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Peuples confinés, Etats confinés, même
combat ?
Michel Raimbaud
Image
d'illustration - © Luis ACOSTA / AFP
Source: AFP
Vendredi 24 avril 2020
Source :
RT France
Le coronavirus met à nu les mutations de
l’équilibre international : obnubilé par
les sanctions et centré sur lui-même,
l’Occident accepte mal la perte de son
hégémonie face à la montée d'un bloc
eurasien ouvert sur le monde.
Nous
sommes désormais plus de quatre
milliards à vivre en résidence
surveillée. On la dira citoyenne si l’on
est bon public. En moins de temps qu’il
n’en faut pour le dire, le phénomène du
«confinement» a pris une extension
sidérante, faisant souffler sur la
planète un vent de surréalisme. On
glosera longtemps sur l’origine de ce
mystérieux virus qui a précipité notre
monde familier vers un avenir
inquiétant.
Faut-il pour autant céder à la folie
ambiante en reléguant au rang de
souvenir la mutation géopolitique qui,
depuis une dizaine d’années, refaçonne
le monde sur de nouvelles bases. Si
cette vague de fond n’était qu’une
illusion d’illuminé, aurait-on vraiment
dramatisé le virus comme on l’a fait ? A
moins que la pandémie n’ait été un
catalyseur propice à l’avènement du
«nouvel ordre» messianiste prophétisé
par Kissinger, Attali, Gordon Brown,
Bill Gates et consorts ? C’est l’issue
de l’affrontement en cours entre le bloc
atlantique, maître du monde menacé dans
son hégémonie, et le challenger eurasien
à direction russo-chinoise qui
tranchera. En effet, si la «vague
corona» n’est pas un épisode banal,
c’est surtout en raison du chaos qu’elle
a semé en cent jours. Provoquer le
«confinement» d’une bonne moitié de
l’humanité, sur les cinq continents,
relève du jamais-vu. Innombrables seront
donc, de part et d’autre de
l’Atlantique, là où l’on recense 90% des
infectés et des morts, les experts ou
justiciers qui diront l’avenir sans
avoir rien vu venir. Avant de tirer des
plans sur la comète pour réparer
l’incommensurable dégât, ils devront en
tout cas remiser leurs idées préconçues
qui ont volé en éclats. Le confinement
généralisé complété par un confinement
audiovisuel omniprésent à haute dose de
coronavirus se prête mal à une révision
déchirante, mais les faits sont têtus.
Le bloc atlantique a perdu sa suprématie
globale et son magistère intellectuel ou
moral. Dur à admettre pour les Trump,
Pence, Pompeo, Bolton et Cie, mais aussi
pour la gent occidentaliste. Les effets
de manche sur la mort cérébrale de
l’OTAN ou le déclin de l’Occident
sonnent faux tant est enraciné le
nombrilisme. Le coronavirus aura ruiné
l’image de l’Amérique et de l’Europe, et
c’est auprès de l’Organisation de
coopération de Shanghai (Chine, Russie
et alliés asiatiques) que la plupart des
pays, même les plus inattendus, auront
cherché assistance.
La Chine, première à
juguler le fléau, est très sollicitée.
Forte d’un prestige certain, elle
affirme son leadership. Son aide à
l’Italie, abandonnée par ses partenaires
européens, voire à la France, ne passe
pas inaperçue… La Russie a lancé elle
aussi des opérations de secours à
destination de l’Italie (matériel de
dépistage et de désinfection, médecins,
virologues et épidémiologistes) et de
seize autres pays : membres de l’Union
économique eurasienne (ex-URSS), Iran,
Egypte, Venezuela, Corée du Nord,
Mongolie. La Serbie a choisi de faire
appel à Moscou et Pékin.
Cette
implication des grands de l’Eurasie a de
l’impact. Médiatisation ? Ni plus ni
moins que naguère les «grandes
démocraties». D’ailleurs, que pourraient
médiatiser nos médias de révérence,
sinon le cynisme égocentrique des
occidentaux, la vanité de leurs leçons,
leur acharnement dans des guerres
illégales et la fin de leur monopole
humanitaire, cheval de bataille pour
l’ingérence. D’où la campagne de
mensonges sur les pays qui fâchent : la
Chine «responsable» de la pandémie
(Trump demande indemnisation), la Russie
accusée de «surmilitarisation», l’Iran,
la Syrie…
On a espéré en vain que les
Européens décrètent une trêve des
sanctions et menaces d’ingérence,
occupés comme ils le sont par le corona.
Aux Etats-Unis, l’arrivée en trombe du
virus a déchaîné une rage de sanctions
tous azimuts. Or, celles-ci, devenues
l’arme majeure de la stratégie de
l’Amérique et de l’Union européenne, ont
précisément pour but d’entraver le
fonctionnement d’un Etat, d’étrangler
son économie et d’empêcher son peuple de
vivre. En ces temps coroniques, elles
ont pour résultat d’interdire les
importations de médicaments et matériels
sanitaires et de rendre impossible la
réparation des équipements. On confine
bien les populations, pourquoi se
priverait-on de «confiner» les Etats ?
