Opinion
L'Algérie dans le collimateur de
l'Empire ?
Mohamed Tahar Bensaada
Mardi 11 février 2014
En l'absence de toute communication
officielle émanant de la présidence de
la république, la restructuration des
services de renseignement par décret
présidentiel; qui a vu notamment le
départ à la retraite de plusieurs
généraux influents, n'a pas manqué
d'alimenter les plus folles rumeurs sur
un bras de fer engagé entre le cercle
présidentiel et le DRS en Algérie
surtout après les déclarations
fracassantes du secrétaire général du
FLN, Amar Saadani, mettant en cause le
chef du DRS, le général de corps d'armée
Mohamed Mediene dit Toufik et dans
lesquelles il l'appelle à démissionner.
Réel ou exagéré à dessein par des
pêcheurs en eaux troubles, ce bras de
fer apparaît aujourd'hui comme le
symptôme d'une crise autrement plus
grave qui risque de déraper
dangereusement à l'ombre de la
mondialisation forcée et des manoeuvres
des cercles franco-atlantistes qui ne
désespèrent pas de mettre la main sur
les richesses algériennes et d'imposer à
l'Etat algérien un contrat de
vassalisation.
La restructuration du DRS et les
attaques contre son chef étaient trop
synchronisées pour faire croire à une
simple coïncidence. Elles ne pouvaient
pas manquer d'ajouter de l'eau au moulin
de ceux qui soutenaient ouvertement sur
la place algéroise que les chefs du DRS
auraient exprimé des réserves au sujet
d'un éventuel quatrième mandat du
président Bouteflika. Un quatrième
mandat auquel poussent les membres de
l'entourage présidentiel et leurs
nombreux clients parmi les groupements
d'intérêts qui ont profité des deux
derniers mandats pour faire main basse
sur de secteurs entiers de l'économie
rentière.
En dénonçant les méfaits de
l'interventionnisme du DRS dans la vie
des partis politiques, le secrétaire
général du FLN n'a fait que lever le
voile sur des pratiques inhérentes au
système politique algérien, pratiques
sans lesquelles le sieur en question et
ses semblables ne seraient pas là où ils
sont aujourd'hui. Mais le timing des
décrets présidentiels portant
restructuration du DRS et les
déclarations incendiaires de Amar
Saadani ne laissent aucun doute quant
aux mobiles véritables de cette
soi-disant croisade démocratique en
faveur de l'établissement d'un "pouvoir
civil" en Algérie.
Les Algériens qui se méfient à juste
titre des conséquences probables de
cette guerre déclarée au sommet de
l'Etat ne s'y trompent pas. Il s'agit
avant tout d'une guerre pour le pouvoir
et la rente et les arguments agités par
les relais médiatiques des uns et des
autres sont grotesques. Si le
président Bouteflika avait voulu
vraiment réformer le système politique
algérien dans le sens de l'établissement
d'un "pouvoir civil" comme le prétend
Amar Saadani, il aurait pu le faire dès
2004 quand le retrait du chef
d'état-major de l'armée, le général de
corps d'armée Mohamed Lamari lui
avait ouvert un boulevard politique et
ce, d'autant plus qu'une constitution
présidentialiste le lui permettait sans
problème.
D'un autre côté, ceux qui ont accouru
comme d'habitude au secours du DRS au
nom de la défense de la stabilité et de
la sécurité nationale et de la lutte
contre la corruption ont vite oublié que
le DRS a été le principal artisan du
système bouteflikien depuis 1999
et que quand l'occasion s'est présentée
pour une alternance politique en 2004,
le DRS lui a barré la route en soutenant
la reconduction de Bouteflika pour un
second mandat contre la volonté du chef
d'état-major de l'armée de l'époque.
Pire, le DRS a laissé le président
Bouteflika malmener la constitution en
2008 pour lui permettre de se présenter
pour un troisième mandat en 2009.
