Décodage anthropologique de l'histoire
contemporaine
Le vichysme européen
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 21 novembre 2014
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1 - Les masques de théâtre
de l'humanité
2 - Le destin politique de la
Révolution française
3 - L'Europe des vassaux
4 - Réflexions sur l'Académie
des bras croisés
5 - Les innocents d'un ciel vide
6 - Qu'est-ce que l'honneur ?
7 - La fable du
Corbeau et du renard
8 - L'horizon intellectuel perdu
de l'Académie des sciences
morales et politiques
9 - Le blocage de la philosophie
allemande
Post scriptum
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1 - Les masques
de théâtre de l'humanité
Pour comprendre la
géopolitique, il faut recourir à une
anthropologie dont l'échiquier et les
coordonnées permettront d'observer le
jeu du quitte ou double auquel le réel
s'amuse avec l'imaginaire.
Exemple: Mirabeau
s'écrie: "Nous sommes ici par la
volonté du peuple, nous ne sortirons que
par la force des baïonnettes". Cette
éloquence signifie que le pouvoir
politique se trouve désormais aux mains
d'une autorité aussi abstraite
qu'invisible, celle qu'exprime le terme
de peuple, lequel invalidera un
sceptre entièrement matériel, la
baïonnette, dont le métal se trouve
réduit à l'impuissance face à
l'omnipotence et à l'intangibilité d'une
parole inaccessible.
De son côté, Louis
XIV dit: "L'Etat c'est moi". Ce
discours signifie que le corps du roi
sacralise l'autorité publique et la
focalise de la ligoter à des organes
éphémères, lesquels livreront au néant
des mots privés de leur peau et
déchargés de leur tâche antérieure,
celle de vocaliser la force physique des
Etats. Mais, dans un conte d'Andersen,
un enfant déclare que le roi est nu, ce
qui veut dire que si vous retirez du
corps du roi les dentelles et les rubans
du vocabulaire qui le délocalisait, sa
puissance se vaporisera dans
l'atmosphère.
Alors Homère fait
monter sur la scène le corps d'un
personnage monoculaire, qu'il appelle
Personne et le Conseil
Constitutionnel décide enfin de
promulguer le décret d'application de la
loi qui, depuis plusieurs années,
précise la procédure de destitution du
cyclope "manifestement inapte".
Partout, les affûtiaux d'un imaginaire
greffé sur un lexique jouent à
cache-cache, à colin-maillard ou à
qui-perd-gagne avec les baïonnettes de
Mirabeau.
Mais si vous faites
tenir à un candidat imaginaire un
discours imaginaire devant une académie
imaginaire (-
Séance extraordinaire de l'Académie
des sciences morales et politiques -
Intervention remarquée d'un revenant qui
aurait changé de tête , 17
octobre 2014) l'espèce semi-cérébralisée
à laquelle vous appartenez vous
rappellera sans tarder au culte de ses
rites grammaticaux, au respect de son
effigie verbale, à l'efficacité de ses
prérogatives doctrinales. Celles-ci sont
liées au statut des Etats et à
l'autorité officielle de leurs
dictionnaires. Tel est le sens de la
missive que le secrétaire général de
l'Académie des sciences morales et
politiques, M. Pierre Kerbrat, m'a
adressée le 23 octobre 2014, ( Voir:
A propos de mon texte: "Séance
extraordinaire de l'Académie des
sciences morales et politiques,
24 octobre 2014) afin de souligner ,
dirait-on, et sans le vouloir, la
pertinence de l'analyse anthropologique
des ressorts de l'histoire exposée
ci-dessus.
2 - La vassalité
intellectuelle de la France
L'imagination
langagière joue donc à quitte-ou-double
avec Clio; car si l'orateur imaginaire
change effectivement de tête et met
toute la scène à l'envers, afin de
présenter au public les masques de
théâtre de l'humanité, on entendra M.
Sarkozy apostropher vertement à son
successeur: "La Russie est notre
partenaire naturel, dira-t-il. La France
a signé un contrat avec elle, vous devez
honorer la parole de la nation. Du
reste, la livraison d'un vaisseau de
guerre à la Russie ne changera en rien
les forces en présence sur les lieux.
