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Turquie–Otan, bientôt la fin d’une
alliance?
Mikhail Gamandiy-Egorov
© REUTERS/
Christian Hartmann
Mercredi 31 mai 2017
Source:
Sputnik
Dans le monde
contemporain, l’unipolarité cède sans
cesse du terrain et les mutations se
poursuivent à un rythme toujours plus
soutenu. Pilier Sud de l’Otan et
candidat de longue date à l’adhésion à
l’UE, la Turquie semble désormais
regarder vers de nouveaux horizons. Un
processus que les tenants de l’unipolarité
auront du mal à enrayer.
La
Turquie a rejoint
l'Otan en 1952, en pleine guerre
froide, cédant ainsi aux pressions
américaines quant à une « éventuelle
agression soviétique ». C'est à partir
de cette période que la Turquie fera
partie intégrante de la « famille
atlantiste » et c'est aussi à partir de
ce moment que les relations entre la
République de Turquie et l'URSS
deviendront plutôt tendues. À noter
qu'avant cet événement, les relations
étaient ouvertement amicales entre les
deux pays.
Pour l'Otan et en
premier lieu les USA, la Turquie sera
longtemps considérée comme un allié de
choix aux frontières sud de l'Union
soviétique. Mais le temps passe et les
réalités changent. Dans certains cas
plus rapidement, dans d'autres moins.
Dans le cas précis de l'Otan, une nette
fracture se forme. Essayons d'y voir
plus clair.
À l'heure actuelle,
alors que le monde observe l'opposition
désormais presque officielle entre les
partisans de la multipolarité et ceux
désireux à tout prix de garder le diktat
unipolaire, plusieurs pays du monde se
trouvent face à un choix stratégique.
Dans le cas des rapports entre Ankara et
l'OTAN, il ressort assez clairement que
la Turquie est probablement le seul pays
membre de l'alliance nord-atlantique à
mener une politique globalement
indépendante et souveraine.
Comment cela se
traduit-il? La Turquie a été le seul
pays-membre de l'Otan à ne pas s'être
joint aux sanctions occidentales lancées
contre la Russie, malgré la pression
émanant aussi bien de Washington, que de
Bruxelles. Rien n'y a fait, la Turquie
n'a pas cédé.
Évidemment, ce sont ici de très
importants intérêts économiques et
commerciaux qui lient la Turquie à la
Russie qui ont joué un rôle décisif.
Pour autant, ce n'est pas le seul pays
membre de l'alliance atlantiste à
partager avec la Russie une relation
économique privilégiée, loin de là. Mais
à l'inverse des pays de l'Europe
bruxelloise, Ankara a préféré renforcer
ses liens avec la Russie.
Malheureusement, en
novembre 2015, un fait fort désagréable
viendra nuire à ce rapprochement: un
chasseur turc abat dans le ciel syrien
un bombardier russe Su-24. Jusqu'à
aujourd'hui, plusieurs théories tentent
d'expliquer ce grave incident. Certains
affirment que le pouvoir turc avait au
moment des faits trop joué au «
néo-ottomanisme ». N'oublions en effet
pas que la Turquie a joué un rôle
clairement néfaste en Syrie durant les
premières années du conflit. D'autres
parlent d'un complot « güleniste, avec
la participation des services secrets
occidentaux », peu satisfaits d'observer
ce rapprochement russo-turc. Quoi qu'il
en soit, les relations bilatérales
seront gelées durant près de sept mois
et la Russie adoptera des mesures de
restrictions économiques vis-à-vis de la
Turquie.
Tout change fin
juin 2016, lorsqu'Erdogan présente
officiellement ses excuses à la Russie.
En outre, le gouvernement turc ayant
fait face à une tentative de putsch
affirmera que les forces ayant tenté de
prendre le pouvoir par la force sont les
mêmes que celles qui avaient nui aux
relations russo-turques.
Presque un an a
passé depuis. Cinq rencontres
Poutine-Erdogan se seront déroulées
pendant cette courte période, dont trois
en Russie. Moscou a désormais levé la
quasi-totalité des mesures de
restriction visant les intérêts turcs.
Les deux dirigeants utilisent de nouveau
la notion de « partenariat stratégique »
pour caractériser leurs relations
bilatérales.
