Actualité
Cachez-moi ce dessein que je ne saurais voir
Michel Raimbaud
Le vide
sidéral que génère le Covid
est certes contre-nature, mais ne plus
jurer que par lui permet
de mettre au
rancart les préoccupations du « monde
d’avant ». On n’épiloguera pas sur la
casse
systématique des acquis, des
conquêtes sociales ou des libertés
publiques, et sur l’effacement
progressif de toutes les formes
traditionnelles de discussion, de
dialogue et de négociation,
etc…
Mardi 1er septembre 2020
Publié sur :
Afrique Asie Mille ans après la
Grande Peur de l’An Mille, un tsunami de
déraison submerge la planète, qui n’en
est pourtant pas à une folie près. Un
terrorisme médiatique sans précédent qui
a permis l’enfermement, également
inédit, de centaines de millions de
personnes, y est pour beaucoup. Les
Occidentaux n’ont pas tardé à saisir
cette aubaine pour expérimenter à
domicile une « responsabilité de
protéger » qui servait jusque là à
justifier leurs ingérences illégales
dans les Etats décrétés « voyous » sous
prétexte de les mettre au pas. Les
grandes démocraties, qui ont le droit
divin de dire le droit et d’écrire
l’Histoire avant de la créer, ont donc
joué un rôle moteur dans ce psychodrame
collectif.
Formatées et
acquises aux thèses du « Nouvel Ordre
Global », les « élites » ont entrepris
sans états d’âme de liquider les repères
du « monde d’avant » à tous les plans
(personnel, familial, sociétal) et dans
tous les domaines (politique, culture,
économie, éducation, enseignement,
religion), l’objectif étant
manifestement de préparer les esprits à
un « monde d’après » désarticulé,
déshumanisé, désocialisé, décivilisé,
dont les symboles (masques, « gestes
barrières », « distanciation sociale »,
interdiction des rassemblements, des
réunions, des marques d’affection
familiale ou intergénérationnelle) sont
en soi tout un programme. Le vide
sidéral que génère le Covid est certes
contre-nature, mais ne plus jurer que
par lui permet de mettre au rancart les
préoccupations du « monde d’avant ». On
n’épiloguera pas sur la casse
systématique des acquis, des conquêtes
sociales ou des libertés publiques, et
sur l’effacement progressif de toutes
les formes traditionnelles de
discussion, de dialogue et de
négociation, etc…La catastrophe semble
déboucher sur un « trou noir »
susceptible de tout engloutir, y compris
l’inquiétude et les réflexes de
résistance…Cette apathie résignée sous
nos cieux bien-pensants a de quoi
surprendre.
Comment s’étonner
dès lors que l’indifférence ordinaire
face aux problèmes du monde soit plus
que jamais la règle. Les grands chefs de
guerre qui président aux destinées de
nos « démocraties » peuvent ainsi mener
en toute tranquillité leurs entreprises
illégales : ils n’auront pas de comptes
à rendre. Il est vrai que, vu de Sirius,
le monde du début de millénaire fait
penser à la « nef des fous » peinte par
Bosch il y a 500 ans, notre folie
d’aujourd’hui relevant bien davantage du
désordre politico-religieux que de la
menace pandémique. S’il a le dos large,
le ci-devant Corona n’a fait que
consacrer la dérive constatée sur le
Grand Echiquier depuis la chute de
l’URSS. Retombée de la catastrophe
géopolitique de 1991, la rupture de
l’équilibre fragile de la guerre froide
devait en effet déboucher rapidement sur
l’abandon des valeurs et règles
communes, l’adieu à la légalité
internationale et la ruine du
multilatéralisme, préludes à la glissade
vers un enfer où feraient la loi les
vainqueurs de la guerre idéologique,
sans scrupules ni vergogne. Après vingt
années de « moment unipolaire américain
» et dix ans de « révolutions » et
autres « printemps », l’effervescence
planétaire a rendu caricaturales les
gesticulations d’une ONU en faillite,
réduisant à des simulacres les démarches
et procédures de la relation
internationale. Comment cacher sa
stupéfaction devant les nouvelles mœurs
diplomatiques soi-disant dictées par
l’urgence sanitaire : le Conseil de
Sécurité se réunit désormais « en
visioconférence » (sic), ce qui réduit
les échanges au minimum syndical et
banalise les dialogues de sourds qui
constituaient déjà souvent la trame des
réunions « d’avant ».
