Sputnik
Géostratégie africaine. Partie 1
Mikhail Gamandiy-Egorov
© Photo.
Jean-Paul Pougala
Mardi 24 novembre 2015
Source:
Sputnik
Jean-Paul Pougala est
un spécialiste camerounais de
géostratégie. Il dirige l’Institut
d’Etudes Géostratégiques de Douala
(Cameroun), il est également enseignant
à l’Institut Supérieur de Management
ISMA, toujours à Douala. Il est en outre
auteur du livre « Géostratégie africaine
».
Sputnik :
Vous êtes de ceux qui considèrent que
c'est à la jeunesse africaine d'écrire
la nouvelle histoire plus glorieuse du
continent africain. En quoi consiste
votre théorie?
Jean-Paul
Pougala: L'Africain est conditionné
dans son âme et son être, victime de 5
siècles de violence avec l'Europe dont 4
siècles de déportation pour l'esclavage
et 1 siècle de violence de l'occupation
coloniale, puis néocoloniale ou
impérialiste, des Européens et plus
généralement des Occidentaux. Pour
éviter que ces victimes aient une prise
de conscience et de demander des comptes
à leurs bourreaux d'hier, le système qui
prévaut depuis des siècles les a
maintenu dans une sorte de coma
artificiel, fait de misère non seulement
comme résultat, mais aussi comme
instrument de domination. Nos ainés
formatés dans ce système sont presque
tous irrécupérables. Ils ont été à ce
point rabaissés qu'ils recherchent
constamment l'amitié du bourreau pour
avoir l'illusion d'exister. Leur vision
du monde est sous la lentille déformante
que les bourreaux ont imposée. Ils sont
nés à genoux, ils ont grandi à genoux,
ils ont travaillé à genoux, ils sont en
train de vieillir à genoux et ils vont
mourir à genoux. Ils connaissent une
seule vérité, en toute bonne foi: la
supériorité incontestable des anciens
bourreaux. Et par conséquent, ils sont
dans la résignation de démarrer la
moindre initiative pour se démarquer,
pour s'autodéterminer. Tous ce qu'ils
transmettent à leurs enfants, à leurs
descendants, c'est la soumission vue
comme une valeur, puisque après tout,
elle garantit une sorte de paix. Peu
importe leur place dans cette situation
de paix. Mais les nouveaux acteurs très
puissants sur la scène mondiale
remettent en discussion l'ancienne
première place incontestée des puissants
d'hier. Par exemple, la Chine est
devenue première puissance économique
mondiale en 2014, après 142 ans que les
Etats-Unis maintenaient cette position.
Pour nos ainés qui n'ont connu que les
USA comme première puissance, cette
nouvelle est à peine croyable, mais pour
les jeunes, c'est le début d'un nouveau
monde, avec de nouveaux acteurs, avec
aussi de nouvelles vérités et de
nouveaux défis. Rien n'est donc plus
figé comme avant et c'est en cela que
repose mon espoir que les jeunes
Africains qui vont subir moins de
conditionnement psychologique visant à
les soumettre comme leurs parents,
seront plus libres de penser, de décider
et donc d'agir pour les intérêts de
notre continent, contrairement à ce
qu'on avait vu jusqu'aujourd'hui.
Ma théorie est
divisée en deux parties: une
communautaire et l'autre privée. Sur le
plan communautaire, nous cherchons à
orienter les choix des villages et de
l'État vers les actions plus concrètes
pour améliorer la vie des citoyens,
notamment par la création de richesse
dans le milieu rural sur la base
idéologique de la culture et de la
spiritualité africaines,
fondamentalement évolutionnistes. Sur le
privé, elle consiste en la mobilisation
des ressources humaines africaines
privées vers la création de richesse.
