Les défis de
l'Europe
La dictature de
l'empire américain
" Young Leaders " - Comment secouer
ce joug ?
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 19 décembre 2014
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1 - L'horloge de la
mort
2 - Les flatteurs des puissants
3 - La corruption de la classe
dirigeante de la France
4 - Les nouveaux " jeunes chefs
"
5 - Que de ruse et de candeur
mêlées !
6 - Le mode de recrutement et
son extension à l'Europe
7 - Un cas paradigmatique, M.
Alain Juppé
8 - Le double jeu des agents
d'influence
9 - Une démocratie militaire
10 - Attrape-nigauds,
simulacres, contrefaçons et
tutti quanti
11 - La sotériologie
démocratique
12 - Les ensorcelés
13 - Pour une métazoologie de la
géopolitique
Post-scriptum
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1 - L'horloge de
la mort
Il est des heures
où le fleuve du temps semble ralentir sa
coulée, tellement la légèreté des jours
paraît prendre le pas sur le train plus
pesant de l'histoire. Alors le
ralentissement des horloges paraît
donner de l'éclat à un monde immobile.
Mais la fixité soudaine des écrans donne
également le signal du basculement d'une
civilisation dans le vide. Il en est
ainsi de l'Europe au souffle coupé : son
vol dans un ciel déserté souligne
l'effacement du continent de la pensée.
Jamais encore les
nations du Vieux Monde n'avaient quitté
l'arène de leur propre histoire, jamais
encore la patrie de la raison, jamais
encore le coin de terre qui a servi de
berceau aux mathématiques et à la
musique, à la philosophie et à la
géométrie, à l'histoire et à la
politique raisonnées n'avaient déclaré
une guerre des ventres à un membre
glorieux de la famille, tellement la
géographie imposait un voisinage naturel
des têtes et des cœurs.
Mais les
circonstances de cette dislocation des
âmes et des cervelles éclairent
l'évènement en retour et le placent dans
la lumière de nos retrouvailles avec le
tragique grec: c'est sur l'ordre d'un
tyran étranger que Paris, Rome, Madrid,
Berlin ont tenté d'affamer la patrie de
Tolstoï et de Dostoïevski, c'est une
Europe vassalisée qui n'a mis un terme à
sa trahison d'elle-même qu'en raison du
tarissement brutal de ses profits
commerciaux avec sa victime, c'est une
Europe opprimée par un mythe de la
Liberté dont son délivreur de 1945
brandit trompeusement le drapeau sur sa
tête, c'est une Europe domestiquée par
un empire en expansion messianique qui a
jugulé une civilisation de la lucidité
et de la mesure. Quelle honte que ce ne
soient pas sa tête et son cœur qui aient
contraint l'Europe à battre en retraite,
mais seulement l'amaigrissement de son
gousset. Le temps de l'histoire
s'accélère dans les siècles de la
volonté et du courage, il traîne la
patte quand la lâcheté et la honte
retardent l'horloge de la mort.
2 - Les flatteurs
des puissants
Mais l'eau sale de
la servitude n'arrose jamais que le
fumier qui la reçoit; et, bien souvent,
le paysage s'éclaire à la lumière de la
bassesse, bien souvent la lucidité
s'éveille dans la suffocation des
consciences, tellement l'infamie est
aussi une sentinelle en alerte. C'est
dans la pestilence de son abaissement
que le Vieux Continent a commencé
d'observer ses chaînes et ses garrots.
On se demande maintenant pourquoi le
bâillonneur est devenu si puissant,
alors que le prisonnier à ligoter
demeure tellement faible et misérable
qu'il ne mérite pas, semble-t-il, des
barreaux de cette taille. On commence de
s'apercevoir que l'Europe est tombée
dans les mains du plus puissant empire
que le monde ait jamais vu régner.
Mille soixante
quinze forteresses, garnisons et places
fortes du maître enserrent le globe
terrestre. La flotte de guerre du géant
des mers sillonne tous les Océans du
globe. Sa monnaie dicte sa loi à tous
les marchés. Sur les cinq continents,
les matières premières augmentent leur
prix ou l'abaissent à l'écoute de sa
voix, sur les cinq continents, les
banques craignent ses froncements de
sourcils, partout, le coût du crédit
dépend du bon vouloir de cet Hercule des
taux de change, partout les nations
vassalisées se pressent à sa porte,
partout ses agents bâillonnent
l'économie des peuples que ce César
montre du doigt. L'ami bien en cour
étale ses rubans, l'ennemi en disgrâce
tremble et pâlit.
