Les défis de
l'Europe
La capitulation
de BNP-Paribas
L'âme de l'Europe et l'esprit de
justice
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 23 août 2014
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1 - Regardez la lune,
non le doigt qui vous la montre
2 - Un phare de la géopolitique
3 - Une énigme
4 - Repentance et pénitence
5 - Panorama de la vassalité
6 - Le vassal de la démocratie
mondiale
7 - La balance à peser la
condition humaine
8 - De la souveraineté des Etats
9 - L'amont et l'aval
10 - Les valets de l'histoire
11 - Les Etats à double
casquette
12 - L'âme de la justice
13 - De la hauteur d'esprit des
Etats souverains
Post-scriptum
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1 - Regardez
la lune, non le doigt qui vous la montre
Depuis 1989, une seule évidence, mais aussi
titanesque qu'aveuglante, écrase la
scène internationale - l'accession
pourtant provisoire des Etats-Unis
d'Amérique au rang d'un empire militaire
à vocation mondiale. Je ne m'étonne en
rien de ce que notre espèce se range
massivement sous le sceptre éphémère de
la puissance dominante du moment et lui
prête allégeance sans seulement y
penser, tellement l'attirance qu'exerce
le lion sur tous les autres animaux de
la jungle paraît légitime aux yeux
peuples et des nations. Comme l'a écrit
le fabuliste, "La raison du plus fort
est toujours la meilleure".
En revanche, je m'étonne de ce que, dans les
démocraties dites rationnelles, des
milliers de dirigeants élus au suffrage
universel, donc censés informés du
chemin à faire suivre aux Etats et
initiés à la conduite des affaires du
monde par une sagesse populaire pilotée
en amont par la déesse Liberté, des
milliers de dirigeants, dis-je, voient
des régiments d'intellectuels chevronnés
leur emboiter le pas. Tout le monde
croit s'occuper de politique dans la
pleine acception de ce terme, alors que
chacun jette un regard distrait à la
brousse dont l'étendue bouche l'horizon.
Et pourtant, un général qui soustrairait
à sa vue le champ de bataille sur lequel
on lui demande de gagner la guerre se
rendrait coupable d'abandon de poste et
serait fusillé pour haute trahison.
C'est pourquoi Charles de Gaulle disait
à ses ministres qu'ils étaient l'œil du
quartier général de la France et qu'il
positionnait ses sentinelles du sommital
sur tels ou tels arpents.
2 - Un phare
de la géopolitique
Pourquoi, dans ces conditions, évoquer comme un
phare de la géopolitique la dette
fantastique infligée à la BNP Paribas
par une puissance étrangère et avec la
complicité du chef de l'Etat? Ne
vaudrait-il pas mieux évoquer le drame
de Gaza, les sanctions économiques
réputées frapper la Russie en plein
cœur, la contre offensive foudroyante du
Kremlin, le drame de l'Ukraine, où les
Etats-Unis entendent s'implanter afin
d'étendre leur empire de l'Océan au
Caucase? Mais le sort de ce soleil de la
finance éclaire d'une lumière
éblouissante la descente accélérée aux
enfers de la France et de l'Europe.
De plus, nous n'en sommes qu'au deuxième ou au
troisième acte de la tragédie en cinq
actes de la chute de l'Occident dans
l'abîme: car la plus grande banque
française est devenue, de facto,
une entreprise américaine. Son service
de sécurité financière se trouvera
entièrement transféré aux Etats-Unis.
Cet Etat étranger installera des
fonctionnaires du Ministère américain de
la Justice au cœur même de Paribas, dont
ces administrateurs contrôleront les
activités. Ils auront accès à l'ensemble
des opérations. C'est précisément afin
de préparer cette mainmise sur le
système bancaire de la France que
Washington a obtenu le limogeage de tous
les hauts responsables de la banque
censés coupables de montages financiers
"frauduleux", parce que conclus
en dollars.