Les menteurs et
tricheurs de l’Axe du Bien auront eu la
peau du « machin » tout en conservant
pieusement les vieux « trucs » cachés
dans le double fond de leur sac à
malices : la « responsabilité de
protéger », les droits de l’homme, la «
communauté internationale », les «
régimes préoccupants », les faux
pavillons, les tyrans massacreurs, le
vocabulaire attrape-gogos avec ce non
qui veut dire oui, ce vrai qui cache le
faux et l’aide humanitaire acheminée par
les flottes de guerre…A l’ouest rien de
nouveau ! Y compris au pays de
Montesquieu et Descartes. N’y a-t-on pas
depuis longtemps tiré un trait sur feu
la légalité internationale, ne trouvant
rien à redire à la loi de la jungle qui
s’est imposée face au droit onusien ?
Les Occidentaux auraient pourtant tort
d’ignorer la haine et la rancœur que
suscitent partout dans le monde leur
cynisme, leur arrogance, leurs postures
et impostures.
Cœur du
Moyen-Orient, la Syrie historique face
aux agresseurs
C’est au centre de
la « ceinture verte musulmane » qui
court de l’Atlantique au Pacifique, que
l’on trouve le foyer le plus fébrile et
le plus explosif de l’affrontement entre
l’Eurasie et l’Empire Atlantique, qui
servira ici d’exemple.
Ancrée à l’un des
carrefours majeurs de la géopolitique,
la Syrie est certes le cœur battant de
l’arabisme, mais elle est également dans
son extension historique le cœur du
Grand Moyen-Orient, enjeu fondamental
entre les empires du « pivot
géographique du monde » et les « empires
de la mer ». Matrice de notre
civilisation, ayant vu naître
l’alphabet, la musique, l’agriculture,
la cité, la politique, le monothéisme,
objet des convoitises stratégiques, elle
est certes habituée aux vicissitudes,
mais elle doit aujourd’hui faire face à
une agression globale où tous les
messianismes se sont donné rendez-vous.
Se trouvant au point de convergence de
leurs ambitions, c’est un combat
existentiel auquel elle ne peut
échapper. Or, dans les circonstances du
moment, on ne saurait négliger un
élément géostratégique déterminant qui
la renforce et la fragilise à la fois,
son appartenance à un Axe de la
Résistance (de l’Iran au Liban
méditerranéen), obstacle majeur aux
assauts d’une hydre à cinq têtes : le
vieil impérialisme endémique, un
colonialisme enraciné, le sionisme à
double visage, le néo-ottomanisme
déjanté d’Erdogan et l’islamisme
conquérant des Frères Musulmans. La
diversité des enseignes ne doit pas
induire en erreur : malgré des rivalités
d’intérêts ponctuelles, les agresseurs
partagent les mêmes ambitions
hégémonistes et un penchant pour les
comportements déviants, avec une arme
commune, le recours au terrorisme.
1/
L’impérialisme moderne est inscrit
depuis cinq siècles dans les gènes et
l’histoire de l’Occident. Il se réclame
d’une mission civilisatrice (le fumeux «
fardeau de l’homme blanc », devenu « le
fardeau de l’homme riche »),
progressivement imprégnée d’un
messianisme sioniste judéo-protestant,
voire d’une certaine inspiration
trotskiste. C’est du moins dans ce
bouillon idéologique qu’est née à la fin
des années 1960 la doctrine
néoconservatrice, pensée du degré zéro.
C’est à l’ère Reagan qu’elle a pris son
essor, lançant ses métastases un peu
partout, s’imposant comme le logiciel du
soft power de l’Amérique et de son «
Etat profond ».
Les méfaits de cet
impérialisme continument recyclé sont
innombrables, notamment dans le Grand
Moyen-Orient, zone privilégiée de ses
gesticulations militaires et de ses
manigances politiques. Sa capacité de
nuisance y semble illimitée, tout
particulièrement au Croissant Fertile,
autre nom de la Grande Syrie, le « Bilad
al Cham » des Arabes.