Que voulez-vous, il
se trouve que quatre-vingt dix-huit pour
cent des humains sont nés craintifs et
le restent jusqu'au trépas, que
voulez-vous, la peur est la reine du
monde, que voulez-vous, la Démocratie
d'un sépulcre blanchi dispose des armes
les plus modernes de la terreur. Un
journaliste candide demandait à Sergei
Lavrov, Ministre des affaires étrangères
de la Russie, s'il ne se sentait pas
isolé parmi tant d'Etats hostiles à son
pays. Un éclat de rire lui répondit: "Je
passe sept heures sur huit à écouter les
ambassadeurs des Etats asservis. Ces
malheureux viennent pleurer dans mon
gilet et je les vois tout transis".
Sachez que le despotisme américain règne
par l'épouvante qu'il inspire aux
prudents, apprenez que la religion de la
Justice, du Droit et de la Liberté
fonctionne sur le modèle des religions.
Les Grecs disaient de la leur: "La
sagesse commence par la crainte des
dieux".
3 - La corruption
de la classe dirigeante de la France
Mais la peur du
fouet n'est pas le seul moteur de
l'hégémonie durable du tyran de la
Maison Blanche: jamais aucun empire
n'avait seulement songé à fonder son
omnipotence sur l'achat, à titre
préventif et d'une génération à la
suivante de toute la classe dirigeante
de ses vassaux. L'exemple de la France
est particulièrement éloquent sur ce
point focal. Ce pays est le seul au
monde à se forger quatre-vingt dix-huit
pour cent de ses élites politiques sur
les bancs d'une seule et puissante
entreprise d'Etat, l'école nationale
d'administration. Quelle proie bien
apprêtée pour un empire toujours aux
aguets et prêt à bondir sur son gibier!
C'était tout
sourires que les Perses vaincus
appelaient chez eux un Thémistocle
vacant et prêt à se laisser capturer -
l'ingratitude de ses compatriotes
avaient rendu le achetable le vainqueur
de la bataille de Salamine. Et
maintenant, il suffit à Washington
d'inviter systématiquement les élèves
issus d'un séminaire d'Etat à venir
"s'instruire" des bienfaits que le
messie d'une démocratie mondiale est
censé répandre sur notre astéroïde pour
que les phalanges de futurs responsables
des affaires du pays de 1789 se trouvent
inhibés à vie et dans leurs résolutions
les plus décisives - celles qui
commandent leur conduite sur la scène
internationale.
Car l'esprit des
mordus de ce picotin demeure
relativement intact sur l'accessoire ;
mais si la nourriture d'un Etat dans
l'arène du monde se réduit au fourrage
de la bureaucratie du cru, le pays de
Descartes et de Montaigne placera chaque
année aux commandes de son destin des
régiments de manchots de la
géopolitique. Ni la connaissance de
l'histoire, ni celle de la philosophie
ne figureront dans la trousse d'une
France réduite à la dictature de ses
guichets.
Comment une élite
européenne de ce type chasserait-elle de
son territoire les camps militaires de
l'étranger qui y bivouaquent depuis
trois quarts de siècle, comment ces
petits administrateurs ne se
trouveraient-ils pas en conflit, dans
leur for intérieur, entre leur devoir
envers leur pays occupé et leur
gratitude pour un empire qui leur a
offert l' hospitalité et témoigné mille
égards tant pour leur jeunesse
ambitieuse que pour leurs mérites encore
méconnus? Un seul de ces dirigeants a
demandé qu'on le rayât de la liste
officielle des patriotes rendus
schizoïdes pour la vie, M.
Dupont-Aignan. A l'heure actuelle, les
anciens " jeunes chefs " invités aux
Etats-Unis dès leur sortie de l'école
nationale de la politique comptent le
Président de la République lui-même.
4 - Les nouveaux
"jeunes chefs"
En 1981, lors de
l'accession au pouvoir d'une gauche
française encore branchée sur
l'évangélisme et le messianisme des
marxistes, le Département d'Etat, le
Pentagone et les services secrets
américains - notamment la Central
Intelligence Agency (CIA) - ont
décidé de se doter d'un organisme plus
efficace et d'un commandement ultra
centralisé, qui programmerait plus
sûrement les cerveaux politiques les
plus prometteurs du Vieux Monde. Il
s'agissait de gagner non plus seulement
la crème des anciens élèves de l'Ecole
Nationale d'Administration mais, selon
les propres termes de l'administration
américaine, "les hommes et les
femmes capables d'occuper des
postes-clés dans l'un et l'autre pays".