3 - Une
énigme
C'est dire qu'il sera demandé aux historiens de
demain de résoudre une énigme
indéchiffrable en apparence: car ils
auront beau se visser la loupe à l'œil
et scruter les virgules des archives,
jamais ils ne s'expliqueront à ce compte
que M. Hollande, qui avait enfin - à
l'occasion de la commémoration
solennelle du soixante dixième
anniversaire du débarquement du 6 juin
1944 sur les plages de Normandie - que
M. Hollande, dis-je, ait su donner à la
Russie la place qui lui revenait de
longue date dans l'histoire du monde,
pour tourner subitement le dos à Moscou
et capituler en rase campagne par
crainte des représailles de Washington.
Mais le défi le plus énigmatique, pour la science
historique de demain, est celui que Mme
Merkel avait lancé à Washington. Ne
menaçait-elle pas de rompre les
négociations sur le traité de libre
échange chargé de la déglutition de
l'Europe par l'économie
d'outre-Atlantique? Quant à M. Renzi
n'avait-il pas avancé flamberge au vent?
Ne se promettait-il pas d'armer la
Commission de Bruxelles d'une charpente
politique? Or, tout ce petit monde a
soudainement tourné casaque sur tous les
fronts et déclaré une guerre
industrielle totale à la Russie. Pour
expliquer une volte-face aussi
ahurissante, à quel discours de boxeur
Washington a-t-il recouru et quelles
menaces militaires et économiques a-t-il
brandies sur le ring? Si vous observez
ce spectacle par le trou de serrure de
Paribas, je vous assure que vous ne
quitterez pas d'une semelle le quartier
général des opérations. Petites causes,
grands effets - mais, attention, ne
cessez pas un instant d'observer le
paysage à la jumelle.
4 -
Repentance et pénitence
Observons au télescope le monopole cérébral
qu'exerce la denture du roi de la jungle
sur les gambades des autres animaux.
Dans une lettre de pénitence fort
piteuse et adressée nommément à tous ses
clients ébahis, mais rendus craintifs
par leur crédulité, le directeur des
relations humaines de Paribas, en pilote
agrippé au gouvernail d'un géant de la
finance mondiale, a dû confesser à la
terre entière la gravité du péché qui a
incommodé les narines de la justice
démocratique mondiale. Quel forfait,
assurément, que d'avoir osé "contourner"
la loi! M. Bonaffé, a écrit aux plus
microscopiques de ses clients: "La
BNP a reconnu sa responsabilité et devra
s'acquitter d'une pénalité de
8,97milliards de dollars".
Jamais encore l'humanité n'avait pu observer
simultanément et sur les planches de la
planète entière une capitulation aussi
théâtrale de tous les gouvernements et
de tous les appareils de la justice des
Etats qualifiés de souverains devant la
force musculaire ostensiblement affichée
du lion américain! Quelle vaste scène
que celle du fauve à crinière lâché dans
la brousse de la Démocratie mondiale!
Depuis la nuit des temps, l'histoire
proclame que le lion rugit à pleins
poumons les volontés carnassières de ses
mâchoires; et toutes les bêtes soumises
aux crocs de cet ange de la Liberté
rampent sur le sol purifié par sa loi et
par la flamme de sa justice. Il aura
suffi à la Maison Blanche de planter ses
ongles sur trois Etats censés souverains
- le Soudan, Cuba et l'Iran - mais
placés sous les pattes d'une législation
américaine dont la vocation pénale se
veut universelle pour que toutes les
nations de la mappemonde se prosternent
devant son pelage. Qu'est-ce qui
précipite le globe terrestre la face
contre terre et le front dans la
poussière devant le sceptre de la
justice sans appel du lion?