Mais c'est une honte, pour nous tous,
qu'un Président de la République
française ait menacé le Kremlin de ne
pas honorer une commande dûment signée
entre deux Etats souverains et qu'une
menace aussi piteuse ait été proférée au
moment même où le vrai maître de
l'Europe, qui s'appelle l'Amérique,
contraignait ses vassaux à se blottir
autour de lui. La France d'autrefois
était un Etat souverain". On remarquera
que la phrase française se retrouve
d'aplomb. Elle a cessé de trébucher, de
tâtonner, d'ânonner. Plus de eeeeeeeeeee
entre le sujet, le verbe et le
complément.
Mais un Etat
titubant sous les ordres de l'étranger
se déplacera sur la scène crevassée d'un
théâtre dangereux: le sceptre de la
justice pénale se présentera tôt ou tard
sur l'échiquier de la trahison, parce
que la vassalité tente de cacher son
vrai visage, et ce visage-là est celui
d'une servitude proprement
intellectuelle. Le genre de trahison
dont il s'agit est celle des têtes.
Une République
digne de ce nom ne manie pas le couperet
de sa justice au nom des masques verbaux
qu'elle brandit sur les planches. En
l'espèce, les vassaux de l'Amérique
acceptent qu'on leur montre du doigt un
dossier ficelé dans un coin. On leur dit
que le centre de gravité du monde n'est
autre que celui des relations que la
Russie entretient avec l'Ukraine.
Mais le maître
dispose d'un encéphale d'un autre
calibre: le déplacement préalable et
artificiel de toute l'affaire sur
l'échiquier des esclaves permet au
souverain d'étendre de Brest au Caucase
la puissance politique et militaire de
son vocabulaire. Les cerveaux
microscopiques que le roi du langage
actuel met au service de son jeu de
dupes ne s'aperçoivent même pas de ce
que la planète est tout entière occupée
par le réseau impérial de ses garnisons
et de ses forteresses. C'est pourquoi la
lutte contre la "force des
baïonnettes" en appelle à la raison
et à l'intelligence de la France des
métazoologues, qui tentent d'observer le
cerveau simiohumain dans son animalité
spécifique - celle que son langage a
cérébralisée.
Tel est l'esprit
dans lequel je traite, dans le texte
ci-dessous, la question du statut
psychogénétique de la justice
internationale actuelle, celle que
Julien Benda a soulevée en 1929 :
qu'est-il advenu de la Trahison
des clercs? L'Académie des
sciences morales et politiques est-elle
coupable de trahir sa vocation et sa
mission géopolitiques?
3 - L'Europe des
vassaux
Les indices se
multiplient selon lesquels il existerait
néanmoins une sagesse immanente aux
démocraties asservies de l'Europe et que
des vestiges de leur raison d'autrefois
persisteraient à piloter leurs épaves.
Ces symptômes de survie de leur cervelle
sont précisément ceux qui enseigneront à
la métazoologie politique de demain les
limites de la faculté des élites
naufragées de rentrer la tête dans les
épaules et de raser les murs. Comment
les observer au microscope? Car il
demeure évident à tous les observateurs
de bonne foi que l'heure sonnera
nécessairement où le vichysme européen
aura épuisé ses subterfuges, ses
faux-fuyants et ses flâneries. Que se
passera-t-il quand les Etats du Vieux
Monde se verront contraints de constater
l'impuissance de leurs flatteries?
Impossible de forger une alliance
durable de la ruse avec la patience,
impossible de légitimer
l'auto-domestication précaire des Etats,
impossible de valider la présence
éphémère de garnisons étrangères sur
leur sol.
Comment de tels
Etats se proclameraient-ils longtemps
non coupables de l'exterritorialité
éternelle qu'ils ont accordée à des
troupes étrangères privées de titres de
séjour défendables sur leurs terres,
puisque les ambassades et les consulats
eux-mêmes ne jouissent que d'un statut
révocable à chaque instant et attaché
aux traditions du droit diplomatique du
moment? L'élimination, par la voie
judiciaire, des élus qui auront
proclamé, un siècle durant, et
innocemment, diront-ils, que le régime
démocratique serait compatible par
nature et par définition avec
l'aliénation perpétuelle de leur
territoire - et cela au seul profit de
leur libérateur d'il y a soixante-dix
ans - ces élus-là, dis-je, il ne sera
pas nécessaire de hisser un télescope
sur Sirius pour constater que les
principes universels du droit public
triompheront par la force des choses des
traités bilatéraux que les serfs auront
dû signer à titre provisoire avec leur
maître d'outre-Atlantique.