Cette chasse programmée aux
personnalités responsables dans tous les
ordres de l'action et du savoir "rassemble
aujourd'hui quatre cents dirigeants
d'entreprise, des chefs de la haute
fonction publique, des généraux, des
responsables des médias et des guides de
la recherche scientifique".
Mais, depuis lors,
le peloton des quatre cents pionniers
originels sont devenus, plus d'un
millier de vigies et de sentinelles du
Nouveau Monde et leur phalange occupe
tous les points stratégiques, tant dans
la société civile française qu'au sein
de l'Etat.
Voici
une liste non exhaustive des
deux dernières fournées
(2013-2014) de volontaires
au service de l'empire:
Nicolas
Escoulan, Directeur de la
Rédaction d'Europe 1 (2014)
, Frank Gervais,
Président-Directeur Général
de Thalys International
(2014), Le
Lieutenant-Colonel Jean de
Monicault, Rédacteur du
Chef d'Etat-Major des Armées
en charge des affaires
stratégiques au Ministère de
la Défense (2014) ,
Alexis Morel, Directeur
de la Stratégie de Thales
(2014), Abdel Malek
Riad, Conseiller
économique du Président de
l'Assemblée Nationale (2014)
, Julien Aubert,
Député du Vaucluse,
Assemblée Nationale (2013),
Jérôme Chapuis, Rédacteur
en chef adjoint, RTL (2013),
Benoit Claveranne,
Directeur Général, AXA
Prévoyance et Patrimoine,
AXA France (2013),
Matthias Fekl, Député de
Lot-et-Garonne, Assemblée
Nationale (2013),
Caroline Flaissier,
Director of Procurement and
Portfolio Management, TOTAL
Energie Gaz (2013),
Renaud Guidée, Executive
Director, Goldman Sachs,
Vincent Menuet, Head of
Contracts and Marketing,
Customer Services, Airbus
(2013), Capitaine de
frégate Philippe Naudet,
commandant le sous-marin
nucléaire d'attaque "
Améthyste " (2013),
Vanessa Scherrer,
Directrice Adjointe, Ecole
des Affaires
Internationales, Sciences Po
Paris (2013), Myrto
Tripathi, New Builds
Reactors, Offer Director,
AREVA.
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5 - Que de ruse
et de candeur mêlées !
A lire
attentivement la liste des agents
publics d'un service nullement protégé
par le secret militaire, puisque le
système se trouve désormais habilement
déguisé en une sorte de conseil
paroissial à l'échelle de la nation, on
se pose des questions indiscrètes sur
l'esprit d'orthodoxie qui paraît
inspirer des citoyens français censés
d'une "bonne volonté" pastorale à
l'égard d'une puissance étrangère. Mais
pourquoi se donner la chasuble innocente
d'une démocratie de patronage? Les
démocraties messianiques
s'apparenteraient-elles au scoutisme
politique qu'elles affichent? Que de
ruse et de candeur mêlées ! Ne croyez
pas que les apôtres de ce patriotisme
vertueux ne se doutent de rien. Leur
mission catéchétique de convertisseurs
et de moralistes américains n'est que
leur masque d'agents doubles - ils
assument pleinement leur vocation de
serviteurs et de catéchètes d'un empire
étranger.
Voici
quelques noms de "Young
Leaders" des générations
de 1981 à nos jours (Source
: Annuaire des Young
Leaders)
Henri
de Castries (1994,
président du directoire du
groupe Axa) Emmanuel
Chain (1999, journaliste)
Jérôme Clément (1982,
président d'ARTE)
Laurent Cohen-Tanugi
(1996, ancien vice-président
de Sanofi-Synthélabo)
Annick Cojean (2000,
journaliste au Monde)
Jean-Marie Colombani
(1983, fondateur de Slate et
ancien directeur du Monde)
Matthieu Croissandeau
(2002, rédacteur en chef
adjoint du Nouvel
Observateur) Jean-Louis
Gergorin (1994, ancien
responsable d'Airbus )
Nicolas Gaume (1999, PDG
de Mimesis Republic et
président du Syndicat
national du jeu vidéo)
Bernard Guetta (1981,
journaliste à France Inter)
François Hollande (1996,
président de la République
française) Stéphane
Israël (2012, directeur
de cabinet d'Arnaud
Montebourg puis PDG
d'Arianespace) Erik
Izraelewicz (+1994,
directeur du Monde)
Jean-Marc Jancovici
(2002, ingénieur consultant
pour l'ADEME, vulgarisateur
dans les médias des
questions énergétiques)