5 - Panorama
de la vassalité
Observez avec attention le lien que la piété
démocratique du simianthrope tisse,
primo, entre la responsabilité
vertueuse et la culpabilité des
paquebots de la finance, secundo,
fixez ensuite votre regard sur la
courroie de transmission entre la
désobéissance des monstres bancaires et
le prix qu'il leur faut payer pour le
sauvetage de leur coque, remarquez,
tertio, la chaîne qui rattache le
châtiment infligé aux Titans marins au
tirant d'eau de leur carène. Seuls le
poids et le degré de remplissage du
coffre du roi des Océans permet aux
serviteurs du lion d'extorquer aux
hérétiques le fabuleux montant de
l'amende qui leur sera facturée, seuls
les trésoriers avides du roi des Océans
tiennent la balance de la justice
universelle entre leurs mains. C'est
dans un style para-confessionnel,
apostolique et copié sur celui des
châtiments éternels dont l'Eglise du
Moyen-âge brandissait le sceptre que
l'accusé rédige l'aveu public de sa
culpabilité: "Les opérations en cause",
plaide le coupable, "auraient été
licites au yeux de la règlementation
française et européenne, mais elles ont
été conclues en dollars et se trouvent
donc sanctionnées par les autorités des
Etats-Unis."
Autrement dit, le fauve de la Justice du monde a
donné de la voix dans la brousse du
temporel et ses rugissements ont anéanti
en un instant et dans tout l'univers non
seulement la légitimité des droits
nationaux autrefois validés jusque dans
la jungle de la finance mondiale, mais
également la législation entière d'un
continent européen tétanisé par le roi
des carnassiers à crinière.
6 - Le vassal
de la démocratie mondiale
Ecoutez la voix de votre juge, écoutez-la dans
l'humilité et dans l'obéissance, prêtez,
malandrins que vous êtes, une oreille
attentive aux verdicts du tribunal de la
démocratie mondiale: vous êtes coupables
de "défaillances inadmissibles".
Vous avez "contourné" par la
ruse, donc violé en cachette les oracles
jaillis tout saignants des griffes de
votre monarque, à savoir les "règles
américaines".
Du coup, Paribas exprime sur la place publique et
par la voix de l'un de ses capitaines,
non seulement la repentance de la banque
vaincue par ses propres dévotions à
l'égard d'une fourrure, mais également
les "promesses de son baptême",
comme disait Jean-Paul II, et ses
convictions doctrinales demeurent
intactes, dit-elle - l'épreuve a
raffermi sa foi et rendu sa fidélité
plus inébranlables que jamais.
L'établissement a si bien retenu la
leçon du catéchète du monde qu'il
deviendra un justiciable exemplaire et
soumis pour toujours à la juridiction
suprême de Washington. Non, dit M.
Bonaffé, la banque ne saurait retomber
dans le Mal, puisqu'elle jure, la main
sur le cœur, qu'on ne saurait la
soupçonner d'une tentation de rechuter
dans la désobéissance. Les aveux de
l'atlantiste assermenté se
métamorphosent en validation des "valeurs",
donc des dévotions inscrites dans le
bréviaire des fidèles: "Nous avons
pris la décision que ces problèmes ne se
reproduiraient plus." Notre Père
américain qui êtes au ciel,
pardonne-nous nos offenses...
7 - La
balance à peser la condition humaine
Comment la justice souveraine du lion et la piété
penaude des adeptes d'un droit
international censé exprimer la
conversion définitive du monde à la
pénitence démocratique feront-elles bon
ménage? L'Europe vivra-t-elle jour après
jour sous la férule d'un confesseur
universel du Beau, du Bien et du Juste?
Jamais les foudres et les fulminations
du ciel du Moyen-Age n'avaient égalé
l'omnipotence des confesseurs de
l'Eglise de la Liberté.
Litanies et complaintes, montez du troupeau des
ignorants. "Que vous soyez
commerçant, artisan, profession
libérale, entrepreneur ou dirigeant
d'entreprise, vous n'avez rien à
craindre à titre personnel." Mais
que les sujets du monarque de la brousse
se trouvent à l'abri de ses mâchoires,
est-ce une nouvelle tellement
rassurante, si de leur côté, les Etats
autrefois souverains du Vieux Monde se
sont, eux aussi, mis un sac de cendres
sur la tête? Et puis, un étranger armé
jusqu'aux dents peut-il terrifier toutes
les nations de la terre sans que la
multitude des citoyens ne soient
concernés par la lâcheté de leur patrie?
