Opinion
Le Monde arabe:
Douleurs de l’enfantement ou nouveau
revers ?
Marie Nassif-Debs
Lundi 10 novembre 2014
Le titre du débat comporte une
problématique qui suscite, depuis quatre
ans, des discussions et des combats
idéologiques interminables, tant au sein
des partis politiques arabes que parmi
les intellectuels, de gauche notamment.
Certains pensent que les événements
survenus durant ces dernières années
constituent des soulèvements et aussi
des révolutions dont les points de
départ (et les causes) ne sont autres
que les régimes réactionnaires, inféodés
au capitalisme mondial, et les
dictatures instaurées dans les années
cinquante du XXème siècle et qui ont
suivi des politiques répressives, tantôt
au nom du nationalisme arabe, tantôt au
nom de la cause palestinienne. Par
contre, d’autres analystes prêchent que
les soulèvements n’ont rien de
révolutionnaire, et qu’ils ont été
commandités par « le diable »
impérialiste qui tente, à la suite de
l’explosion de sa crise structurelle, de
mettre en exécution son nouveau plan
pour la région arabe et moyen orientale
et, en même temps, de couper l’herbe
sous les pieds de ceux qui pensaient
profiter de la situation de crise afin
de procéder à des changements notoires.
Cette problématique fut aussi posée par
le Parti Communiste libanais. Mais, elle
acquiert plus d’importance aujourd’hui
dans le cadre de la préparation des
documents du XXIème congrès du Parti ;
et, cela, pour deux raisons
essentielles.
La première est que les
vingt-quatre dernières années, qui ont
suivi la chute des régimes socialistes,
en Union Soviétique et dans les autres
pays socialistes européens, furent
marquées par une crise généralisée au
sein de tous les partis communistes (et,
même, de gauche). Cette crise s’est
concrétisée, dans notre région surtout,
par un repli sur soi du Mouvement de
Libération Nationale Arabe ainsi que du
projet que ce mouvement avait formulé
concernant la lutte pour une libération
nationale, politique et économique, et
contre l’assujettissement à
l’impérialisme que les régimes
réactionnaires et bourgeois –
l’oligarchie financière notamment –
avaient mis au point depuis la fin de la
première moitié du XXème siècle.. A cela
s’est ajouté un désistement complet de
la responsabilité de la lutte contre le
sionisme et pour la cause palestinienne
au moment où le projet dit du « moyen
Orient » - sous toutes ses formes –
était mis en avant et, avec lui, une
distribution de rôles nouveaux, non
seulement pour Israël, mais également
pour certaines puissances régionales, la
Turquie en premier lieu.
La seconde raison réside, quant à
elle, dans ce que nous appelons, nous
Communistes libanais, le lien entre les
facteurs internes et externes
environnants. En effet, et à la lumières
de l’expérience vécue dans les années
soixante-dix du siècle dernier, le
changement démocratique au Liban est
presque impossible si nous ne prenons
pas en considération la situation
environnante qui peut soit l’aider à se
raffermir ou l’en empêcher
(l’intervention syrienne et arabe, en
général, en 1976-1977).
A partir de cette vision globale, nous
allons nous arrêter sur les événements
des quatre dernières années, à commencer
par le 22 octobre 2010, c’est-à-dire
deux mois avant le mouvement
révolutionnaire en Tunisie, qui mit fin
à la dictature de Ben Ali..
Ce jour-là, eut lieu, sous l’instigation
du PCL, la première rencontre d’une
vingtaine de partis appartenant à la
gauche arabe. Le thème de cette
rencontre était la nécessité de se
regrouper dans un « Forum de la gauche
arabe » dans le but de mettre au point
une réponse commune à trois impératifs :
Comment organiser la lutte contre les
politiques d’agression et d’occupation
impérialiste - israélienne. Comment
renforcer l’action de la gauche dans les
rangs de la classe ouvrière, des paysans
et des masses populaires. Afin de mettre
en marche le programme du développement
et du changement social Comment œuvrer
pour l’établissement des libertés, de la
démocratie et de l’égalité
Le résultat de cette première rencontre
fut la mise au point d’un programme
politique et socio-économique pour le
changement dans les pays arabes, avec un
grand titre, celui de l’instauration
d’Etats patriotiques et démocratiques
dans le but du socialisme et afin d’en
finir avec les régimes dépendants,
inféodés à l’impérialisme. Il fut
convenu, durant cette réunion, d’élargir
le cercle à tous les partis de la gauche
arabe, les appelant à coordonner leurs
efforts et leurs luttes et de s’ouvrir
aux autres forces démocratiques afin de
mettre au point un programme de
coopération qui répondrait aux
aspirations des peuples arabes dans la
libération nationale et l’unité face à
l’ennemi impérialiste – sioniste.
