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Laurent Gbagbo et Charles Blé
Goudé à la CPI.
Entretien avec Nakouty Luyet (Partie 1)
Mikhail Gamandiy-Egorov
© Sputnik
Lundi 18 janvier 2016
Source:
Sputnik
Nakouty
Luyet est citoyenne de Côte d’Ivoire.
Elle est membre du parti politique
ivoirien COJEP (Congrès Panafricain pour
la Justice et l’Egalité des Peuples),
mouvement politique créé par Charles Blé
Goudé, ministre de la Jeunesse sous le
président Laurent Gbagbo. Elle vit
aujourd’hui en Suisse.
Sputnik: Les procès du président
ivoirien Laurent Gbagbo, déchu par
l'intervention armée française en avril
2011 et du ministre de la Jeunesse
Charles Blé Goudé vont débuter bientôt à
la Cour pénale internationale (CPI) de
La Haye. Votre commentaire?
Nakouty Luyet: Tout d'abord je tiens
à vous remercier de l'opportunité que
vous me donnez de faire entendre ma voix
et probablement à travers la mienne, la
voix de millions d'Africains debout sur
les différents champs de batailles face
aux flux incessants d'injustices à leur
égard. En effet, le président Laurent
Gbagbo a été déporté à la prison de
Scheveningen en 2011.
Mon
premier commentaire à l'endroit de la
CPI est de m'étonner du fait de cette
déportation pendant que les statuts de
Rome qui la légitiment ont été signés en
2013 par Alassane Dramane Ouattara,
actuel locataire de la présidence
ivoirienne dans des conditions de
supercheries plus qu'abracadabrantes.
Quelle est donc cette justice qui se dit
internationale et qui piétine ses
propres textes?
Mon
deuxième commentaire est de préciser que
le président Laurent Gbagbo est un chef
d'Etat et c'est le premier chef d'Etat
dans la jeune histoire de la CPI qu'elle
devra juger. Le président Laurent Gbagbo
est un chef d'Etat qui a défendu les
valeurs de la République ivoirienne
lorsque celles-ci étaient attaquées par
les milices d'Alassane Dramane Ouattara.
Le ministre Charles Blé Goudé détenu
aussi à UNDU (United Nations Detention
Unit) est celui à qui la procureure
Bensouda reproche l'usage de « l'éternel
des armées » comme une arme répressive.
Je ne savais pas qu'être chrétien était
un crime contre l'humanité!
Mon
dernier commentaire est le suivant: ce
sont les Nations Unies à travers la
résolution 1975 (initié par la France et
le Nigéria) qui donnaient le pouvoir à
l'armée française établie en Côte
d'Ivoire depuis son indépendance, selon
des accords qui n'ont plus aucune raison
d'être, de faire usage de la force pour
« protéger la population ivoirienne ».
Nous avons tous constaté que tuer et
protéger sont bizarrement devenus des
synonymes dans mon pays. Cette
population qu'ils étaient sensés
protéger a été purement et simplement
massacrée autour et dans la résidence du
président Gbagbo.
De ce
qu'il m'a été donné de lire sur le site
internet de la CPI, est qu'elle
collabore avec l'ONU et la plupart des
pays membres du Conseil de sécurité dont
la France, qui finance la CPI. Comme le
disais un artiste musicien ivoirien: ils
allument le feu et après ils viennent
jouer aux pompiers.
Sputnik: Quelles sont les chances
selon vous de succès dans ces procès, si
on peut les appeler ainsi? Quelles sont
les chances pour Laurent Gbagbo et
Charles Blé Goudé de retrouver la
liberté?
Nakouty Luyet: Vous venez d'utiliser
un mot pendant. Ce mot est: chance!
Cela
me laisse penser que la cour a donc un
caractère aléatoire qui repose sur des
probabilités et non sur les faits comme
cela devrait l'être. Cela est très
dangereux pour les jeunes nations
africaines. Le sort des nations
d'Afrique repose sur le cours de nos
matières premières. La crise en Côte
d'Ivoire est avant tout une
problématique du cacao. Et c'était déjà
le cas à l'époque du président feu Felix
Houphouët-Boigny.