Si votre maigre escarcelle se sera mise
à l'abri du pillard, vendrez-vous les
droits de votre conscience nationale
pour une soupe aux lentilles?
Certes, M. Bonaffé est un navigateur non seulement
dûment autorisé, mais rudement prié par
l'Elysée et par le Quai d'Orsay de
transmettre aux Français les directives
d'une puissance étrangère. Mais si ce
capitaine au long cours est légitimé à
servir d'intermédiaire aux
vassalisateurs de la France, qui
l'absoudra d'anéantir, en retour, la
souveraineté et l'indépendance de son
pays ? Les lois nationales ne sauraient
se proclamer équitables si elles sont
condamnées à se soumettre pieds et
poings liés aux verdicts d'une
législation assujettie aux intérêts
d'une puissance ennemie.
Les directeurs chevronnés des plus grandes banques
du pays sont-ils devenus de simples
majordomes du roi de la jungle? L'Elysée
et le Quai d'Orsay sont-ils les maîtres
de maison d'une valetaille à laquelle
ils donneraient l'ordre de garnir la
table du roi des animaux? Quaestio
disputata, disait-on dans les
amphithéâtres où les théologiens
d'autrefois délimitaient, au nom de
leurs bénitiers, l'étendue et les
limites des droits sur leur tête qu'ils
accordaient pieusement à leur Créateur?
Mais si les Sorbonne d'autrefois
dressaient des clôtures infranchissables
entre les territoires respectifs du ciel
et ceux de la terre, les ostensoirs
d'aujourd'hui ne règnent-ils plus que
sur les ciboires de la démocratie?
8 - De la
souveraineté des Etats
La capitulation de centaines de milliers de petits
déposants de leurs économies dans les
coffres de la plus puissante banque du
pays ne tombera pas sans bruit dans le
gousset d'une histoire de la
vassalisation financière de la France et
de la civilisation européenne sous le
sceptre du dollar. Rappelons quelques
difficultés de trésorerie qui feront,
d'un fait divers, un déclencheur géant
de la fatalité; et observons le travail
de sape qui a porté l'assujettissement
de l'Europe de l'anecdote à la tragédie.
Pour agrémenter de dentelles précieuses et de
broderies dorées une servilité parée des
frou-frou de la Liberté, la première
difficulté pratique que présentera le
nettoyage de ces salissures sera
d'observer comment un gouvernement de
couturières des haillons de la
République aura contraint une partie
considérable de sa clientèle à soumettre
à la surveillance et au contrôle d'une
puissance étrangère la gestion de sa
garde-robe en lambeaux; car un
gouvernement livré à ce type d'économies
vestimentaires ne saurait se prétendre
au service d'un Etat, tant aux yeux d'un
droit international sourcilleux au
chapitre de la définition de la
souveraineté des Etats que des règles
constitutionnelles qui régissent les
institutions réputées démocratiques.
Comment sauver la crédibilité juridique de
l'alliance traditionnelle, au sein de
tous les Etats reconnus, de l'autorité
des lois établies avec le culte de
l'autarcie de leur appareil de la
justice? On sait que la crédibilité des
tribunaux est nécessairement
connaturelle à celle des gouvernements
légaux et qu'elle se trouve imposée à la
confiance des peuples qualifiés de
libres. C'est dire que si la fiabilité
judiciaire se place nécessairement au
fondement de l'autorité législative,
donc au cœur de tous les pays proclamés
républicains, c'est que l'indépendance
des nations modernes repose sur un
suffrage universel censé le garant de la
raison publique. C'est dire également
que le peuple se trouve humilié par le
spectacle de l'abaissement partagé de sa
propre voix et de celle de ses élus sur
la scène internationale.
