Syrie
« Hares al Qods », ou Le Gardien
de la cause sacrée
Michel Raimbaud
Michel
Raimbaud. DR
Vendredi 29 mai 2020
Entre la pandémie
des sanctions, les incendies criminels
ici et là (l’oasis de Palmyre est à
nouveau en feu) et les menées tortueuses
du mégalomane Mamamouchi, le Ramadan n’a
amené aucun répit à la Syrie martyrisée.
Gavée de blocus et d’embargos, harcelée
par des agresseurs pourtant sinistrés,
elle attend de pied ferme les lois «
Caesar » bêtes et méchantes de l’oncle
Donald.
L’intox et l’infox
ayant fait très bon ménage avec le
Coronavirus, il est toujours dans le
vent d’ostraciser la Syrie et de lui
prêter tous les péchés du monde, y
compris celui d’intolérance. Certes il
serait vain d’attendre des « dévots »
qu’à l’instar de Saint Paul il y a deux
mille ans ils trouvent leur chemin de
Damas, mais on pourrait rêver que le
ciel éclaire leur lanterne en leur
rappelant le lien indestructible entre
le christianisme et son berceau syrien.
Ils comprendraient alors pourquoi le «
coeur battant du monde arabe », haut
lieu d’un Islam prestigieux et
oecuménique, respecte tant une diversité
religieuse qui fait partie de son
patrimoine. La vénérable Grande Mosquée
des Omeyades n’héberge-t-elle pas le
tombeau de Saint Jean le Baptiste tandis
que son minaret de Jésus veille sur la «
perle de l’Orient » ? Non, les chrétiens
– au nombre de 2,5 millions (10% de la
population) au début du conflit - n’ont
pas été persécutés par le gouvernement,
n’en déplaise aux imposteurs. Ceux-ci
seraient-ils amnésiques ou aveugles au
point d’absoudre les fanatiques
travestis en démocrates qui à l’été 2011
promettaient le tombeau aux alaouites
(le « tabout ») et sommaient les
chrétiens de partir « à Beyrouth ».
Il semble donc
juste de saluer les hardiesses d’un Etat
mal traité mais résilient, où l’on sait
avoir du courage et de la tenue. En
témoigne la décision de produire et
présenter à la télévision nationale une
série dont le héros est un prêtre syrien
natif d’Alep, devenu évêque de l’Eglise
melkite de Jérusalem. Il fallait en
outre de la détermination et de la
clairvoyance pour choisir un calendrier
porteur d’une symbolique si lourde : il
n’est pas anodin d’avoir choisi le
Ramadan pour proposer un feuilleton tel
que Hares al Qods (le Gardien de
Jérusalem). Mais le personnage vedette
n’a rien de banal.
Ordonné prêtre en
1947, Hilarion Cabbougi est nommé
archevêque de Césarée en Palestine et
Vicaire patriarcal melkite de Jérusalem
en juillet 1965.
Sa « consécration »
épiscopale par le Patriarche d’Antioche
intervient en septembre. S’imposant vite
comme une icône de la résistance
palestinienne et une figure de proue de
la cause arabe, il est arrêté en 1974,
emprisonné et torturé par l’occupant
israélien, il est libéré en 1977 après
des tractations difficiles entre
Tel-Aviv et la papauté qui lui imposent
un exil à vie loin de la Palestine et de
tout pays arabe. Il sera donc propulsé
de poste en poste jusque dans la
lointaine Amérique du Sud. Bien que son
nom soit déjà célèbre, c’est grâce à
l’impact de cette série à succès en
trente épisodes qu’un certain grand
public arabe ou arabophone verra
désormais en Mgr Cabbougi, le Gardien
d’un lieu saint pas comme les autres.
Arabe depuis des
siècles, Al Qods est en effet
pour les croyants des trois religions
abrahamiques l’objet d’une vénération
commune qui résulte de leur parenté.