Entre les géostratégies américaine,
française, anglaise et maintenant
chinoise, je me demande comme vous
quelles sont les réelles chances du
président Gbagbo et de son ministre
Charles Blé Goudé de sortir libres et
lavés de tous soupçons de cette prison
quand on sait qu'ils se sont battus pour
nous faire profiter de nos matières
premières.
On
pourrait même aller plus loin en
reformulant la question: quelle sont les
chances d'un Etat africain qui
refuserait de brader ses ressources au
profit de l'Occident de se retrouver à
la CPI?
Nous
aurons un début de réponse le 28 janvier
2016 à La Haye.
Permettez-moi d'ouvrir une petite brèche
quant à mon étonnement de constater que
l'affaire Guy André Kieffer (citoyen
français disparu en Côte d'Ivoire), n'a
pas encore trouvé de dénouement. Si cela
intéresse toujours son épouse et le
collectif de journalistes qui semblaient
être épris de justice, il leur suffira
de suivre une entreprise spécialisée
dans le négoce du café-cacao: ARMAJARO.
Le juge français Patrick Ramaël qui
s'occupait du dossier est devenu
entre-temps le conseiller d'Alassane
Ouattara. L'affaire de Guy Kieffer ne
semble plus le préoccuper.
Sputnik: Beaucoup d'experts,
africains comme non-africains, parlent
depuis longtemps de la politisation
presque non-voilée de la CPI. Beaucoup
l'accusent même de néocolonialisme et de
racisme. Si au départ, c'était surtout
des activistes panafricanistes qui
lançaient des appels contre ce système,
aujourd'hui on entend de plus en plus
certains leaders africains faire autant,
y compris au sein de l'Union africaine.
Même
au sein du pays leader du continent
africain, la République d'Afrique du
Sud, de plus en plus de voix s'élèvent
au sein du gouvernement pour quitter la
CPI. Ne pensez-vous pas que les procès
de Gbagbo et Blé Goudé seront décisifs
quant à l'avenir même de cette Cour
pénale internationale? S'ils sont
condamnés, la CPI ne signera-t-elle pas
son arrêt de mort?
Nakouty Luyet: Je pense qu'il faut
que la CPI évite les « si », il ne
faudrait pas qu'elle détermine sa
légitimité sur des postulats africains.
Le fait que le monde se munisse d'une
Cour pénale internationale n'est pas
mauvais en soi. Nous Africains avons
opté pour la démocratie pendant que nos
dirigeants émanent de la pression de la
Françafrique qui tend vers sa fin mais
s'accroche à son dernier souffle. Nous
avons compris les biens fondés de la
démocratie pendant que l'hégémonie
américaine cherche à asseoir des bases
militaires sur notre continent pour
amplifier sa domination.
Si la
CPI veut pouvoir séduire les Africains,
je propose que chaque Etat d'Afrique
l'ayant ratifiée en nomme ses juristes à
son sein pour que la démocratie soit le
pilier de cette cour. Or pour l'instant
les juges et procureurs y sont recrutés
tel dans une entreprise à but lucratif
et encore!
Le
procès du président Gbagbo et de son
ministre Charles Blé Goudé sera en effet
très décisif si la cour ne prononce pas
le droit.
L'Union africaine commence péniblement à
se réveiller et à comprendre qu'elle
obéissait à une matrice défavorable à
l'Africain, on ne peut que l'applaudir.
A mon avis si cette conscience perdure
et se renforce, elle devra donc repenser
son financement aussi. Nous avons les
moyens et les hommes nécessaires pour
permettre à l'Afrique de s'approprier de
son sort de manière réaliste et
efficace.
L'Union africaine peut donc être un
catalyseur à l'éveil de nos consciences.
© 2016 Sputnik
Tous droits réservés.
Publié le 19 janvier 2016 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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