9 - L'amont
et l'aval
Seconde difficulté constitutionnelle et
d'exécution: comment un Etat condamné au
grand jour à placer son escarcelle sous
le joug des décisions de justice d'un
autre Etat disposerait-il encore des
apanages et des prérogatives dont se
réclament les nations qualifiées de
souveraines par la voix généreuse ou
récalcitrante du jus gentium? Comment
cette aporie ne se révèlerait-elle pas
étroitement connaturelle à la première -
mais à cette nuance près que, cette
fois-ci, il s'agit du rang d'un Etat aux
yeux de ses pairs?
On l'a compris à l'occasion des difficultés
internes que la livraison des Mistral à
la Russie n'a pas manqué de rencontrer:
depuis quand un Etat souverain se
permet-il de "faire pression" sur
un voisin du même calibre que lui aux
fins qu'il cesse d'entretenir telles ou
telles relations militaro-industrielles
sur la scène internationale avec un
troisième acteur du monde? Que
Washington s'y autorise répond à la
logique interne qui sert de moteur à
l'expansion calculée des empires; mais
que l'Angleterre et l'Allemagne aient pu
se joindre un instant à cette curée
verbale en dit long sur
l'affaiblissement durable de la
souveraineté de la France sur la scène
internationale.
Mais comment un Etat dont le système bancaire se
met à la merci des rapaces d'un autre
Etat serait-il respecté? On voit que le
scénario a déjà déplacé son récit:
l'Allemagne et l'Angleterre ne sont plus
souveraines au sens plénier du terme, et
c'est précisément en tant qu'elles sont
devenues infirmes et boiteuses à leur
tour qu'elles ont tenté de frapper un
éclopé à terre. La simianthropologie
révèle que les naufragés de l'histoire
ne courent pas au secours des survivants
un peu moins mal lotis qu'eux-mêmes,
mais qu'ils aident leur maître à les
noyer à leurs côtés, parce qu'un
désastre paraît moins calamiteux s'il se
trouve partagé et ne fait du moins pas
de jaloux. C'est pourquoi, dans les
décadences, les esclaves tombent à bras
raccourcis les uns sur les autres et
enfoncent sous les eaux les nageurs trop
lents à suffoquer.
Un anthropologue qui, un siècle et demi après
Darwin, ne porte pas encore un regard de
l'extérieur sur les évadés de la
zoologie souffre d'une panne cérébrale
préoccupante. Comment se fait-il que
l'Allemagne et l'Angleterre se soient
hâtées d'emboiter le pas au défaitisme
d'une France devenue reptative ? Comment
se fait-il que, le 24 juillet, le
Monde titrât encore: "Le chef
d'Etat tient à livrer ce navire de
guerre à Moscou. Mais depuis la crise
ukrainienne, ses partenaires occidentaux
le pressent de renoncer à ce contrat
négocié par Sarkozy."
Ce spectacle contraint l'anthropologie critique à
explorer l'inconscient politique de la
bête gisante à terre ou encore sur ses
deux jambes. Dans les deux positions, on
affecte de s'imaginer que la question
demeurerait gentiment négociable, alors
qu'il s'agit d'escamoter l'impossibilité
politique, pour un Etat souverain, de
capituler sous la pression des mimes de
sa propre servitude. Mais que la
vassalité d'un Etat puisse aller jusqu'à
envisager au grand jour et dans la honte
d'une rivalité entre des serfs de ne pas
honorer des contrats solennellement
conclus avec un autre Etat -et cela pour
des raisons censées ressortir au seul
marché du travail - voilà qui soulève la
question vitale d'une souveraineté
nationale d'ores et déjà interdite de
parole. Comment le comprendre en aval,
si vous ne disposez d'aucun regard situé
en amont?