Quant aux dossiers de corruption dont
l'étalage médiatico-judiciaire en
automne dernier a précipité la crise
entre la présidence et le DRS, nul n'est
dupe en Algérie. La corruption a été
érigée en système de gouvernement. Tous
les clans au pouvoir ont leurs clients
respectifs. Si les proches du cercle
présidentiel à l'instar de l'ancien
ministre de l'énergie Chakib Khelil, ne
sont pas innocents, les citoyens sont en
droit de se poser des questions sur le
fait que d'autres milliardaires de la
république des cousins qui ont érigé des
fortunes colossales dans des conditions
suspectes, comme Isaad Rebrab, ne font
pas l'objet de la une des médias
soi-disant indépendants ni inquiétés par
une Justice qui est tout sauf
indépendante.
La dernière crise en date entre le
cercle présidentiel et le DRS, si elle
se confirmait, est venue dévoiler au
grand jour la fragilité des mécanismes
qui ont présidé jusqu'ici à la
reproduction du système politique
algérien et qu'il est grand temps de
réviser pour aller vers une
institutionnalisation plus forte digne
d'un Etat moderne même s'il ne faut pas
réduire cette dernière à une
démocratisation de façade telle qu'elle
est réclamée à cor et à cri par une
classe politique pusillanime. Dans un
élan populiste des plus démagogiques,
cette dernière confond la démocratie
avec un partage féodal du pouvoir entre
des maquignons politiques dont
l'existence se résume à faire du
chantage à l'Etat à la veille de chaque
scrutin pour avoir leurs quotas dans des
institutions quasi-privatisées qui
servent d'interface avec ceux qui
confectionnent les appels d'offres
publics, octroient les crédits bancaires
et nomment aux postes de la fonction
publique.
Mais aussi grave soit-elle, cette
crise entre les deux centres
névralgiques du pouvoir en Algérie, ne
menacerait pas à ce point la pérennité
de l'Etat algérien si elle n'était pas
l'objet d'interférences étrangères
sournoises mais profondes. Certes, le
conseiller spécial du président, son
propre frère, Said Bouteflika, dont le
rôle politique dépasse de loin ses
prérogatives officielles, n'aurait
jamais pu faire tomber les têtes du DRS
comme le prétendent ses adversaires,
sans l'aval du commandement militaire
qui a sans doute ses propres griefs à
l'égard de cette institution
sécuritaire. Outre les critères
techniques et organisationnels auxquels
a obéi cette opération sur proposition
de l'état-major de l'armée algérienne,
la restructuration du DRS risque, si
elle n'est pas bien contrôlée, de
converger avec les appétits des
puissances étrangères qui ont toujours
été irritées par l'interventionnisme de
cette institution. Il suffit de se
rappeler le fil de l'ambassade
américaine à Alger dévoilé par Wikileaks
décrivant le DRS comme "paranoïaque" et
les campagnes soft des services français
contre leurs homologues algériens via
les médias mainstream ou via leurs
sous-traitants africains pour se faire
une idée plus exacte de la complexité
d'un dossier que certains naïfs
présentent sous le jour trompeur d'un
combat donquichotesque entre la
"démocratie civile" et la "dictature
militaire".
A cet égard, en se démarquant
courageusement des grenouillages
indignes que certains médias algériens
se sont un plaisir malin de relayer,
l'ancien maquisard de la Wilaya IV et
membre fondateur du FFS historique, le
commandant Lakhdar Bouragaa, s'est
honoré en élevant le niveau du débat et
en appelant les deux institutions
présidentielle et sécuritaire à la
retenue indispensable pour barrer la
route aux pêcheurs en eaux troubles non
sans avoir rappelé à l'occasion les
menaces qui pèsent sur le pays dans une
conjoncture géostratégique régionale des
plus instables.