C’est à l’occasion
des attentats du 11 septembre, puis du
déclenchement de la seconde guerre
d’Irak en 2003, qu’est apparue en pleine
lumière la sauvagerie de « l’Amérique si
bonne » de l’ère Debeliou, où le pouvoir
suprême avait été littéralement capté
par un monstrueux et hallucinant Vice en
la personne de Dick Cheney. Mais
l’Amérique de Trump, digne héritière de
celle de Debeliou et d’Obama, est loin
d’être une aberration. Pour épargner au
lecteur l’inventaire sans fin des
crimes, complots et mauvais coups de cet
« Etat voyou » par excellence, mais
aussi le sinistre bilan des agissements
de ses affidés occidentaux ou de ses
fidèles associés israéliens, turcs ou
islamistes (cf. infra), on citera ici
une brève intervention de Bachar al
Jaafari, représentant permanent de la
Syrie aux Nations-Unies. Elle remplacera
avantageusement de longs développements
:
Citation – Lorsque
les Etats-Unis d’Amérique volent chaque
jour et ouvertement 200.000 barils de
pétrole extraits des puits syriens et
40.000 tonnes de coton ; lorsqu’ils
incendient des milliers d’hectares de
champs de blé. Quand ils volent 5
millions de têtes de bétail et se
vantent d’agir en faveur de la partition
de la Syrie et de l’affaiblissement
volontaire de la valeur de la livre
syrienne ; quand ils imposent des
mesures économiques coercitives visant à
étrangler le peuple syrien, quand ils
occupent des parties du territoire
syrien et protègent leur partenaire turc
qui occupent d’autres portions de ce
territoire ; quand la représentante des
Etats-Unis ose évoquer malgré tout
l’inquiétude de son administration face
à la détérioration des conditions de vie
du citoyen syrien, imputant cette
détérioration à ce qu’elle appelle “le
régime”, la question légitime que l’on
peut se poser est la suivante: – Est-ce
que ce sont là les symptômes d’une
schizophrénie politique?? Ou bien
serait-ce lié à un état de maladie
grave? Fin de citation.
Comment ne pas être
révulsé en effet par le cynisme,
l’arrogance, la perversité, la bêtise
des malfrats qui dirigent feu la plus
grande puissance de la planète, et
celles de leurs vassaux et satellites ?
Comment oser présenter leurs
innombrables méfaits comme des œuvres
pies ou feindre de les ignorer ? La
Syrie n’est-elle pas depuis dix ans le
théâtre d’une guerre d’agression
impitoyable directe et/ou indirecte et
la victime de mesures criminelles
imposées par les Etats-Unis et l’Europe,
qui empêchent les Syriens de subvenir à
leurs besoins essentiels en nourriture,
médicaments, équipements médicaux en
plein COVID : une tentative de « meurtre
délibéré », sans réaction de l’ONU.
Le 27 octobre
/2019, Trump avouait « aimer le pétrole
», annonçant qu’il voulait « conclure un
accord avec une entreprise américaine
pour qu’elle prenne sa part du pétrole
syrien » (sic) : la « Crescent Delta
Energy », dirigée par un ancien
ambassadeur, a réalisé le rêve du
bienheureux Donald avec l’appui des «
Forces Démocratiques Syriennes »
(séparatistes) épaulées par les
occupants US, concrétisant un hold-up
sur les hydrocarbures qui permet de
priver la Syrie des revenus nécessaires
pour respirer et se reconstruire. La
mafia sioniste de Washington avait déjà
autorisé des compagnies supervisées par
l’ancien « Vice » Dick Cheney à extraire
le pétrole du Golan occupé.
La place du
gangster à la mèche jaune serait plutôt
dans un pénitencier de la CPI qu’à la
Maison-Blanche. Et ses sbires à blanc
bonnet ou à bonnet blanc itou. Sans
doute, certains feront-ils la queue au
bureau de recrutement du démocrate Biden,
si celui-ci est élu. On ne compte plus,
dans les hautes sphères des « grandes
démocraties », les personnages qui « ne
méritent pas d’être sur terre » et
encore moins au poste où ils sévissent.
L’impérialisme ne manque pas de
serviteurs ou simplement de culot.
2 / Bête au Bois
Dormant, le colonialisme vit un
retour de printemps impressionnant. On
le croyait mort et enterré dans les
poubelles de l’Histoire ; le voilà, tout
guilleret, qui ressuscite, au
Grand-Moyen Orient et ailleurs. Il doit
certes avancer masqué, mais c’est dans
l’air du temps. S’il reste discret ou
clandestin ici ou là, il est bien
présent, se fondant dans la vague
impérialiste décomplexée qui balaie la
mappemonde des conflits. Les Etats-Unis
ont longtemps argué de leur virginité en
matière de colonialisme, encore qu’un
pays né à la faveur d’un génocide, qui
doit une part notable de sa prospérité
au trafic négrier et n’hésite pas à
exterminer des centaines de milliers de
civils japonais pour terroriser, soit
mal placé pour donner des leçons sur les
droits de l’homme et la chasse aux armes
de destruction massive.
