérie,
j’ai voulu suivre ses traces et celles
des vaillants maquisards de l’ALN, j’ai
humé l’air qu’ils ont respiré en
visitant les montagnes de Djebel el
Halfa où des batailles sanglantes ont
montré aux colonialistes français que
nous, les Algériens, nous ne nous
soumettons à personne. Du haut de ces
sommets immuables, je communiais avec
mes ancêtres en m’imprégnant de la
somptuosité du paysage qui s’étendait à
perte de vue et qui me parlait de la
lutte farouche et éternelle du peuple
algérien. L’Algérie profonde, terre de
conquêtes et de résistance, reste une
guerrière indomptable que seuls ses fils
authentiques reconnaissent.
Ma mère, fille de martyr de la
Révolution et descendante du grand
révolutionnaire Cheikh El Mokrani qui a
marqué l’Histoire de l’Algérie, m’a
raconté l’épopée de Meziane. Grâce à
l’organisation efficace d’un réseau de
révolutionnaires, un attentat avait été
préparé à quelques mètres de la maison
de mon père. Prévenu de l’imminence
d’une opération, tout le quartier
s’était vidé et attendait en silence.
Meziane s’était caché plusieurs jours
dans une boulangerie qui servait de
planque aux fedayins et aux
révolutionnaires pourchassés par l’armée
française, et attendait l’heure idéale
pour avoir une chance de réussir son
action. Je souhaite de tout cœur que
cette boulangerie aujourd’hui à
l’abandon soit réhabilitée et
transformée en musée en hommage au
martyr Meziane, c’est un vœu qui m’est
cher. Par principe, je n’ai jamais rien
demandé pour moi-même, mais bien pour
honorer l’Histoire de notre nation. De
passage à Alger, je me suis rendu au
ministère des Moudjahidines où j’ai fait
une demande au ministre afin de créer le
musée Meziane dans cette ancienne
boulangerie, haut lieu de la résistance.
Les chargés de communication du
ministère m’ont réservé un bon accueil
et se sont montrés attentifs à mon
souhait, comprenant qu’il s’agissait
pour moi de rendre justice à un martyr
oublié par le temps et les humains, et
ils ont relayé directement ma requête au
ministre. Par voie de presse cette fois,
je réitère ma demande au ministre des
Moudjahidines afin de réhabiliter
Meziane et d’inaugurer un musée en son
nom dans cette ville où il a combattu
jusqu’à la mort pour que nous puissions
goûter aujourd’hui la saveur de la
liberté. Ceux qui n’ont jamais connu la
nuit coloniale ne peuvent pas imaginer
ce que notre peuple a souffert. Il est
nécessaire de marquer les territoires
mémoriels du peuple algérien et de son
épopée avec des repères qui sont
au-dessus de nous tous et qui nous
élèvent, car que vaut notre vie face au
sacrifice de ces Justes ? Meziane a
emporté avec lui la braise de la gloire
dans une main et la souffrance du peuple
algérien dans l’autre, mais son odyssée
a été écrite dans nos maisons et elle
est toujours chantée.
Ces quelques mots sont bien pauvres
pour décrire notre Meziane éternel, dont
l’éclat du souvenir illumine un monde de
brumes et de ténèbres. Meziane fut
exécuté sur la place du marché
hebdomadaire de la ville de Fedj m’Zala,
devenue Ferdjioua, dans la wilaya de
Mila, et ce lieu conservera à jamais la
mémoire de son dernier souffle et de
celui de ses frères au regard fier et
digne. Ces hommes sont partis dans
l’honneur en sachant qu’ils avaient
accompli leur devoir en luttant sans
faillir pour libérer notre terre du joug
colonial. Meziane, par son dévouement et
son courage, nous a restitué notre terre
ancestrale, son exemple nous enseignant
qu’il n’y a qu’un seul destin et une
seule mort, et qu’il faut choisir sa
voie. Y a-t-il une plus noble façon de
quitter ce monde que celle qui rejoint
un idéal de vie ? Non. Il y a plusieurs
manières de mourir et chacun d’entre
nous connaîtra la sienne, qu’il soit
riche ou pauvre, puissant ou non, mais
la mort des braves n’est jamais une fin
en soi, puisqu’ils survivent dans notre
souvenir. Dans chaque école algérienne,
les enfants chantent Kassaman,
notre hymne national, et nous le devons
aux héros de la Révolution dont Meziane
faisait partie. Je suis fier d’être né
et d’avoir vécu dans une rue honorant
cet autre martyr, Mohamed Meddahi dit
« Le Tigre », et non dans un lieu
illustré par le nom d’un maréchal
génocidaire de la France coloniale.