Plus important
encore, les deux pays jouent
actuellement un rôle clé dans le cadre
du processus d'Astana sur la Syrie, avec
la participation de l'Iran. Et jusqu'à
maintenant, cette plateforme qui n'a été
lancée que fin décembre 2016 s'est
montrée beaucoup plus efficace que
toutes les autres, qui existent pourtant
depuis plusieurs années. Enfin, la
Turquie a été le seul pays membre de
l'Otan à avoir mené des opérations
militaires conjointes avec la Russie, en
l'occurrence les frappes aériennes
contre les terroristes de Daech dans le
nord syrien mené il y a de cela quelques
mois. Une première dans la relation
Russie/pays membre de l'Otan.
Parallèlement à
cela, les rapports entre la Turquie et
plusieurs pays membres de l'Otan ne
cessent de se dégrader. Plusieurs médias
occidentaux ont noté qu'au cours de la
période qui a suivi la tentative de coup
d'État en Turquie et les purges, qui
l'ont suivi, y compris dans l'armée,
Ankara n'a cessé de remplacer les
attachés militaires turcs
pro-occidentaux par des représentants
que lesdits médias affirment être «
prorusses, voire pro-iraniens ».
D'autre part, les
tensions augmentent fortement entre la
Turquie et plusieurs pays
ouest-européens, en premier lieu
l'Allemagne ou encore les Pays-Bas. La
Turquie comprend aujourd'hui que la
porte de l'Union européenne lui est
fermée et regarde ouvertement vers
d'autres cieux.
Le paradoxe dans
tout cela est le suivant: d'une part,
les pays de l'UE, assujettis aux
intérêts de Washington, ne souhaitent
pourtant pas voir la Turquie rejoindre
la « famille bruxelloise ». D'un autre
côté, personne au sein de cette «
famille » ne souhaite voir la Turquie
quitter le navire nommé Otan, sachant
que la Turquie est la deuxième armée de
l'alliance en termes d'effectifs et que
d'autre part si cela devait arriver,
Ankara passera certainement d'une
relation stratégique avec la Russie au
niveau supérieur: celui d'une alliance
pure et simple.
Évidemment, cette optique est
inimaginable côté Washington, qui fait
tout pour garder la Turquie à bord. Le
souci, c'est que les relations
turco-étasuniennes se dégradent elles
aussi, surtout depuis l'annonce et
maintenant la confirmation de la
livraison d'armes par les États-Unis aux
soi-disant Forces démocratiques
syriennes (FDS), une coalition
principalement kurde que les Américains
soutiennent en Syrie, au grand dam du
pouvoir turc.
Quelles sont donc
les perspectives? La première et la plus
probable, c'est que la Turquie finira
par retirer sa candidature à l'entrée
dans l'UE. Une hypothèse d'autant plus
probable qu'en dehors des tensions
politico-culturelles avec les pays
européens, économiquement la Turquie
aurait plus à y perdre qu'à y gagner,
sachant que l'économie turque actuelle
n'a rien à avoir avec celle de 1987,
année à laquelle ladite candidature a
été déposée. Et au vu des problèmes
auxquels fait face l'Union européenne à
l'heure actuelle, de plus en plus de
voix s'élèvent à l'intérieur de la
Turquie pour privilégier l'intégration
eurasiatique avec la Russie et d'autres
pays issus de cet espace, notamment
d'Asie centrale, qui correspond de plus
à son espace géopolitique naturel.
C'est donc la première chose.
Du point de vue de
l'Otan et au regard des intérêts en jeu,
il ne faut probablement pas prévoir une
sortie de la Turquie de cette
organisation dans un avenir proche.
D'autant plus que les élites
occidentales, malgré leur désamour de
plus en plus évident pour la Turquie,
feront le maximum pour tenter de la
garder au sein de l'alliance aussi
longtemps que possible. Mais sur le
moyen-long terme, rien n'est impossible.
D'ailleurs, dernière information en
date: la proposition d'organiser le
prochain sommet de l'Otan en Turquie a
été rejetée par plusieurs pays membres
de l'alliance, notamment l'Allemagne, la
France, ainsi que les Pays-Bas, le
Danemark et le Canada.
Une chose est sûre.
La Turquie peut tirer son épingle du jeu
en jouant sur les contradictions au sein
de l'Otan, tout en continuant à
renforcer ses relations avec la Russie
dans différents domaines. Et après cela,
il lui sera beaucoup plus facile de
claquer la porte. Chaque chose en son
temps.
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Publié le 1er juin 2017 avec l'aimable autorisation de l'auteur.
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