Pour y parvenir, j'ai créé une formation
dénommée Rinvindaf (re-Inventer les
Industriels Africains de demain). Son
but est de créer une sorte de déclic
mental pour passer de la glorification
du salariat vers l'entreprenariat
industriel patriotique. Mon but est de
partir de ma propre expérience
d'industriel africain sur 3 continents
(Europe, Asie et Afrique) pour
transmettre mes connaissances (erreurs
et succès), afin que ces jeunes n'aient
plus besoin de tâtonner comme je l'ai
fait, pour trouver avec difficulté, au
bout de trop d'années la vraie route à
suivre. Je suis convaincu qu'une telle
formation leur fait gagner du temps
précieux et réduit le taux d'échec de
ceux qui s'y prêtent. Ils sont
aujourd'hui 1500 jeunes africains formés
à travers le monde à ce modèle et tous
mis en réseau dont environ 1/3 sont
opérationnels sur le sol africain.
Sputnik:
Dans une des vidéos où vous faites part
de votre vision pour l'Afrique, vous
insistez sur un point important, celui
de mettre à un niveau supérieur
l'agriculture en Afrique. Quel serait le
but recherché?
Jean-Paul
Pougala: Lorsque j'ai décidé de
m'impliquer dans la vie publique
africaine, j'ai créé une nouvelle
matière d'enseignement qui s'appelle «
géostratégie africaine ». Je restais
convaincu que l'Africain devait
construire sa souveraineté en partant de
zéro et contrôler chaque centimètre de
son territoire. L'agriculture n'est pas
à mes yeux, une simple source de revenu
et de nutrition pour la population
africaine, mais la première des
activités stratégiques pour reprendre en
main notre territoire, tout notre
territoire. Là où les jeunes que je
forme ont aujourd'hui leur champ est
appelé à devenir une ville. Mon modèle
est partir du secteur primaire qu'est
l'agriculture, pour alimenter un secteur
secondaire. Et le tertiaire ne viendrait
qu'en troisième position comme son nom
l'indique pour distribuer, gérer et
administrer ce qu'on aura produit des
champs et transformé à l'usine. Tous les
autres peuples sont passés par là pour
se développer et l'Afrique ne saurait
être une exception. Un pays qui importe
l'essentiel de sa consommation
alimentaire est un pays qui s'appauvrit
toujours plus. Je suis un économiste
africain à qui les économistes européens
ont déclaré la guerre. Ils ont réussi à
créer des emplois chez eux en utilisant
les populations africaines comme
consommateurs. A moins de déclarer
qu'ils sont plus intelligents que moi et
donc que je me rende, je suis obligé de
riposter, tout d'abord en menant une
résistance, afin d'enseigner à ces
jeunes à créer de la richesse sur notre
continent et donc des emplois. Chaque
africain qui va mourir en tentant de
traverser la Méditerranée est un fait
divers pour les politiciens européens
qui l'utilisent pour secouer leurs
opinions publiques, mais pour un
économiste africain, c'est une véritable
honte, c'est une insulte à notre
intelligence. Tout au moins, c'est comme
cela que je le vis dans ma peau. Et
plutôt que d'accuser les autres, je me
demande constamment ce que je peux faire
pour changer la donne. Et pour
l'instant, l'agriculture me semble le
chemin obligé pour repérer les
ressources de nos terres et de nos
forêts qui nous serviront pour
développer des secteurs entiers
d'industries.
Et puis, les enjeux
du monde montrent clairement que la
Chine qui aujourd'hui contrôle
l'essentiel de la production
industrielle mondiale, pour avoir acheté
aussi l'essentiel des entreprises qui
lui permettent de sécuriser les
approvisionnement en matière première,
comme Rio Tinto, la Chine aura toujours
de moins en moins besoin des matières
premières minières africaines. Beaucoup
de pays africains ne l'ont pas encore
compris et espèrent toujours qu'ils
deviendront prospères (ou émergents
comme c'est la mode) en vendant les
produits de leur sous-sol. Mon action
sur le terrain, prépare donc déjà
l'après secteur minier en Afrique. Et
l'agriculture pour nourrir d'abord les
Africains, ensuite les Asiatiques, me
semble absolument incontournable.
A suivre la
seconde partie de l'entretien
© 2014 Sputnik
Tous droits réservés.
Publié le 25 novembre 2015 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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