Notre terre a produit tant de vrais
patriotes qui, tous, partageaient le
même idéal et dont la jeunesse fut une
offrande à la patrie. Abandonnant
famille et biens matériels pour la
libération de leur peuple, ils ont tout
donné sans rien attendre en retour et
reposent désormais parmi les Immortels.
Que c’est beau le martyre dans un monde
dépourvu du moindre sens du devoir et du
sacrifice ! Depuis l’aube des temps, de
Spartacus à Ben M’Hidi et à Che Guevara,
les êtres qui se sacrifient pour une
juste cause ne font pas seulement
l’Histoire en la forgeant, ils SONT
l’Histoire et tout le reste n’est que
concert dissonant de borborygmes
insignifiants. Certains se chamaillent
en permanence pour la richesse des
sous-sols et le pouvoir, pendant que
d’autres se dévouent pour le bien de
tous en luttant pour un monde meilleur
et constituent des modèles intemporels
et universels. L’humanité se rappelle
des hommes libres mais pas des soumis ou
des salonards anesthésiés et inertes,
c’est la leçon majeure que ces gens-là
nous ont donnée.
Nous ne voulons pas être dépossédés
de nos héros et refusons que le temple
de nos chouhadas, dernière demeure de
nos martyrs, soit souillé par des gens
qui ne se reconnaissent en rien dans
ceux qui y reposent. Nous n’admettrons
jamais que la terre qui a vu naître
Meziane et ses frères soit agressée et
nul ne pourra sécher nos larmes versées
pour ces braves, comme certains sèchent
les puits de pétrole. Le chant de la
résistance a résisté aux Français, il
résistera au temps, à la peste ou au
cholera, et ma mère chantera toujours la
ballade du brave et fier Meziane, qui
demeure auprès de son père pour
l’éternité. Car qui a dit que les
martyrs de l’épopée algérienne sont
morts ? Ils sont plus vivants que nous
tous. Ces hommes ont gagné l’immortalité
pendant que nous traînons nos carcasses
dans les rues de la consommation où nous
consumons notre vie dans l’absurdité des
gains et des combines en nous éloignant
de l’essentiel. Ces braves nous
enseignent au-delà de la mort ce qui
fait de nous des êtres humains pourvus
d’un objectif de vie, loin de tous les
artifices. Les rivages de Meziane et des
siens sont inaccessibles à la masse
informe et superficielle que nous sommes
devenus, enfermés dans une routine
ennuyeuse dénuée de tout idéal, et nous
ne voyons plus ces astres scintillants
qui devraient éclairer notre route.
L’oubli nous a rongés de l’intérieur et
nous nous perdons dans les méandres de
la fausse culture. Pourtant, si nous le
voulions, nous trouverions tous un peu
du courage et de l’honneur de Meziane en
nous. Il faut juste que nous nous
rappelions ce qu’il nous a transmis :
pour vivre libre, il faut accepter d’en
payer le prix. Meziane surgira en nous
lorsque nous accepterons de redevenir
tout simplement humains en renouant avec
les valeurs de liberté et de justice,
lorsque nous évoquerons son nom et celui
des martyrs de la Révolution algérienne
qui ont brisé les reins des
esclavagistes génocidaires français. Tel
un chant d’oiseau dans la brise
matinale, le chant Meziane se lève
chaque matin. Écoutez-le attentivement.
De nos monts et nos montagnes résonne la
voix des justes et des martyrs.
Célébrons son nom et celui de ses frères
pour retrouver notre dignité et notre
humanité. Gloire à nos martyrs qui nous
donnent le courage de continuer à
croiser le fer avec nos ennemis d’hier
et d’aujourd’hui !
Mohsen Abdelmoumen
Published on Oximity, December
10, 2014:https://www.oximity.com/article/Meziane-martyr-de-la-R%C3%A9volution-a-1
Reçu de l'auteur pour publication
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