Il est vrai que le premier « Forum de la
gauche arabe » n’avait pas prévu tout ce
qui allait se passer quelques mois plus
tard ; cependant, il faut convenir que
nous avions vu clair dans le fait que la
crise dans les pays arabes, née des
politiques néolibérales suivies par les
régimes à la solde du capitalisme dans
notre région, ne pouvait être résolue en
dehors du changement de ces régimes,
c’est-à-dire sans des révolutions
sociales qui poursuivraient, en même
temps, deux grands objectifs,
patriotique et de classe. Voilà pourquoi
nous ne fûmes pas très surpris par les
révolutions qui ont eu lieu
successivement en Tunisie et en Egypte,
parce que ces deux grands changements
étaient l’aboutissement logique des
décennies de répression, de
sous-développement et d’inféodation à
l’impérialisme dans la majorité des pays
arabes… Sans oublier que ces changements
radicaux étaient aussi l’aboutissement
des milliers de mouvements sociaux de
tous genres (grèves, manifestations,
insubordination civile) que les peuples
de ces deux pays avaient organisés
durant les vingt dernières années.
Sur cette base, le deuxième « Forum de
la gauche arabe », réuni
exceptionnellement en février 2011,
avait pour but de penser à la sauvegarde
des révolutions survenues en Tunisie et
en Egypte, tenant compte (en plus de
notre expérience libanaise en 1976-1977)
du fait que les forces de la
contre-révolution ne tarderaient pas à
agir avec le soutien des puissances
impérialistes et des régimes
réactionnaires arabes afin de récupérer,
d’une part, les positions perdues et de
recourir à des actions préventives dans
d’autres pays arabes, d’autre part. De
plus, durant cette réunion, nous avons
insisté sur la nécessité de mettre au
point une stratégie pouvant faire face à
de possibles recours à l’arme religieuse
ou confessionnelle ou ethnique, ou aux
trois en même temps qui avaient déjà
bouleversé le climat politique arabe,
tant au Liban qu’au Soudan ou en Egypte
et dont nous voyons, aujourd’hui, les
méfaits en Syrie, en Irak et au Liban
sous la forme de groupuscules
terroristes (Etat Islamique en Irak et
en Syrie – DAESH… et autres).
Et, là, il nous faut nous arrêter
quelque peu sur deux projets très
dangereux et très liés qui ont fait
surface dernièrement.
Le premier est celui des forces
terroristes nouvelles mais qui nous
rappellent de très près l’organisation
d’AL Qaeda, vu qu’elles se mettent sous
la bannière de la religion.
Le second est le nouveau projet
étasunien qui se base sur une nouvelle
coalition mélangeant l’Union européenne,
l’OTAN et les régimes réactionnaires
arabes (l’Arabie saoudite notamment) et
moyen orientaux qui sont connus pour
avoir, pendant de longues années, nourri
le terrorisme et les divisions
confessionnelles et ethniques sous
toutes leurs formes.
En effet, le projet initial étasunien
occupe à nouveau l’avant-scène de la
région, après les coups durs qu’il avait
encaissés en Irak et en Afghanistan. Il
tire profit des conflits nouveaux,
sunnites-chiites (Irak, Liban) ou
sunnites-alaouites (Syrie), ou encore
entre l’Arabie saoudite et l’Iran, ou
entre les sunnites eux-mêmes (Egypte,
Libye, Afghanistan), afin de récupérer
une partie du terrain perdu ; mais le
plus dangereux réside dans le fait que
certaines forces politiques anti
impérialistes misent aujourd’hui sur
l’intervention armée de la nouvelle
coalition, pensant réellement que cette
coalition tente réellement d’éradiquer
le terrorisme, tandis que nous savons
que c’est l’impérialisme qui avait
nourri les groupes terroristes, leur
procurant – à travers le Qatar, l’Arabie
saoudite, la Turquie et, même, Israël –
toute l’aide militaire et financière
dont ils avaient besoin. D’ailleurs, il
ne faut pas oublier que c’est la Turquie
qui fut la plaque tournante du
terrorisme depuis le début de la crise
syrienne et que ce pays, gouverné par
les « Frères musulmans », a beaucoup
aidé la contre-révolution en Egypte et
en Tunisie et qu’il tente de changer la
carte de la Syrie et d’autres pays de la
région arabe.