10 - Les
valets de l'histoire
Une nation battue à plate couture sur le champ de
bataille et qui voit les troupes de
l'ennemi victorieux quadriller son
territoire soulève du moins la
compassion de ses pairs, parce que le "champ
d'honneur", comme on dit, demeure
ouvert à la loyauté des combattants, et
cela d'autant plus, hélas, que la
divinité de l'endroit - toujours
proclamée unique - se voit néanmoins
appelée à bénir les deux armées et à
illustrer leurs exploits dans un camp
comme dans l'autre. Aussi demeure-t-il
digne d'une nation monothéiste - donc
fière de l'universalité d'une justice
copiée sur celle du ciel - de se faire
reconnaître avec le plus grand éclat sur
le théâtre de sa théologie des
sacrifices à la patrie. Mais comment un
pays en délicatesse avec les trois dieux
uniques et tétanisé par la lâcheté du
consentement des démocraties actuelles à
l'amputation de leur indépendance
judiciaire, comment un tel pays, dis-je,
pourrait-il éloigner de ses lèvres le
poison qui, depuis trois quarts de
siècle, vassalise une classe dirigeante
européenne en déroute?
A l'origine des naufrages de l'été, ne faut-il pas
placer la question des guichets de
Paribas? Car, d'un côté, les élites
politiques de la France se placeront
sans cesse davantage sous le harnais de
leur infirmité et s'auto-assujettiront
de plus en plus sous la bride de leur
suzerain d'outre Atlantique, tandis que,
de l'autre, elles porteront avec une
ostentation accrue la perruque frisée
d'une démocratie réelle. Mais un
estropié ne saurait se faire applaudir
longtemps sur les planches.
Du coup, il affectera de cacher son infirmité aux
yeux du public; et il se donnera une
allure plus impérieuse encore dans
l'arène du droit international, comme on
l'a vu en Irak où une France mise à
terre tente de jouer les supplétifs avec
autant de ridicule qu'en Syrie. Mais un
Etat condamné à se présenter sous le
double accoutrement d'un avocat de sa
propre servitude et d'un défenseur de sa
souveraineté à la barre du tribunal dont
j'évoquerai plus loin les verdicts, un
tel Etat présente non seulement des
plaies béantes sur la scène des nations,
mais des vêtements troués et déchirés.
11 - Les
Etats à double casquette et les âmes de
comptoir
Observez les tenanciers en loques des Etats à
double casquette et dont l'étranger
achète en sous-main des lambeaux :
jamais des juges intègres et habilités à
trancher de la vaillance des nations ne
les absoudront, parce que leur
capitulation est à mettre au compte de
la couardise des âmes de comptoir.
Pourquoi les défaites de valets ne
soulèvent-elles jamais la pitié, sinon
parce que seuls les échecs de la
droiture d'esprit trouvent grâce aux
yeux du tribunal de la postérité?
Malheur aux vaincus qui se seront
déshonorés pour avoir placé leur
encéphale sous le joug des verdicts de
leur vainqueur!
Mais, encore une fois, comment expliquer que la
simplicité d'esprit des Européens aille
jusqu'à leur faire croire que les bases
militaires américaines présentes sur
leur territoire seraient casquées pour
les beaux yeux de la déesse Liberté,
comment expliquer que l'empire américain
parvienne, l'arme au pied, à élever
l'Ukraine au rang de pôle d'une
expansion militaire réputée mondiale du
Kremlin, comment expliquer qu'une amende
de neuf milliards d'euros convainque les
vassaux au grand cœur qu'il est juste de
piller leur caisse, sinon parce que la
cervelle des évadés de la zoologie s'est
enfumée des vapeurs du Bien et du Mal?
Et pourtant, une France coupable de vassalité
parathéologique sous les dehors de sa
pleutrerie monétaire n'est pas le radeau
de la Méduse dont les civilistes disent
que les naufragés bénéficient du statut
d'un "état de nécessité" - lequel
va jusqu'à les délivrer de la
condamnation pénale pour cause
d'anthropophagie. Mais l'"état de
nécessité" d'une France atteinte
seulement de cécité atlantiste ne
sauvera pas l'honneur de la nation au
prix de quelques milliards jetés dans la
bourse de son maître.