En tout état de
cause, le colonialisme sous ses oripeaux
divers est omniprésent dans la région du
Grand Moyen-Orient depuis fort longtemps
et il ne faut pas gratter bien loin pour
en retrouver la trace dans la plupart
des pays arabes, notamment sur les
terres de la Syrie historique et celles
qui allaient constituer l’Axe de la
Résistance. Ce n’est pas un hasard si la
carte de cette zone coïncide avec celle
des charcutages, partitions,
démantèlements, conçue sous des formats
divers par les stratèges
israélo-américains comme Oded Yinon, le
Colonel Peters, Bernard Lewis, Rumsfeld
et Cebrowski, Joe Biden, etc…Ce n’est
pas un hasard non plus si les deux
superpuissances coloniales d’antan,
France et Grande-Bretagne, sont à
l’origine du remodelage de la région
intervenu il y a un siècle, à la chute
de l’Empire ottoman : entre les
promesses non tenues faites aux Arabes
par Mac Mahon, les engagements solennels
et respectés en faveur des sionistes
(déclaration Balfour) et les accords
secrets entre les sieurs Sykes et Picot,
l’entreprise avait deux objectifs
majeurs, partitionner l’espace syrien et
le croissant fertile pour maintenir la
division des Arabes et offrir une place
au sionisme pour la création d’un Etat
tampon au service du colonialisme
britannique. A Paris, plus encore qu’à
Londres, on n’est pas insensible à la
nostalgie du bon vieux temps de
l’arbitraire et de la canonnière : ce
n’est pas le Le Drian qui démentira.
D’où la politique à
double visage de la patrie des droits de
l’homme : d’un côté honteuse,
quasi-clandestine, multiforme et
malveillante vis-à-vis de Damas ; de
l’autre, ouverte, apparemment
bienveillante, mais lourde
d’arrière-pensées à l’égard du Liban,
terre arrachée en douce à la Syrie
historique. Créé dans des conditions à
peu près identiques par les
Britanniques, Israël bénéficiera pour sa
part d’une complaisance sans limites. Ce
qui constitue une assurance tous risques
pour Tel-Aviv : sa politique échappe à
toute remise en cause et le criminel «
Bibi » est bien vu à Paris, à Washington
et ailleurs. Les Palestiniens spoliés,
martyrisés et trahis se contenteront
peut-être de sautiller d’un « postillon
» à l’autre en Cisjordanie ou de mariner
dans leur prison à ciel ouvert à Gaza.
Une explosion à
Beyrouth, port détruit et ville soufflée
!? Voici M. Macron qui surgit dans
l’heure, sans masque et prodiguant
conseils, leçons et promesses,… les
assortissant de demandes exorbitantes en
forme d’ultimatum et de menaces ouvertes
en cas de non-exécution. Le tout avec un
tact éléphantesque : le mandat est de
retour et on trouve même des Libanais
qui supplient la France de revenir.
C’est un remake du coup du Père Colin
(Powell-NDLR) à Damas en 2005. Le
complexe président est chargé de mettre
en œuvre les plans trop voyants de
Washington et fiérot de l’être. Les
objectifs sont multiples : il s’agit de
neutraliser les velléités d’indépendance
du Liban et d’écarter du pouvoir le
Hezbollah, force vive du « pays du cèdre
», d’essayer de boucler la frontière
afin de finir d’asphyxier la Syrie en
interdisant toute transaction avec elle,
d’interdire l’ouverture du couloir
reliant Téhéran à Beyrouth via l’Irak,
la Syrie et le Liban. Il s’agit enfin de
bloquer toute irruption de la Chine et
de ses Routes de la Soie sur les rivages
méditerranéens, présentée par certains
comme la seule planche de salut pour un
Etat étranglé. L’un des enjeux est
peut-être aussi d’empêcher toute enquête
qui pourrait révéler la véritable
histoire des nitrates pulvérisés : il
serait malsain d’être impliqué dans le
puzzle des non-dits inavouables
(Turquie, guerre de Syrie, cargaisons
destinées aux terroristes ?).