Mais
l'assujettissement militaire de l'Europe
occupée entrave la France d'un statut
particulièrement bancal, parce que le
drapeau de sa semi-souveraineté que
brandit désespérément cette nation et
qu'elle ne parvient plus à faire flotter
au vent sur la scène internationale, ce
drapeau en berne nous préserve du moins
de la caricature d'Etat qu'illustrent
les modèles allemand et italien: car la
honte de la France n'est pas allée
jusqu'à faire revenir sur le territoire
national les bases militaires
américaines expulsées par le Général de
Gaulle en 1966.
Certes,
l'atlantisme du précédent Président de
la République nous contraint de nous
asseoir sagement et par ordre
alphabétique autour du général américain
dont les galons rassemblent ridiculement
autour de sa personne vingt-huit armées
du Vieux Monde piteusement privées de
leur commandement national. Mais à
partir de l'instant où, à l'exemple de
ses comparses menottés, le peuple
français reçoit de la bouche d'un
souverain étranger l'ordre impérieux de
s'interdire soudainement ses
exportations industrielles et
commerciales en direction de la Russie,
ce spectacle de la vassalisation du pays
cesse de nous faire rire ; car il s'agit
d'un protocole non moins
spectaculairement anticonstitutionnel et
non moins incompatible avec des
institutions qualifiables de
démocratiques que celui dont les autres
prisonniers portent les chaînes. Nous
voici réduits au rang d'une Allemagne et
d'une Italie physiquement ficelées
depuis trois quarts de siècle à leur
vainqueur de 1945.
Ce pénible
gigotement du statut international d'une
France vassalisée en catimini est apparu
au grand jour à l'occasion des obsèques
de Christophe de Margerie. D'un côté,
son entreprise avait été frappée d' une
lourde amende par son propre pays, de
l'autre, la France officielle, l'Elysée
en tête, lui avait réservé des
funérailles quasiment nationales.
Comment définir la
trahison au sein des Etats bicéphales?
M. Medvedev a rappelé qu'elles seront
rares, les entreprises étrangères qui
auront déserté le marché russe sur
l'ordre de l'Amérique et de ses
vichystes. La place sera prise, dit-il,
par les entreprises locales, puis par
celles des pays de l'Union douanière,
puis par celles des pays de la région
Asie-Pacifique, qui se montrent fort
intéressées par une intensification de
leur coopération avec la Russie.
Qu'en est-il de la
souveraineté de la France biphasée,
bipolaire, schizoïde? Le jus gentium
n'a pas théorisé un statut qui serait
propre aux seuls Etats dichotomisés - il
les déclare placés sous tutelle ou sous
protectorat - ce qui leur dénie toute
indépendance, donc toute souveraineté.
Mais comme il se trouve que jamais aucun
empire du passé n'est parvenu à
éterniser l'occupation militaire des
vaincus, la classe pseudo dirigeante
française que nous voyons contraindre la
nation à subir un sort semblable à celui
de ses malheureuses consœurs, l'Italie
et l'Allemagne, cette classe de
figurants impunis, dis-je, joue au loto
avec l'histoire du pays - le tranchoir
qui l'attend ne sera pas seulement celui
des verdicts discrets, mais implacables
de tous les historiens futurs.
4 - Réflexions
sur l'Académie des bras croisés
Mais il y a pis:
depuis longtemps, la question de la
souveraineté des Etats est devenue le
carrefour de l'histoire où la politique
prend rendez-vous avec la morale du
monde. Une Académie des sciences morales
et politiques infantilisée sera-t-elle
absoute en raison de ses droits à la
candeur? Ainsi posée aux générations en
culotte courte que notre temps a portées
au pouvoir, la question de la puérilité
que les démocraties affichent sur la
scène internationale semble insolite et
abrupte ; mais sitôt que la réflexion
s'approfondit quelque peu, elle démontre
que l'apparente nouveauté d'une
interrogation aussi insolente désoriente
les mémorialistes et les juristes,
tellement la singularité de la
pantalonnade juridique d'une Europe
bifide ne relègue nullement la question
de fond hors de l'arène de l'histoire
racontée aux enfants.
Quand les
industriels allemands tournent le dos à
Mme Merkel et quittent de parti du
gouvernement, ils soulignent que la
politique étrangère du pays devient
hallucinogène. Vingt-cinq ans après la
mort du messianisme marxiste, on voit un
Etat capitaliste - la Germanie - ruiner
de ses propres mains son industrie et
son commerce internationaux au profit
exclusif d'un autre Etat
auto-évangélisé, lui aussi et situé
au-delà des mers - son vainqueur
apostolique de 1945.