Pendant tout ce temps, Israël profite
des guerres religieuses arabes et
régionales afin de faire avancer son
projet dit « Etat des Juifs dans le
monde ». Projet qui vise à liquider la
cause palestinienne, mais aussi à donner
un nouveau souffle au projet initial du
sionisme, à savoir la création d’un Etat
allant du Nil à l’Euphrate (Le Grand
Israël) et dont les nouveaux
instigateurs profitent du besoin qu’a le
capitalisme en crise des services
israéliens afin de continuer à régner
sur les richesses de la région.
Et, là, je voudrais attirer l’attention
sur la propagande qui se fait autour du
désintéressement récent des Etats-Unis
quant au pétrole et au gaz arabes,
remplacés par le gaz de schiste et
autres sources d’énergie… Cette
propagande tente de faire oublier aux
peuples de la région arabe les visées
stratégiques de l’impérialisme
étasunien, qui ne consistent pas
seulement à accaparer les sources
d’énergie de la région afin de pourvoir
aux besoins des Etats-Unis, mais aussi
afin de consolider son leadership
branlant du fait des coups durs reçus en
Amérique latine et, même, en Europe
(sans oublier le rôle futur de la
Chine). Parce que la domination de la
région arabe, tant en Orient qu’au nord
de l’Afrique, aide à imposer la volonté
de Washington vis-à-vis de la Chine et
de l’Europe occidentale, toutes deux
ayant besoin du pétrole arabe et moyen
oriental. De plus, il ne faut pas
oublier que le Maghreb arabe a un rôle
essentiel dans le projet de mainmise
impérialiste étasunien sur l’Afrique
très importante dans les guerres futures
que Washington prépare (aidé par Tel
Aviv) sous les deux slogans des guerres
de l’eau et de la nourriture.
C’est pourquoi nous pensons que le
programme de lutte défini par le
quatrième « Forum de la gauche arabe »,
tenu à l’orée de la seconde Révolution
égyptienne (30 juin 2013), qui fit
tomber le gouvernement des « Frères
musulmans », peut constituer un projet
de lutte pour cette étapes transitoire
qui doit prendre en considération
l’union entre la lutte pour la
libération sociale (contre les forces,
notamment les forces politiques
islamistes, opposées aux mouvements
révolutionnaires) et la lutte de
libération de l’impérialisme. En effet,
et à partir de cette union entre les
impératifs de la libération nationales
et ceux du changement social, à partir
de l’opposition aux projets politiques,
socio-économiques et idéologiques de
l’impérialisme (dans le but de mettre
fin à la dépendance, et à l’inféodation
aux puissances impérialistes, et de
suivre une politique de développement et
de progrès), nous pouvons dire que
l’étape actuelle conduit vers une autre
plus importante, celle de « la
révolution nationale démocratique » qui
vise à mettre fin au régime de
l’oligarchie financière et à instaurer
à sa place un Etat patriotique
démocratique résistant à l’occupation de
notre sol et de nos richesses mais aussi
– et c’est, là, le plus important – aux
projets de domination impérialiste.
Etape que les masses populaires arabes
ont définie dans les mots d’ordre
qu’elles ont brandis et que nous pouvons
résumer comme suit : Liberté –
démocratie – Dignité humaine – Progrès
social.
Ce programme de lutte ne peut se faire
sans un outil important : un Front de
Résistance Patriotique arabe dont la
tâche première est de combattre les
projets impérialistes et terroristes,
complémentaires, afin de faire naître
l’ère du changement.
D. Marie NASSIF-DEBS
Secrétaire Générale Adjointe du PCL
90ème anniversaire du Parti communiste
libanais
UNESCO - Beyrouth, lundi 26 octobre 2014
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