La « Tendre Mère »
est intransigeante : pas question de
chèque en blanc, de reconstruction de
Beyrouth hors du FMI, pas d’enquête
nationale ; le pays sinistré doit
recourir à la « communauté
internationale ». Aura-t-il fait ses «
devoirs de vacances » au retour de
Maître Macron, qui exige, à l’occasion
du centenaire de la proclamation du «
Grand Liban », un nouveau pacte national
? Le Drian a bien menacé de ne pas
revenir (sic), mais le mandat est périmé
: l’ultimatum ne passe plus comme une
lettre à la poste.
3/ Le sionisme
reste une pièce maitresse dans la
construction impériale et coloniale.
D’autant plus que la doctrine trouve
beaucoup de supporters et de
sympathisants dans les opinions
occidentales ou autres. Il va de soi
qu’Israël est omniprésent dans toutes
les convulsions qui déstabilisent la
région et ses alentours proches ou
lointains. Dans l’espace qui nous
intéresse plus particulièrement,
n’est-il pas censé être la puissance
régionale majeure et sans rivale, celle
à qui tout est permis par principe. On
ne fera donc pas l’inventaire des faits
et gestes de cet Etat qui, bien que créé
par une résolution des Nations-Unies, a
toutes les caractéristiques d’un
Etat-voyou, telles que définies par le
Pr Avi Shlaim, universitaire
anglo-israélien (né à Bagdad) : détenir
des Armes de Destruction Massive,
soutenir le terrorisme, violer la
légalité internationale. Ce
serait…fastidieux.
L’évocation du
messianisme sioniste serait très
incomplète si l’on ne faisait pas une
référence appuyée à ses deux composantes
: le sionisme juif est connu, mais le
second, celui des églises protestantes,
plus radical et encore plus puissant que
le premier, est souvent zappé. En essor
depuis les années 1980, l’évangélisme
(mais il n’est pas la seule variété de «
sionisme chrétien ») mobilise des
millions de fidèles partageant une
vision du monde bigote et sans
frontières, fondée sur une lecture ultra
néoconservatrice de la Bible.
Richissimes et ayant investi l’espace
politique sur la base d’un
anticommunisme suranné, ils jouissent
d’un poids électoral énorme (60 millions
de « Chrétiens unis pour Israël ») et
constituent l’un des groupes de pression
les plus influents de la planète. Si
Israël est bien le cœur battant de
l’Amérique, le cœur de l’Amérique bat
pour Israël.
Il reste que
contrôler l’avenir du Croissant Fertile
et de l’espace syrien est vital pour ce
pays sans frontières, qui se moque des
lois et des peuples, envisageant son
avenir à la lumière des textes
bibliques, lesquels sont censés lui
attribuer un espace vital allant du Nil
à l’Euphrate. Ce qui implique de
liquider la cause palestinienne, mettre
à genoux la Jordanie résignée à devenir
« l’Etat de remplacement », détruire le
Liban et son Hezbollah, anéantir l’Etat
syrien qui a déjà résisté dix ans, et
ramener au pas l’Irak. Et les techniques
sont multiples. Concernant la Syrie, le
truc favori en Occident reste le
politicide médiatique, qui vise à
effacer le pays « pro-Bachar » de la
carte. En témoigne le Grand Bilad al
Cham » sans la Syrie, imaginé à
Washington sous l’égide de Bagdad et du
Caire.
Globalement, croit-on au succès du côté
d’Israël, au vu des efforts déployés
pour capturer les « proies » et du
maigre bilan enregistré ?
4/ Le
néo-ottomanisme, qui inspire les
dirigeants d’Ankara depuis près de
quarante ans, est fébrilement promu par
Rajab Tayep Erdogan. Le Mamamouchi est
membre actif de la corporation du
banditisme d’Etat. A l’instar de ses
partenaires favoris, il viole
ouvertement, en toute impunité, le droit
international. Faux contestataire de
l’ordre atlantique, agent de l’Amérique,
membre de l’OTAN et allié objectif de
Tel-Aviv, Erdogan est le porte-drapeau
des Frères Musulmans, dont le parti de
la Justice et du Développement au
pouvoir n’est rien d’autre que la
branche turque. Depuis sa création en
Egypte par Hassan al Banna, à la chute
du Califat, le mouvement est l’agent du
colonialisme. Le néo-Sultan ne fait pas
mystère de son rêve de réinstaurer
l’Empire. Son Iznogoud, Ahmet Daoud Oglu,
a été l’architecte de la diplomatie du «
zéro problème avec les voisins ».
C’était un produit du lexique piégé, «
bon voisinage » signifiant « guerre ».