Elle est au coeur de la « Terre Sainte
», région centrée sur la Palestine et se
confondant avec la Grande Syrie
(incluant le Liban, la Jordanie, une
partie de l’Irak et un morceau de
Turquie) : c’était le cadre prévu pour
le « grand royaume » promis aux Arabes
pour l’après-califat mais qui n’avait pu
voir le jour suite aux « bricolages »
franco-anglais (Sykes-Picot, Balfour),
la Syrie historique étant dépecée,
l’immigration juive lancée et l’Etat
d’Israël créé (peu après le départ des
Français de Damas en 1946). Le
feuilleton met bien en lumière la
nostalgie d’une appartenance commune
restée vivace, en Syrie, au Liban, en
Palestine, ce qui est loin de déplaire
aux autorités de Damas dans le contexte
actuel.
C’est cette
aspiration « arabe » que Mgr Cabbougi
assumera avec une ardeur particulière,
se posant comme un évêque loyal mais
engagé, témoin indigné de la nakba
(catastrophe) de 1948 et du calvaire
infligé aux Palestiniens, de la négation
de leurs droits et libertés, des
arrestations et détentions sans
jugement, des expulsions. « Gardien » de
Jérusalem, il conserve pieusement les
reliques du monde d’avant, la clé d’une
maison confisquée symbolisant l’exil, et
le couteau la lutte contre l’usurpateur.
Sayedna Hilarion le martèlera en
toute occasion, la Palestine appartient
aux Palestiniens, ses habitants
autochtones, et elle restera à jamais
leur propriété, quand bien même
auraient-ils tous été chassés. On
croirait entendre le discours tenu à
Damas ces années passées, face à la
sauvagerie, à l’arbitraire, aux crimes
des occupants, au silence indigne de la
« communauté internationale ». Mais
c’est par conviction et non pour plaire
que l’évêque Cabbougi évoque avec flamme
l’unité de destin entre son pays natal
et la Palestine, cause sacrée des
Arabes. Le Père Elias Zahlaoui,
conseiller du réalisateur, aura veillé à
la fidélité du récit.
Les responsables
syriens ne brillent pas toujours par
leur sens de la communication. Mais
cette fois-ci, ils auront visé juste en
choisissant un héros qui cultive avec
soin ses racines. S’il est palestinien
parmi les palestiniens, Mgr Hilarion
Cabbougi est un militant, qui inscrit sa
lutte, sans ambigüité, dans un cadre
syrien et palestinien à la fois, au nom
d’une identité arabe pleinement
revendiquée : « L’arabité n’est pas
une question de religion ou d’ethnie,
elle est fondée sur les bases de la
langue, de la culture, de la
civilisation », clame-t-il. Les
identités de circonstance dénichées par
des intellectuels qu’inspire un air du
temps délétère surgissent de partout et
nulle part : « Nous ne sommes pas
arabes, nous sommes phéniciens,
cananéens, chaldéens, syriaques,
assyriens, coptes, Berbères, kurdes etc…
». Cet évêque qui n’a pas la langue
dans sa poche les récuse, et son
franc-parler résolu vient à point nommé
dans un Etat en guerre où les requêtes
identitaires dégagent souvent un parfum
d’ailleurs ou d’autrefois. Mais il est
bien en phase avec le Président Assad
qui répète volontiers : « La Syrie
est arabe, les Syriens sont
viscéralement arabes ». Dans l’un
des derniers épisodes, en présence d’un
nonce apostolique tétanisé,
l’indomptable Mgr Cabbougi réitère sa
profession de foi, en guise d’apothéose
en quelque sorte : « Mon
christianisme et mon arabisme ne font
qu’un; chrétien ou musulman, tout
palestinien est mon frère, tout arabe
est mon frère, tout pays arabe est ma
patrie ». Un encouragement pour la
Syrie d’aujourd’hui, une bouffée
d’espoir pour la Palestine devenue
prison et objet de « transaction », un
défi pour les « régimes arabes » et
Israël toujours appliqué à assimiler
Arabes et musulmans pour mieux isoler
les chrétiens, banalisant la judéité de
l’Etat d’Israël.
Entre l’évêque
militant et la Syrie résiliente, il y a
à l’évidence tant de proximité que cela
méritait bien un feuilleton de Ramadan…
Michel Raimbaud
– le 27 mai 2020
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