Il faut savoir qu'en Algérie, la
stabilité relative retrouvée au prix
fort après une décennie sanglante ne
semble pas arranger tout le monde et des
cercles d'intérêts internes et externes
à l'affût de la moindre brèche
n'hésitent pas à exploiter les
incertitudes liées à la maladie du
président Bouteflika et à la vacance du
pouvoir qui s'en est suivie pour tenter
de replonger le pays dans la spirale de
l'instabilité et de l'anarchie au nom
des mêmes slogans ravageurs qui ont
conduit les pays voisins à leur triste
sort actuel. L'enjeu géopolitique est
clair: une Algérie forte capable de
faciliter la mutualisation des
potentialités actuellement en jachère en
Tunisie et en Libye et de jouer un rôle
de médiation en Egypte n'est pas une
perspective réjouissante pour les
cercles atlantistes qui parient sur
l'"anarchie créatrice" et seraient
peut-être même tentés de créer un nouvel
abcès de fixation en Afrique du nord
pour les bataillons de djihadistes dont
la multiplication en Syrie commence à
inquiéter Américains et Israéliens
depuis que l'Empire a décrété leur fin
de mission là-bas.
Malgré les prévisions pessimistes de
certaines officines bien connues qui
passent leur temps à annoncer
l'effondrement de l'Algérie (On se
rappelle à ce propos la fameuse sortie
de Sarkozy en pleine guerre libyenne:
"L'Algérie, vous m'en parlerez dans un
an") ce pays tient toujours.
Les cercles hostiles à ce pays (le seul
pays arabe, faut-il le rappeler, à avoir
arraché son indépendance par une
guerre de libération nationale qui a
marqué profondément les structures
sociales et les mentalités politiques et
un des rares pays de la région qui
continue malgré tout à résister même de
manière inconséquente aux sirènes de la
mondialisation et de l'atlantisme)
savent pertinemment que même un genou à
terre, l'Algérie continuera à résister
et que pour la mettre hors combat, il
faut la détruire et comme une guerre
d'agression risque de souder son peuple
et de le rendre plus fort, ils sont
obligés de parier sur deux autres
solutions.
La première consiste dans
l'autodestruction en investissant
notamment dans les troubles sociaux
engendrés par l'incurie et la mauvaise
gouvernance et les facteurs
communautaires et ethniques comme ils
cherchent à le faire actuellement dans
le Mzab et comme ils ont tenté de le
faire dans un passé récent en Kabylie
mais en vain. C'est une solution qui
consiste à reproduire les scénarios des
différents "printemps arabes" quitte à
l'adapter au contexte algérien. Mais
outre les différences de taille entre la
situation algérienne et celles des pays
arabes qui ont connu des insurrections,
le système algérien a des atouts en main
pour éviter le pire. Non seulement, il
peut compter sur des institutions
sécuritaires solides mais il a une manne
financière en réserve qui lui permet de
jouer au pompier social le cas échéant.
C'est pourquoi, les cercles
impérialistes et leurs alliés locaux
essaient en même temps une seconde
solution plus soft. En faisant dans la
désinformation systématique et
l'intimidation, ils espèrent pousser
l'Etat algérien (y compris les cercles
patriotiques à l'intérieur du pouvoir) à
des compromissions toujours plus grandes
avec les groupes d'intérêts
multinationaux et les puissances
impérialistes dans l'espoir d'éviter
leur courroux.
Dans cette stratégie de la
déstabilisation soft qui s'apparente à
un odieux chantage, les médias
mainstream préparent déjà leur prochain
plan de bataille. Après le fiasco
politique de l'affaire des moines de
Tibhirine, ils s'apprêtent à lancer un
autre pétard mouillé. La prise d'otages
qui a lieu en janvier dernier à In
Amenas serait suspecte…au motif que
l'Etat algérien avait auparavant refusé
de déléguer la sécurité du site gazier
aux compagnies multinationales et aux
services étrangers ! Le deal proposé est
clair: "Soit vous nous laissez tout
contrôler chez vous, soit on vous accuse
d'être les instigateurs de ce qui
pourrait arriver" !