Notre vibrion ne
fait pas dans la dentelle, et il est
omniprésent sur tous les théâtres du
Grand Moyen-Orient, en Afrique, en
Méditerranée. Comme Trump il « aime le
gaz », comme Netanyahou, il méprise le
droit international et l’ONU, qui ne
bronche pas. Il joue au plus fin avec
Washington et Moscou et présume de sa
puissance. La lune de miel avec la
France est terminée depuis belle
lurette. Les deux pays sont rivaux en
Méditerranée, en Libye et sur le
continent africain, mais ont en commun
d’être illégalement présents en Syrie,
en violation de la légalité
internationale. La confiscation ou
l’annexion des terres ne saurait certes
effacer leur appartenance à la Syrie,
mais rend toute solution difficile.
Erdogan n’a pas respecté les engagements
pris à Astana ou Sotchi et, en liaison
avec sa mouvance terroriste, multiplie
les crimes et les actes d’agression et
d’occupation : le pillage de la zone
d’Alep (441 usines démontées et
acheminées vers la Turquie), le vol ou
l’incendie des récoltes, le trafic du
pétrole volé et des antiquités pillées
par Daech et Cie, un million de
personnes privées d’eau à Hassaka.
Cependant, bien qu’Erdogan turquise à
outrance, déplaçant les habitants,
pillant biens et avoirs, imposant sa
monnaie, il est fatal qu’il devra à
terme se retirer de Syrie, l’équilibre
stratégique n’étant plus en sa faveur.
Et le Croissant
Fertile ou la « Grande Syrie » ?
Entre le camp
atlantique et le bloc eurasien, entre
l’Axe de la Résilience et celui des
agresseurs, le présomptueux « Grand Turc
» a fait le mauvais choix, comme
beaucoup de ses compères membres du club
des Etats « déviants ». Dans le
tohu-bohu des idéologies, il semble
prétentieux de faire des prévisions,
s’agissant d’un Croissant fertile en
rebondissements et d’un espace
historique syrien où se télescopent tant
de revendications. Pour servir les
objectifs précédemment évoqués, depuis
un siècle la carte régionale a été «
charcutée » au détriment de l’identité
arabe, laissant une marque profonde dans
la mémoire des peuples floués, qui
constituent depuis des temps immémoriaux
la majorité autochtone. Admettre qu’une
légitimité a été bafouée et une identité
commune niée reviendrait à plaider
coupable pour le passé et le présent.
C’est impensable pour un Occident qui
persiste et signe, imperturbable face au
« crépuscule des dieux américains » et à
l’inexorable ascension du bloc
sino-russo-iranien.
Le conflit syrien a
démontré que beaucoup d’Etats dans le
monde étaient sensibles aux sirènes de
l’Occident et qu’ils pouvaient à
l’occasion adopter ses méthodes
déviantes, peu respectueuses du droit
international. En témoignent les 114
pays qui avaient rejoint en 2012 le «
groupe des amis du peuple syrien » (sic)
patronné par Washington, soutenant de
facto le terrorisme. On ne sera pas
surpris de constater que les Etats «
gangsters » du Moyen-Orient, qu’ils
soient pros (Turquie, Israël) ou
amateurs (Arabie Saoudite, Emirats,
Qatar…) sont les premiers à imiter leurs
parrains, misant sur des « affaires du
siècle », des transactions déshonorantes
ou des coups de force pour s’affirmer.
Les « tyrans pétroliers », dont
l’horloge par définition retarde, ont
choisi le mauvais versant de l’Histoire,
ce qui porte un lourd préjudice à la
cause arabe. Beaucoup de ces dirigeants
écriront sur leurs murs que Trump m’a
tromper. Trompé, mais pas énormément,
ajouteront les repentants les plus
futés, réalisant que ce qui était
possible il y a dix ans ne l’est plus :
les faits accomplis ne peuvent exister
tant qu’ils n’ont pas été « acceptés »
par les victimes puis avalisés par la
communauté des nations. Vu le
basculement stratégique en cours, les
conflits actuels ne se résoudront pas
par des guerres d’agression « invisibles
et sans fin ». Seul un nouveau consensus
international pourra créer la légalité
nouvelle. A la westphalienne…
Michel Raimbaud,
le 31 août 2020
Michel Raimbaud est ancien ambassadeur
de France, essayiste, géopolitologue.
Dernier ouvrage paru aux Éditions
Glyphe, Paris : Les guerres de Syrie.
Le sommaire de Michel Raimbaud
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