Cette vassalisation
brutale et à domicile des peuples
eschatologisés par leur propre mythe de
la Liberté ne fait pas seulement
débarquer jusque dans les provinces la
question de la souveraineté des Etats
pendus au bout de leur corde, de la
nature de leurs relations avec leurs
corps électoraux respectifs, elle
soulève également la question du statut
onirique des évadés de la zoologie, donc
de la pesée de l'encéphale d'une bête
évolutive et inachevée: une Académie
peut-elle passer au large de l'histoire
de la boîte osseuse de l'humanité sans
sortir définitivement du champ de la
recherche anthropologique contemporaine?
Que se passe-t-il quand le thème de la
Trahison des clercs (1929)
de Julien Benda s'installe au cœur de
toute l'intelligentsia européenne?
5 - Les innocents
du ciel vide
Car si, sous Vichy,
quelques écrivains se sont compromis
avec l'occupant - ce qui leur a valu de
se voir frappés d'une interdiction plus
ou moins longue de se faire éditer en
France, donc dans notre langue - la
situation se présente sous un jour fort
différent pour une Académie que son
statut spécifique a projetée d'avance et
à titre statutaire dans l'histoire
politique et cérébrales confondues de la
France, puisqu'elle s'est vu confier par
l'Etat - et dès 1795 -une mission
précise et sans équivalent dans aucune
autre République, celle de veiller sans
relâche non plus à la solidité de
l'alliance de la nation avec une
théologie tenue pour révélée et
immuable, mais avec une étoile nouvelle
de la "théologie naturelle", celle d'une
vérité subitement élevée au rang d'une
autorité inhérente à la morale
universelle des démocraties: un mythe
nouveau, celui d'une Liberté sacralisée
par la souveraineté des peuples est
proclamée à la fois immanente et
transcendante au monde. Que valent ce
gardien, cette sentinelle et cette
chambre ardente, s'il crève les yeux que
l'ascensionnel se légitime désormais sur
ses propres fonts baptismaux?
Certes, un songe
politique de cette envergure et taillé à
son tour sur le modèle évangélique
précédent aurait pu tourner court,
tellement il était menacé dans son
berceau par la chute inévitable des
utopies apostoliques dans les
contingences du temporel. Mais on
découvre bientôt que les sotériologies
ont raison dans l'ordre politique quand
l'heure a sonné où l'histoire
événementielle condamne les prophéties
bibliques à débarquer sur la terre sous
une forme nouvelle du sacré. Deux
siècles plus tard, rien n'est devenu
plus rationnel, pour tout historien
pensant, que d'observer de près
l'habillage d'une histoire mondiale
finalisée par la démocratie américaine
et qui contraint, sur les cinq
continents, une civilisation
eschatologisée par son langage à se
donner les ailes d'un Icare de la
Liberté. La rédemption laïcisée des
démocraties modernes a besoin de
rassembler les peuples messianisés dans
une Eglise de leur raison en marche et
de leur intelligence en devenir. Si ce
temple demeure vide, si les prêtres
d'une démocratie aptère désertent
soudainement le mont Carmel de leur
sotériologie, une République privée de
feu et d'autel tombe bientôt en
poussière.
6 - Qu'est-ce que
l'honneur ?
Mais une raison
livrée à la scolastique des modernes
exerce néanmoins un sacerdoce ennemi de
la sophistique des autels. C'est
pourquoi la France avait élevé son
intelligentsia d'éveilleurs à un rang
sacerdotal latent: elle avait fait à ses
guetteurs et à ses veilleurs l'honneur
potentiel de les livrer au peloton
d'exécution s'ils avaient trahi leur
vocation de signataires du pacte nouveau
de leur patrie avec l'éternité. Et
pourtant, l'occupation allemande n'était
pas allée jusqu'à mettre en scène une
classe dirigeante qui, depuis lors,
s'est mise tout entière au service d'une
puissance étrangère: la zone dite libre
de la France occupée de 1940 avait livré
à la justice pénale les dirigeants,
réputés démocrates, de la IIIe
République - les Léon Blum, les Edouard
Daladier, les Paul Reynaud - qui avaient
conduit le pays à la capitulation en
rase campagne: seul le sabre de
l'occupant avait mis un terme au procès
de Riom, qui opposait dans l'ombre
Pierre Laval au vainqueur de Verdun.