Autodestruction violente ou
autodestruction "pacifique", l'Algérie
est-elle condamnée à choisir entre la
peste et le choléra? Au regard de ses
potentialités matérielles et
symboliques, l'Algérie dispose d'un
réservoir de résistance inégalé dans la
région. Reste à savoir si les forces
vives de ce pays sauront ou non se
hisser à la hauteur des défis qui leur
sont posés et qui mettent aujourd'hui en
jeu non pas le système politique tel
qu'il a été fondé au lendemain de
l'indépendance mais l'Algérie en tant
que nation et société.
Les défis auxquels se trouve
confrontée aujourd'hui l'Algérie sont
graves et nul bricolage
politico-institutionnel comme ceux
auxquels on nous a habitués depuis
octobre 1988 ne saurait se substituer à
une profonde réforme pacifique,
graduelle et consensuelle du système qui
ne sacrifie ni l'indépendance et la
souveraineté du pays ni ses acquis
économiques et sociaux que des
groupements d'intérêts voraces portés
par la mondialisation et les cercles
impérialistes cherchent à remettre en
question avec la complicité d'une
bureaucratie corrompue.
S'il se confirme que le président
Bouteflika n'a plus les capacités
physiques et intellectuelles d'exercer
ses missions constitutionnelles, le
quatrième mandat ne fera qu'aggraver les
tendances autodestructrices à l'œuvre
depuis au moins le troisième mandat.
Face au danger que court le pays dans
l'éventualité où ce quatrième mandat
serait imposé au peuple sous le chantage
de l'instabilité, aucune institution
constitutionnelle ne saurait rester
muette sans se discréditer et sans
risquer de donner un grave coup à la
crédibilité politique et diplomatique de
l'Etat algérien à un moment où ce
dernier a besoin de mobiliser toutes ses
ressources politiques et morales pour
faire reculer les dangers qui le
guettent à l'intérieur et à l'extérieur.
A travers les réseaux sociaux, les
Algériens se montrent inquiets à la
perspective de voir cette crise entre la
présidence et la DRS dégénérer en
conflit susceptible de diviser l'Etat
algérien et ses institutions. Dernier
rempart de la République en cas de grave
danger menaçant la nation, l'armée
serait bien avisé d'écouter les
pulsations de la société algérienne et
envoyer un message clair à tous ceux qui
mettent leurs intérêts claniques ou
factieux au-dessus de l'intérêt
supérieur du pays en mettant en garde
notamment l'Administration contre toute
dénaturation du prochain scrutin
électoral qui s'avère d'ores et déjà
décisif.
Sans outrepasser ses prérogatives
constitutionnelles, l'armée algérienne
pourrait servir de facilitateur pour
qu'au-delà des alignements claniques
montés en épingle par une presse
spectaculaire et irresponsable, ce soit
l'Etat algérien qui sorte vainqueur de
cette épreuve. Il a fallu que le malheur
vienne s'abattre sur le pays pour que le
président de la république s'exprime
enfin puisque suite au crash d'un avion
militaire qui a fait plusieurs dizaines
de victimes, il a décrété un deuil de
trois jours et a profité de cette
occasion pour condamner fermement, dans
une lettre adressée au chef d'état-major
de l'armée, toute tentative de
déstabilisation de l'armée et de ses
institutions, ce qui constitue un
désaveu de la dernière sortie du
secrétaire général du FLN.
Il est trop tôt pour donner une
interprétation de ce énième
rebondissement dans cette crise grave
mais l'espoir d'un compromis qui
mettrait l'Etat algérien et la paix
civile hors de danger reste permis. Sans
plus tergiverser, le système politique
algérien a aujourd'hui besoin d'un acte
politique fort symbolisant son entrée
dans un processus
d'institutionnalisation et de
démocratisation responsable qui
viendrait renforcer l'Algérie dans son
aspiration légitime à arracher la place
qu'elle mérite, de par sa géographie et
son histoire, dans une division
régionale et internationale impitoyable.
Publié le 12
février 2014 avec l'aimable autorisation
d'Oumma.com
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