Jean-Noël Jeanneney
(1983, président de la
Bibliothèque nationale de
France) Laurent Joffrin
(1994, PDG de Libération)
Alain Juppé (1981, maire
de Bordeaux, ancien premier
ministre et différents
postes de ministre)
Sylvie Kauffmann (1998,
journaliste au Monde)
Yves de Kerdrel (2005,
éditorialiste au Figaro)
Nathalie Kosciusko-Morizet
( 2005, ancienne ministre
de Nicolas Sarkozy )
Pierre Kosciusko-Morizet
(2008, PDG de PriceMinister)
Marie Lajus (2006,
préfète déléguée pour
l'égalité des chances)
Anne Lauvergeon (1996,
ancienne présidente d'AREVA)
Philippe Le Corre (2005,
professeur à SciencesPo et à
l'IRIS) Frédéric Lemoine
(2007, directeur du
groupe Wendel, à ce titre
administrateur de
Saint-Gobain) François
Léotard (1981, ancien
ministre de la Défense)
Bruno Le Roux (1998,
député depuis 1997 et
président du groupe
socialiste à l'Assemblée
depuis 2012) Pierre
Mariani (1996, directeur
de cabinet de Nicolas
Sarkozy de 1993 à 1995, puis
responsable à BNP Paribas et
enfin dirigeant de Dexia)
Alain Minc (1981,
conseiller politique,
économiste, essayiste et
dirigeant d'entreprise)
Arnaud Montebourg (2000,
ancien ministre de
l'Économie) Aquilino
Morelle (1998, ancien
conseiller politique au
cabinet du président de la
République François
Hollande) Pierre
Moscovici (1996, ancien
ministre de l'Économie et
des Finances, commissaire
européen) Philippe
Naudet (2013, commandant
du sous-marin nucléaire
d'attaque Améthyste (S605),
possible futur chef
d'état-major des armées)
Olivier Nora (1995,
président des Éditions
Fayard) Christine
Ockrent (1983,
journaliste) Denis
Olivennes (1996,
président d'Europe 1)
Valérie Pécresse (2002,
ancienne ministre de
l'Éducation nationale)
Éric Raoult (1994, ancien
député et ancien ministre)
Alain Richard (1981,
ministre de la Défense tout
le long du gouvernement
Jospin) Pierre Richard
(1984, fondateur et
président de Dexia de 1987 à
2008) Pascal Riché
(2000, co-fondateur de
Rue89) Guy Sorman
(1982-1984, essayiste
libéral) Jacques Toubon
(1983, député UMP)
Marisol Touraine (1998,
ministre des Affaires
sociales et de la Santé)
Najat Vallaud-Belkacem
(2006, ministre des Droits
des femmes puis ministre de
l'éducation nationale)
Laurent Vigier
(2010-2011, PDG de la
branche internationale de la
Caisse des dépôts et
consignations) Cédric
Villani (2012-2013,
Médaillé Fields, en tant que
membre d'EuropaNova)
Emmanuel Macron (2012,
ministre de l'Économie, de
l'Industrie et du Numérique)
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6 - Le mode de
recrutement et son extension à l'Europe
Depuis 1981, la
nouveauté révolutionnaire de la version
à visage apparemment découvert de cette
ecclésiocratie démocratique donne aux
chefs américano-français de la nation la
cohésion d'une phalange macédonienne.
Celle-ci se révèle crûment dans le mode
individualisé de recrutement des
candidats: ils ne sont plus recherchés
en secret par le Département d'Etat
américain et par la CIA. En raison de
l'américanisation avancée du monde
actuel, ils se présentent spontanément
et en pleine connaissance de cause à
leur employeur. Leur première qualité,
aux yeux de Washington, est de se
montrer inspirés par une volonté propre
et clairement affichée de se mettre au
service de l'eschatologie démocratique
américaine et de se donner à juger sur
le critère de la sotériologie immanente
au monde moderne.
En 1976, leur
apostolat larvé était officialisé, puis
pesé par James Lowenstein, James
Chase et Nicolas Wahl. Les
deux premiers examinateurs de leur
candidature étaient membres du très
influent Council of Foreign Relations
(CFR) où s'élabore la politique
étrangère américaine. Quant à Nicolas
Wahl, il leur servait de conseiller en
tant que professeur de sciences
politiques. Mais le but est demeuré de
recruter chaque année et dans un espeit
sourcilleux de l'orthodoxie des "
candidats français susceptibles
d'occuper de hautes responsabilités".