Les serviteurs de
l'atlantisme français passeront-ils en
haute cour? Dans ce cas, sauf
prescription, M. Hollande sera jugé pour
trahison si, sur l'ordre d'un
gouvernement étranger et dans son âge
mûr - donc censé responsable de ses
actes en tant que chef d'Etat - il aura
refusé de livrer à la Russie un navire
de guerre commandé aux chantiers navals
de Saint-Nazaire et payé d'avance.
Mais que vaut
l'académie des chenus du Quai Conti?
Veille-t-elle à sauvegarder l'alliance
de la morale universelle de la France
avec son histoire sur le terrain?
Comment une assemblée sénescente et qui
aura laissé la République sans tête et
sans voix depuis 1832 ne serait-elle pas
co-responsable de la démission morale du
pays et de sa chute dans un atlantisme
au jour le jour ? Cet atlantisme
n'est-il pas parallèle à l'agonie
politique de toute l'Europe du XXIe
siècle? Il ne s'agit pas de scolarisés
de l'éducation nationale, mais du
tribunal souverain d'une nation qui n'a
pas jeté à la poubelle le sens de
l'honneur que Montesquieu attribuait
exclusivement à l'aristocratie - la
Liberté est le blason nobiliaire des
peuples démocratiques.
A la fin de la
seconde guerre mondiale, Julien Benda
rééditait sa Trahison des clercs
de 1929 , mais avec une nouvelle
préface, dans laquelle ce n'était plus
seulement leur mission de gardiens des
valeurs universelles que certains clercs
trahissent, c'est aussi, et
"expressément", leur patrie.
7 - La fable du
Corbeau et du renard
Mais que l'on songe
à la difficulté, pour le citoyen lambda,
de démêler dès les bancs de l'école
l'écheveau d'une politique
internationale tellement vassalisée que
les chancelleries les plus exercées ne
parviennent pas, disent-elles, à en
percer les mystères. M. Kerry avait
informé des néophytes américains qui
l'écoutaient - les étudiants triés sur
le volet de Harvard - qu'il avait, bien
évidemment, dû forcer les Etats
européens aux cheveux blancs, mais
demeurés des enfants, à déclarer à la
Russie une guerre commerciale suicidaire
pour leurs intérêts nationaux
respectifs. Mais le génie politique
d'une Blanche Neige italienne - on
venait tout juste de la nommer à la tête
d'une prétendue diplomatie européenne
après un examen de passage réussi de son
orthodoxie atlantiste - n'avait pas
suffi à lui faire raconter correctement
le film de Walt Disney dans lequel elle
disait aux sept nains: "Je me
croyais en conversation avec ce Monsieur
Kerry, je ne savais pas qu'il
s'agissait, en réalité, d'un diktat".
Comment voulez-vous
que les citoyens et les gouvernements se
montrent mieux informés que les nains de
l'Europe de Blanche Neige quand ils
voient une ombre de Ministre des
affaires étrangères du Vieux Continent
contrainte de fournir à ses supérieurs
hiérarchiques des gages publics de son
orthodoxie atlantiste?
Un grand chef
d'orchestre russe, Valeri Guerguiev,
deviendra, à partir de 2015, le
directeur musical de l'Orchestre
philharmonique de Munich. Il avait été
invité par le Festival de la Sarre, qui
s'est déroulé du mois de février au mois
d'août 2014 et qui était placé sous le
patronage de Herman Van Rumpuy, alors
Président du Conseil européen, ainsi que
de Frank-Walter Steinmeier, ministre des
Affaires étrangères de Berlin. Mais ces
inquisiteurs américanisés avaient décidé
d'annuler brutalement la venue du
maestro à Munich: il avait refusé de
critiquer la loi russe, qui interdit la
propagande pour l'homosexualité auprès
des enfants en bas âge.
Apprenez la
politique à la lecture des fables de
Jean de La Fontaine. Que raconte à la
France et à l'Europe d'aujourd'hui la
fable du Corbeau et du renard?
Que si un chef d'Etat comble d'éloges un
autre chef d'Etat, ce dernier devrait
savoir qu'il s'est mis au service de son
complimenteur; et si le flatteur laisse
de marbre le corbeau, les oisillons
porteront aux nues un chef capable de
garder son fromage dans son bec.