12 - L'âme de
la justice
Un Etat qui aura rendu les armes au profit d'un
pilleur de son gousset, un Etat vissé à
l'établi de ses piétés
pseudo-démocratiques, un Etat qui aura
condamné toute sa population à proclamer
vertueux un créancier sans scrupules, un
Etat qui versera sans vergogne et
l'échine basse une somme colossale à un
justicier enrubanné des dévotions du
profitable, un Etat qui aura accepté,
les mains jointes, qu'un procureur
étranger joue les moralisateurs
internationaux au profit de sa propre
cassette, un Etat qui aura joué
docilement le rôle d'accusé sans
seulement avoir récusé son juge à haute
et intelligible voix, un Etat aux caves
vidées de leur or et qui, à l'audience,
aura quémandé la grâce d'un tribunal
irrégulier, un tel Etat se montre moins
validable sur les planches du ridicule
que celui de Vichy sur les planches de
la défaite militaire.
Pis que cela: au même instant et pour la première
fois, on aura entendu le chef d'un
gouvernement européen enchaîné à son
vainqueur depuis 1945, celui d'une
Italie peuplée de plus de soixante
millions d'habitants, mais quadrillée
par cent quarante places fortes
américaines incrustés à perpétuité sur
son territoire, on aura entendu, dis-je,
une Italie menottée à jamais dans le
prétoire appeler le Vieux Monde à "retrouver
son âme". Où était-elle donc passée?
Une civilisation coiffée des auréoles de
la démocratie peut-elle égarer non
seulement sa bourse, mais jusqu'à son
âme en chemin? Qu'adviendra-t-il des
Européens à la recherche de leur âme
s'ils l'ont perdue à force de brandir,
de Hambourg à la Sicile, le drapeau
d'une Liberté dont leur vainqueur
tiendra éternellement la hampe à leur
place?
13 - De la
hauteur d'esprit des Etats souverains
Ecoutons en premier lieu le jeune chef de
gouvernement qui nous rappelait, au
début de l'été, que l'âme d'une
civilisation est mortelle et qu'elle
peut rouler dans l'ornière; puis
observons les plateaux de la balance à
peser l'idée supérieure que les Etats se
font d'une justice dont le fléau
indiquerait le poids de l'intelligence,
de la raison et de l'éthique d'une
nation redressée. Quelle fragilité que
celle de la balance qui enregistre les
messages et quelquefois les prophéties
de la vraie justice de l'humanité!
Une France qui condamne ses vigies à poser sur les
plateaux de Thémis la seule question
décisive, celle de l'âme de leur pays,
une France des sentinelles et qui aura
osé dire un instant, aux côtés de M.
Renzi, que l'humanité éveillée se
reconnaît à l'esprit de justice qui lui
donne son élan et son souffle, une
France qui aura crié par la voix d'un
Romain que l'Europe a perdu son âme, une
France de la raison et de la logique qui
attisent le feu de la pensée mondiale
depuis deux millénaires, une telle
France peut-elle reconnaître son effigie
d'autrefois dans le miroir d'un Etat
sali et avili sur la scène
internationale et qui aura perdu l'âme
dans laquelle l'esprit de justice
trouvait son assiette?
Pour tenter de le comprendre, je me demanderai, la
semaine prochaine, quelles sont les
relations que les civilisations
supérieures entretiennent avec leur âme
et comment il se fait que leur génie
propre s'exprime toujours et
nécessairement par la voix de leur
justice..
Post Scriptum
J'écrivais le 25 juillet .
A partir de cette date, et compte-tenu qu'on ne
luttera efficacement contre le naufrage
de la langue française que si le
Président de la République et le Premier
Ministre se voient directement mis en
cause, je relèverai quelques-unes de
leurs fautes.
M. Manuel Valls 1 confond aussi et ainsi.
Aussi demande l'inversion,
ainsi l'exclut. On dit: Ainsi
nous sommes satisfaits.
2 - M. Hollande ignore que le verbe impulser
n'est pas français.
Le 23 août 2014
Reçu de l'auteur pour publication
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