En 2011, Daniel
Cohn-Bendit a pris la tête de l'European
Young Leaders. On sait que les
documents déclassifiés par
l'Administration américaine en été 2000
ont apporté la preuve écrite que l'homme
de mai 1968 a été constamment financé
par les services secrets américains. De
nos jours, le financement du service
secret des "Friends of Europe"
bénéficie de 428.940 € (24% des
ressources) d'institutions "européennes
et internationales" telles que l'UE,
l'OCDE, mais aussi le FMI et la Banque
Mondiale situés à Washington. Il faut y
ajouter 952.840 € (56,7% des ressources)
"d'entreprises privées". Le fonds des "Amis
de l'Europe" - ou plutôt des "Amis
de l'Amérique" - est notamment
dirigé par Jean-Luc Dehaene, ancien
Premier ministre belge et ancien
vice-président de la Convention pour
l'Avenir de l'Europe et par Pascal Lamy,
Directeur Général de l'OMC.
7 - Les cas
paradigmatiques de M. Alain Juppé de nos
sous-mariniers d'assaut
En 2014, Alain
Juppé, maire de Bordeaux, recevait
en grande pompe les "lauréats"
français et américains de l'année.
Arrêtons -nous un instant à l'examen de
ce cas paradigmatique: recruté dès 1981
dans la première légion du salut
démocratique américain, cet ancien élève
de Normale Supérieure de la rue d'Ulm et
de l'ENA était-il coupable, à l'âge de
trente sept ans à peine, de troquer le
monastère de la piété marxiste
déclinante ou celui des dévotions de la
gauche pour les services liturgiques du
capitalisme de Wall Street? Cet innocent
"aux mains pleines", comme on dit, ce
faux naïf est-il coupable, pour le
moins, d'imprudence pour s'être soumis
motu proprio à la procédure
imposée aux ambitieux
américano-français? Pouvait-il prévoir
qu'il appellerait un jour les troupes
américaines à débarquer en Yougoslavie
et qu'il permettrait au Pentagone
d'installer, au cœur de ce pays, la base
militaire américaine la plus puissante
du monde, celle de Bondsteel dans un
Kosovo proclamé indépendant en raison,
précisément, de son ralliement forcé au
drapeau d'une démocratie américaine
désormais planétarisée? Savait-il qu'il
placerait un jour son pays sous le
commandement militaire exclusif de
l'Amérique en Libye?
Peut-être n'a-t-il
découvert que tardivement, le rôle réel
qui lui est dévolu aujourd'hui. Car sa
vision actuelle de la géopolitique ne
porte pas encore sur la course effective
du monde. Il ne le voit pas se rendre à
marches forcées en direction de l'Est,
alors qu'il réunit d'ores et déjà, les
pièces du procès des collaborateurs qui
se seront livrés à l'occupant, pieds et
poings liés et de leur plein gré. Nous
savons aujourd'hui, comme il est rappelé
ci-dessus, qu'ils se sont soumis en
pleine connaissance de cause aux
critères précis édictés par l'étranger
et qui guident le choix - annuel et
conjoint - des candidats au titre et au
rang de Young Leaders en Amérique
et en Europe.
Prenons un cas plus
éloquent encore que celui de M. Alain
Juppé, celui du capitaine de frégate
Philippe Naudet, qui commande le
sous-marin français d'attaque, donc à
propulsion nucléaire, l'Améthyste.
Comment cet officier a-t-il pu poser sa
candidature et sur quels critères a-t-il
été retenu par les services secrets
américains? Pour qu'il soit considéré
comme un "futur chef d'Etat-major
des armées", comme il est écrit
noir sur blanc dans la notice qui le
concerne et qui figure dans le site
officiel des Young Leaders? Pour
cela, il faut que des agents de
l'étranger, mais déguisés en benoîts
défenseurs de la démocratie
américaniste, se trouvent en relations
étroites avec Washington depuis des
années et qu'il en été débattu à un haut
niveau de responsabilité du Ministère de
la Défense.
Il est donc prouvé
que notre flotte nucléaire est truffée
d'agents de l'étranger depuis belle
lurette et que le pouvoir hiérarchique
dont il dépend a autorisé le
Capitaine de frégate Philippe Naudet
(2013), ainsi que le
Lieutenant-Colonel Jean de Monicault,
Rédacteur du Chef d'Etat-Major des
Armées en charge des affaires
stratégiques au Ministère de la Défense
(2014) à présenter leur candidature et à
se mettre au service d'un pavillon
étranger.
Si vous scrutez à
la loupe, année après année et des deux
côtés de l'Atlantique, la liste des
Young Leaders exclusivement
sélectionnés par Washington, vous
repèrerez aisément les personnalités de
haut rang appelées à se trouver en
relations suivies et évidentes avec les
chefs du Pentagone et ceux de la CIA.