Mais la fable de La
Fontaine s'est un peu ramifiée:
désormais le flatteur montre du doigt à
ses vassaux la proie qu'ils devront
traquer sans relâche et accabler de
leurs imprécations. Et au nom de quelles
instances de la morale universelle un
César de la démocratie mondiale
tiendra-t-il le sceptre d'une main ferme
? Décidément la réflexion sur les
relations de la morale avec la
géopolitique donne rendez-vous à
l'Académie de 1795. Car sitôt que la
proie gronde et rugit, elle glace les
vassaux de terreur; et ils disent au
renard: "Rends-nous le fromage qui est
tombé dans ta gueule". Mais le flatteur
aux dents longues leur répond: "Il est
dans mon estomac, venez- donc l'y
chercher."
Si l'Académie des
sciences morales et politiques racontait
aux enfants l'histoire du fromage de la
souveraineté, quelle bible de la
démocratie que les fables de La
Fontaine!
8 - L'horizon
intellectuel perdu de l'Académie des
sciences morales et politiques
Mais la réflexion
philosophique - donc anthropologique -
sur le statut intellectuel de l'Académie
des sciences morales et politiques nous
rappelle les coordonnées et l'échiquier
de la question de fond, celle de la
nature des relations que les Etats
d'aujourd'hui entretiennent avec leurs
couronnes verbales.
Quelles sont la
fonction, la vocation et la mission qui
devrait rendre irremplaçable l'Académie
des sciences morales et politiques?
Qu'a-t-elle le devoir de proclamer au
chapitre de la pesée philosophique et
anthropologique de
l'inconstitutionnalité d'une loi? Le
Conseil Constitutionnel n'est-il pas la
seule instance juridictionnelle
expressément habilitée à en juger et sa
souveraineté n'est-elle pas exclusive?
Comment se trouverait-elle dédoublée par
une Académie des droits de la morale et
de la pensée face à l'arbitraire des
Etats démocratiques eux-mêmes?
Il existe trois
étages de la notion de droit
international public. Le premier
concerne les lois du commerce mondial
qui interdisent à un Etat de promulguer
des sanctions économiques contre un
autre Etat. Le second interdit à un Etat
de soumettre ses propres citoyens à des
sanctions de ce type. Le troisième
concerne l'Académie des sciences morales
et politiques et enjoint à cette
autorité de poser les ultimes fondements
éthiques et universels du droit
constitutionnel.
Or, M. Poutine se
voit accuser "d'expansionnisme" en
direction de l'Ukraine et même, dit-on,
en direction de la Moldavie et des
Balkans. Quels sont les titres des
accusateurs dont l'audace cite la Russie
à comparaître à la barre de la
problématique étriquée, imprécise et
flottante des Etats temporels? Quel est
l'empyrée truqué d'une "Justice
universelle" ritualisée par des vassaux
au service de leur maître? Il s'agit
d'un tribunal qui, depuis 1945, s'est
étendu à la terre entière et qui porte
les armes d'un empire. Celui-ci enserre
l'Europe de cinq cents bases militaires
illégales par nature et par définition.
Il s'agit d'un empire qui domine les
océans et qui quadrille la planète de
mille soixante quinze forteresses,
garnisons et camps retranchés. Quel
Olympe de la vérité politique et de son
alliance avec une "Justice universelle"
qu'un jus gentium aux mains d'un
César!
Mais en quoi,
répétons-le, l'Académie est-elle
condamnée à prendre le relais d'un
Conseil Constitutionnel dont leregard ne
s'étend pas jusque là? Réponse: un Etat
qui viole sa propre loi fondamentale,
donc l'esprit de ses institutions, remet
le sceptre de l'histoire du monde entre
les mains d'un César; et l'Académie de
1795 avait précisément la vocation
d'interdire la remise du sceptre de la
Liberté, de la République et de la
Démocratie entre les mains d'un
empereur.