Un rappel à ce propos. C’est la
disparition de l’URSS qui, en 1991,
avait permis à l’Amérique de prendre le
contrôle du Conseil de sécurité,
autorité suprême (chapitre VII de la
charte de l’ONU) en matière de maintien
de la paix, sécurité internationale et
règlement des conflits, et ce en lui
substituant une «communauté
internationale» toxique, incarnée par un
triumvirat au comportement
«préoccupant». Washington pouvait dès
lors infliger des sanctions de tous
ordres (restrictions à la circulation
des biens, des personnes, des valeurs
financières, embargos sur des produits
ou des armes, gels d’avoirs) à
l’encontre des Etats «voyous» accusés de
ne pas respecter la légalité
internationale en matière de
non-prolifération des armes interdites,
lutte contre le terrorisme et
«gouvernance». Une évidence s’imposerait
au fil des ans : les Etats voyous ne
sont pas forcément ceux que traque notre
«troïka». Les résultats sont connus :
entre «chaos créateur», «théorie du fou»
de Nixon/Kissinger et «responsabilité de
protéger», les Etats-Unis, leur cœur
battant israélien et leurs supplétifs
européens, pensent être en mesure
d’entretenir partout un désordre sans
fin, à l’ombre de la nouvelle peste coronique.
Si la Chine et la Russie,
déjà cibles de lourdes sanctions,
doivent être traitées avec précaution,
l’arrogante patrie du Bien se défoule
sur ceux qui dans son arrière-cour la
défient. Cuba, qui a développé une
médecine de pointe, dépêchant près de
600 spécialistes vers quatorze
destinations (y compris Italie, France
d’Outre-Mer et Caraïbes, Syrie), irrite
certes l’Oncle Sam vieillissant, mais le
vétéran de l’embargo yankee a fait ses
preuves. C’est donc le Venezuela,
détenteur d’immenses réserves
pétrolières, qui est la cible «latine»
par excellence. Qu’il soit victime du
virus ne fait qu’exciter chez Trump et
ses sbires un acharnement «viral» qui se
manifeste par des sanctions meurtrières
et dévastatrices. Des experts onusiens
les qualifient de «crimes contre
l’humanité», «s’apparentant à une action
génocidaire», ajoutant que «dans un
monde décent, leurs architectes
devraient être emprisonnés à vie».
L’objectif avoué est de capturer Maduro,
accusé de narcotrafic, et de le
remplacer par un fantoche. En attendant,
le coût des dépistages du covid se
trouve propulsé à des niveaux
exorbitants et le FMI a refusé le prêt
demandé par Caracas. Paris et Londres
appuient cette agression grossière,
envoyant des navires dans les parages au
prétexte d’aider à la lutte contre la
pandémie (sic).
«Le coronavirus signifie
que l’Amérique est totalement brisée.
Trump devrait sortir de l’enfer syrien»,
écrit Doug Bandow le 22 mars dans The
American Interest. En attendant,
agressée par la coalition hybride que
l’on sait, théâtre de la guerre
«invisible et sans fin» menée par Trump
et ses alliés pour interdire paix et
reconstruction, et occupée illégalement
à l’est de l’Euphrate pour «contrôler le
pétrole», la Syrie est en outre frappée
depuis 2011 par une pléthore de
sanctions occidentales sadiques....
C’est dramatique pour un pays dévasté,
alors que le coronavirus y a fait son
apparition. Est également criminel le
siège imposé par Washington à Téhéran,
résistant depuis 1979 aux sanctions
occidentales. Confronté à la réescalade
engagée par Trump, l’Iran est durement
affecté par la pandémie. Pour ces pays
de «l’Axe de la résistance»,
l’interdiction de commercer en dollars
vise à empêcher tout achat de
médicaments et d’équipements sanitaires,
alors qu’ils sont économiquement
étranglés. Comment compter sur des
Européens velléitaires dont le
coronavirus est le seul horizon et les
sanctions le seul outil politique ?
«Soyez humains, levez les sanctions pour
tous les pays et mettez fin à toutes vos
guerres contre tous les pays. Cessez de
fabriquer des armes et tournez-vous vers
l’humanité…». Cet appel d’une
journaliste syrienne fera-t-il réfléchir
? C’est mal parti. Rohani rappelle que
l’Amérique n’est pas seulement
responsable de la mort d’un Iranien
toutes les dix minutes, mais qu’elle
menace la vie du monde, et il met
l’Europe en garde : Qom n’est pas si
loin de Londres ou de Paris. Khamenei
aurait-il tort d’invectiver Washington ?
: «Vous êtes des insolents, des
oppresseurs, des terroristes». Il n’y a
que la vérité qui blesse.
Michel Raimbaud
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