8 - Le double jeu
des agents d'influence
On comprend que
personne en France ne se demande qui a
mission de centraliser et d'exploiter
les renseignements que fournissent ces
rabatteurs et de les communiquer
officiellement à qui de droit. Quels
sont les liens qui se tissent depuis
1981, entre l'instance française et
l'instance américaine? Quel est le chef
suprême de cette armée à la fois
dédoublée, tentaculaire et miniaturisée
seulement en apparence? Imagine-t-on
l'influence inouïe qu'exerce en France
un réseau transatlantique à deux
branches composées de centaines d'agents
de haut rang et étroitement
interconnectés entre eux?
La naïveté
politique des brebis de la grâce
démocratique a d'ores déjà éclaté au
grand jour et à grand bruit, car dans le
passé, ces vigies dormantes et de "bonne
foi", dit-on, ont bien souvent et
publiquement, dénoncé la vassalisation
de l'Europe par l'Amérique, et cela avec
des accents de sincérité troublants.
Mais à l'heure où, sur l'ordre de
Washington, Paris, Londres, Berlin,
Rome, Madrid, ont déclaré une guerre
économique stérile et idiote à la
Russie, ces "dormants"
sont sortis comme un seul homme de la
.latence de leurs convictions réelles et
se sont rués sur le Staline artificiel
et déguisé en potiche qu'on leur
montrait du doigt. Tel est le cas de MM.
Guetta, Juppé et de tant d'autres: la
trahison est un plat qui se mange froid.
9 - Une
démocratie militaire
On comprend que la
corruption insidieuse, doucereuse et
rampante des élites politiques,
économiques ou médiatiques du Vieux
Monde ait joué un rôle essentiel dans la
vassalisation de cette civilisation
biface: jamais les catéchisés d'une
puissance étrangère ne porteront un
regard de l'extérieur sur le charmant
livre d'images à l'usage des enfants de
Janus qu'on leur met entre les mains et
qui leur enseigne un messianisme
démocratique et une sotériologie
politiques greffés sur le calvinisme
américain. Du coup, l'éducation
nationale française a pris le relais
d'une histoire en bandes dessinées de la
démocratie américaine. C'est pourquoi il
n'existe aucun parti de la fierté
nationale ou du patriotisme en Italie,
en France et en Allemagne - cela y
paraîtrait "vieux jeu", n'est-ce pas...
Il y a peu, un
humoriste de talent, Beppe Grillo, avait
obtenu, aux élections législatives, un
pourcentage étonnant des voix du peuple
italien. Mais on aurait cherché en vain,
dans son programme politique, un seul
mot concernant l'occupation du pays par
cent trente sept camps militaires de
l'étranger. Non seulement Venise, Pise,
Bologne, Florence sont des places fortes
américaines depuis trois quarts de
siècle, mais Naples est devenu un port
américain aux yeux du droit
international, donc à titre perpétuel et
par la volonté de l'Etat italien. Qui se
souvient de ce que Naples avait donné à
l'empire romain l'arme de guerre
indispensable à la domination navale de
la Méditerranée, donc le seul moyen de
succéder à Carthage dans le commerce
avec la Phénicie. Mais seul un chef
d'Etat étranger, Jacques Chirac, a tenté
de redonner Naples à l'Italie.
L'histoire se
répète : de même que la victoire de
Scipion l'Africain sur Hannibal avait
été suivie de la conquête romaine de la
Sicile, de même, l'empire américain
s'est étendu à Syracuse sans que
personne levât le petit doigt et songeât
un seul instant à faire comparaître M.
Berlusconi en haute cour. De même, Mme
Merkel s'indigne, au nom du mythe
universel d'une Liberté habillée à
l'américaine, de ce que la Russie ait
retrouvé la Crimée, mais elle ne songe
nullement à chasser de sa cuisine deux
cents bases militaires américaines
incrustées en Allemagne depuis 1944. Le
grotesque des pot-au-feu du sceptre de
la Liberté est devenu le pilier d'une
géopolitique du fantastique.
10 -
Attrape-nigauds, simulacres,
contrefaçons et tutti quanti
Ici encore,
l'habileté de M. Barack Obama à l'égard
d'une Europe vassalisée à l'école de ses
propres songes politiques devrait
attirer l'attention des anthropologues
d'une géopolitique tombée dans la folie.