C'est ici que la
question de l'éthique monte sur les
planches du théâtre qu'on appelle
l'histoire, c'est ici que l'Académie a
le devoir de suppléer à la carence d'un
Conseil Constitutionnel infirme et de
faire entendre à sa place une voix
transcendante à la constitutionnalité ou
à l'inconstitutionnalité des lois - une
voix appelée à chapeauter cette
institution demeurée à mi-pente et de
lui rappeler la nature des relations que
la raison politique suprême des
démocraties entretient avec une morale
universelle. Or, je le redis, ce devoir
est exactement celui que les penseurs de
1795 demandaient à l'Académie en 1803
d'honorer. Et à quel moment? Un an avant
le couronnement précipité du vainqueur
d'Austerlitz - ce qui leur avait valu la
dissolution immédiate de leur conclave;
un trait de plume du Premier Consul y
avait suffi. Et, depuis lors, l'Académie
a perdu jusqu'au souvenir de la vie
intellectuelle et spirituelle confondues
de la France de l'esprit.
Et maintenant un
empire mondial de la force nue se trouve
au pied du mur. Depuis la fin de la
deuxième guerre mondiale, les États-Unis
d'Amérique ont tenté de renverser plus
de cinquante gouvernements, dont la
plupart avaient été légitimement élus;
tenté de réprimer un mouvement populaire
ou nationaliste dans plus de vingt pays;
interféré massivement dans les élections
démocratiques d'au moins trente pays;
largué des bombes sur les populations
d'au moins trente nations et tenté
d'assassiner avec un taux de réussite
élevé plus de cinquante leaders
politiques étrangers.
9 - Le blocage de
la philosophie allemande
Il va de soi que le
sommet du pouvoir exécutif français se
situe à des années-lumière de la
profondeur de jugement qui lui
permettrait de poser la question du
droit et de la justice à une France et à
un Conseil Constitutionnel prisonniers
de leur mythe de la Liberté; mais que le
pays de Kant, de Schopenhauer, de Hegel
fasse monter une petite cuisinière
allemande sur la scène du monde et lui
demande de pointer son index en
direction d'un "envahisseur" est de
l'ordre du burlesque, car la Russie
tente seulement - et en toute légitimité
- de retrouver l'influence que son pays
exerçait sur l'Ukraine depuis plus de
trois siècles afin d'écarter la menace
de la constructions de bases nouvelles
des Etats-Unis à ses frontières. Et la
cuisinière se livre sans ciller à la
tâche ancillaire de renforcer le sceptre
du César mondial du moment. N'est-ce pas
un spectacle de nature à éveiller
l'attention d'Argus aux cent yeux - ceux
de la seule Académie au monde dont la
mission propre soit précisément de peser
cette situation-là?
Mme Merkel n'a
qu'une semi-formation de physicienne.
Mais la question va plus loin que celle
de l'inculture politique des Etats
vassalisés et inexperts sur la scène
internationale: si la raison cartésienne
souligne que l'alliance, depuis Platon,
de la philosophie avec la logique
transcende le temporel, alors le
Discours de la méthode montre
son chemin à la pensée rationnelle et ce
chemin nous conduit tout droit à nous
planter au carrefour où tous les Etats
du monde sont guettés par un César.
Quelle chance ce serait pour la France,
de disposer d'une Académie dont
l'Allemagne de Kant manque cruellement!
Il est
philosophique, le sceptre de la pensée
que l'Académie de 1795 tend au monde
d'aujourd'hui. Car l'Allemagne de la
postérité de la Critique de la
raison pure de Kant n'a pas
conquis les armes d'une pesée
métazoologique des relations de la
morale internationale avec la politique
des Etats, et cela parce que le
protestantisme allemand a sacralisé en
catimini une éthique de la politique des
Etats administratifs issus de la Réforme
de Luther, qui a décapité le pouvoir
central des nations, mais pour les
calquer subrepticement sur la
sacralisation catholique d'en face -
celle du droit tant civil que public.
Le monde moderne
place l'Académie au carrefour mondial de
la réflexion sur les relations de la
pensée avec une morale universelle, de
la politique avec la philosophie et des
Etats avec leur histoire.
Post Scriptum
J'écrivais le 25
juillet: "A partir de cette date, et
compte-tenu qu'on ne luttera
efficacement contre le naufrage de la
langue française que si le Président de
la République et le Premier Ministre se
voient nommément mis en cause, je
relèverai quelques-unes de leurs
fautes."
M. Valls dit: Le
gouvernement veut impulser une
dynamique de croissance. Evitant un
anglicisme, il devrait dire que le
gouvernement veut stimuler
l'économie.
M Hollande dit: "De
nouvelles opportunités se
présentent à nous. Opportunités est un
anglicisme. En français on dit: "De
nouvelles occasions se présentent
à nous.
Reçu de l'auteur pour publication
Le sommaire de Manuel de Diéguez
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