Mais, faute que l'école des sciences
politiques de la rue saint Guillaume
traite d'un sujet aussi épineux que
celui de la vie onirique de la politique
(-
L'Europe, un asile d'aliénés - La
modernité de L'Eloge de la folie
d'Erasme
, 5 décembre 2014), les
relations de la Russie avec l'Ukraine
sont subitement devenues l'épicentre
démentiel de l'histoire des
microcéphales. Les Etats-Unis font
glisser à grand bruit l'échiquier d'un
monde asilaire en direction d'une
nouvelle "guerre froide", alors
que, sur les mille soixante quinze camps
militaires évoqués ci-dessus, un
demi-millier sont censés défendre,
l'arme au pied, une Europe qu'aucun
ennemi ne menace. La puissance effective
des empires d'hier et d'aujourd'hui
n'est jamais autre que celle dont
s'imprègne leur présence militaire tour
à tour tonitruante et tranquille et non
celle de la prétendue puissance
guerrière d'un adversaire rendu
imaginaire. Les vassaux sont consentants
à leur mise doucereuse sous le joug
pacificateur de leur maître.
On a pu le vérifier
à nouveau en 2010 quand, aux
applaudissements ravis d'une bonne
ménagère, Mme Merkel, Washington a
réussi à disqualifier l'arme nucléaire
française et à lui substituer son propre
baudrier salvifico- mythique. Où le
Ministre de la Défense et le Ministre
d'Etat de M. Sarkozy se cachait-il? Il
s'appelait Alain Juppé. Et en novembre
2014, il prônait, sous la pression de la
Maison Blanche, le refus de livrer le
Mistral à la Russie. Qui peut croire
qu'un homme d'apparence "gaullienne"
aurait soudainement tourné casaque? Ne
faut-il pas chercher le ver dans le
fruit et remonter à 1981?
Car enfin, voyez le
fonctionnement des têtes dichotomisées
de longue date par l'argent de
l'étranger : non seulement le Mistral
n'est plus un signe voyant de la
politique extérieure de la France et de
son honneur, donc du type de présence de
notre pays sur la scène internationale,
mais un produit industriel déloyal et
construit en cachette. La France devient
un boutiquier attentif à la prospérité
de son tiroir-caisse. Pendant ce temps,
M. Vladimir Poutine se comporte en chef
d'Etat: il substitue aux relations
traditionnelles d'un gros vendeur avec
son petit client et d'un créancier obèse
avec son débiteur maigrichon une
collaboration entre égaux qui fera de
l'Inde un producteur et un vendeur à son
compte d'hélicoptères de combat de la
cinquième génération. La vassalisation
abêtit les deux parties, la souveraineté
partagée les élève côte à côte.
11 - La
sotériologie démocratique
La classe
dirigeante européenne manque avant tout
d'une connaissance anthropologique, donc
psychogénétique de la stratégie mondiale
qui commande l'expansion militaire du
mythe démocratique. Le modèle en remonte
pourtant à la bonne conscience de
l'Athènes de Périclès. Comme au Ve
siècle avant notre ère, les citoyens
d'un Etat victorieux s'identifient
spontanément à la puissance et au
rayonnement de leur patrie dans le
monde. A ce titre, ils entrent en fureur
au spectacle des obstacles,
incompréhensibles à leurs yeux, que des
malappris et des ignorants sont censés
opposer à l'honnêteté viscérale de la
foi qui chapeaute d'angélisme les
glaives aiguisés sur la meule de leurs
victoires.
Dès le berceau,
l'opinion publique américaine se trouve
messianisée à l'école du mythe
eschatologique de la Liberté. Cet
empire, rendu sotériologique et
rédempteur dès le berceau, enrageait à
la seule vue du Général de Gaulle, puis
de Jacques Chirac - et toujours pour des
motifs de croisés du monde vertueux des
modernes. On se souvient que M. Jacques
Chirac avait eu l'outrecuidance de
s'opposer à la "guerre sainte" de
la démocratie catéchisée en Irak, ce qui
a contraint le sorcier de la Maison
Blanche à brandir sa fiole magique,
celle d'une apocalypse proclamée
imminente. Six milliards de
simianthropes ignorants ont vu se ruer
sur l'Irak des armées de croisés privés
de l'aval du bénisseur mondial de la
sottise qu'on appelle les Nations Unies.
Certes, c'était violer ouvertement le
droit international qui sert de masque
apostolique au genre humain
d'aujourd'hui. Mais pourquoi la
politologie pseudo scientifique actuelle
se trouve-t-elle réduite au rang d' un
infirme cérébral, sinon du seul fait
qu'une classe dirigeante sous-informée
manque d'une pesée métazoologique de la
boîte osseuse actuelle d'un animal non
encore parvenu à destination puisqu'il
demeure en évolution.
12 - Les
ensorcelés
Et maintenant
l'homme à faire haïr non seulement par
trois cent cinquante millions
d'Américain, mais par un demi-milliard
d'Européens s'appelle Vladimir Poutine,
dont le seul tort est le même que celui
du Général de Gaulle et de Jacques
Chirac : ces deux hérétiques
n'avaient-ils pas la prétention de
demeurer d'aplomb sur leurs jambes et de
défendre leur pays face aux aliénés d'un
mythe politique en expansion? Par la
faute d'une presse et d'une télévision
évangélisées en sous-main au seul profit
d'un empire étranger, le monde entier
est devenu le nouvel agora où les
citoyens d'Athènes criaient leur
indignation contre les adversaires de
l'expédition de Sicile à laquelle
s'opposait un seul expert en politique,
un certain Périclès.
Mais tout
messianisme universalise le délire qui
l'inspire: l'agora est tombée dans une
sotériologie sacralisée par ses bûchers.
Ses armes de guerre sont désormais
celles d'un salut et d'une rédemption du
genre humain par la religion de la
Liberté. Comme au Moyen-Age, l'absolu
sert de porte-drapeau mondial à une
politique de la "délivrance", à
cette différence près que la
sotériologie laïque des modernes a pris
le relais de celle du salut de type
monothéiste.
Dans un contexte
eschatologisé sur ce modèle, comment M.
Juncker donnerait-il à une civilisation
aussi décérébralisée par l'absolu
qu'autrefois, comment M. Juncker,
dis-je, donnerait-il à un monde pseudo
évangélisé par des abstractions
sanctifiées une lucidité et un élan de
la raison qui ne peuvent résulter que
d'une intelligence capable de surplomber
la pensée des ensorcelés du XXIe siècle
? Cette raison-là, hélas, n'est
accessible qu'aux anthropologues du
déclin des civilisations délirantes.
Car, pour la première fois au monde,
l'angélisme et l'utopie religieuse en
folie deviennent non seulement des
acteurs, mais les protagonistes les plus
puissants de l'histoire semi-animale du
monde.
13 - Pour une
métrazoologie de la géopolitique
Si vous ne
comprenez pas les règles du jeu en
simiantropologues, vous demanderez,
comme M. Juncker, que les négociations
sur le traité transatlantique ne se
déroulent pas en secret - revendication
sacrilège et qui a été enterrée dans les
dix jours, puisque les commissaires
censés élus par le pseudo Parlement
supra-national de Strasbourg ne sont que
les créatures des Etats dépossédés
d'avance de leur souveraineté par
Washington et dont chacun délègue au
sein du pouvoir administratif central un
concitoyen précisément chargé de faire
bonne figure dans le rôle d'otage falot
du mythe atlantiste qui lui est assigné.
Certes, les
croisades du Moyen-Age précipitaient des
masses immenses dans le sable et la
poussière. On allait "délivrer"
un tombeau mythique et chu par
malencontre dans les mains des
profanateurs. Puis, au XVIe siècle, la
guerre de religion entre les catholiques
et les protestants a déchiré le
simianthrope entre, d'un côté, les
consommateurs dominicaux de la chair et
du sang réputés "réels" d'un prophète
crucifié un millénaire et demi
auparavant, de l'autre, les méditants
d'une métaphore riche de sens. Mais, en
ce IIIe millénaire, la planète en folie
fait délirer des centaines de millions
de cervelles - on se rue sur le Satan
qu'un empire de la sainteté démocratique
vous montre d'un index vengeur et
justicier.
Faute de porter un
regard de l'extérieur sur le cerveau
messianisé des semi-évadés de la
zoologie, l'histoire et la politique
n'accèdent plus à une compréhensibilité
qualifiable de scientifique, donc de
rationnelle. Ou bien Clio s'efforcera de
se rendre un peu plus pensante
qu'autrefois et son récit deviendra
intelligible à une profondeur du
"connais-toi" inconnue des Anciens, ou
bien les paramètres cognitifs du passé
rendront la muse de la mémoire plus
titubante que jamais au sein d'une
espèce en attente d'un nouveau
sacrilège, celui d'un décryptage
métazoologique de ses neurones.
Post Scriptum
J'écrivais le 25
juillet :
"A partir de cette
date, et compte-tenu qu'on ne luttera
efficacement contre le naufrage de la
langue française que si le Président de
la République et le Premier Ministre se
voient nommément mis en cause, je
relèverai quelques-unes de leurs
fautes."
M. Manuel Valls 1
confond aussi et ainsi.
Aussi demande l'inversion, ainsi
l'exclut. On dit: Ainsi nous
sommes satisfaits.
2 - M. Hollande
ignore que le verbe impulser
n'est pas français.
Le 19 décembre 2014
Reçu de l'auteur pour publication
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