Décodage
anthropologique de l'histoire
contemporaine
La classe dirigeante des Etats-vassaux
I - Qu'est-ce qu'une nation ?
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 19 juin 2015
Quatre lettres
ouvertes à M. Jacques Myard, Député de
la nation, Président du Cercle
Nation et
République
|
1 - Comment
comprendre la France ?
2 - Quelle est l'armature
cérébrale de la droite française
?
3 - Une physique de l'esprit
4 - La politique du langage et
la psychophysiologie de
l'histoire du monde
5 - Le roi et ses courtisans
6 - L'Europe, la France et la
raison politique mondiale
7 - Une solitude entre chien et
loup
|
1
-
Comment comprendre
la France ?
M. le Député,
permettez-moi de commencer la rédaction
de ces lettres ouvertes à votre adresse
par un appel respectueux à votre
patriotisme: la nation de Descartes vous
demande d'approfondir la portée
proprement philosophique de votre
vocation politique.
Qu'est-ce qu'un
député de la nation, donc d'un peuple
souverain? Il y a trois mois, votre
initiative d'entraîner vaillamment
jusqu'à Damas une délégation d'une
quinzaine d'élus formés à l'école de
votre courage, puis, plus récemment,
votre vol intrépide jusqu'à Moscou, me
semblent d'une signification politique à
approfondir et à expliciter en long et
en large, tellement votre action
illustre l'embarras intellectuel
compréhensible et l'ambition légitime
des représentants les plus éclairés de
la République, donc des plus inquiets.
Car de nombreux députés s'interrogent,
non sans désarroi, sur les
responsabilités internationales réelles
ou seulement formelles qu'il incombe à
la classe dirigeante d'aujourd'hui
d'exercer.
Quelle est la
capacité des mandataires assermentés
d'un peuple censé se piloter lui-même,
de graver l'empreinte de sa réflexion
sur la planète tout entière, et cela à
l'heure tardive, où l'échiquier qu'on
appelle le globe terrestre se place au
cœur des politiques nationales? Vous
avez soulevé la question de la nature et
du poids des relations que les peuples
proclamés les rois de la mappemonde
depuis plus de deux siècles
entretiennent réellement avec les
phalanges sommitales du concept de
démocratie, donc avec leurs guides,
pilotes, conseillers, meneurs ou chefs
de file.
2 - Quelle est
l'armature cérébrale de la droite
française ?
Le suffrage
universel a-t-il jamais compté dans la
conduite effective des Républiques?
Qu'attendre de la compétence ou de
l'incompétence des corps électoraux? Ne
sont-ils pas demeurés poussifs et
aveugles sur la scène de l'histoire
universelle? Les obstacles pratiques que
rencontre la sagesse si généreusement
attribuée aux masses électorales depuis
1789 sont tellement nouveaux et focaux
qu'une brève rétrospective de leurs
avatars sur cet échiquier gigantesque
est devenue nécessaire à une réflexion
anthropologique de fond sur une histoire
des démocraties dont les yeux se
seraient dessillés et qui se fonderait
sur une connaissance iconoclaste au
besoin, de la psychobiologie des peuples
de l'Antiquité à nos jours.
C'est dire que si
votre parti, tout récemment rebaptisé "Les
Républicains", ne se dotait pas de
l'assiette d'une intelligence
prospective de l'histoire du cerveau de
la France et d'une interprétation
résolument anthropologique du destin
cérébral de notre nation sur la scène
internationale, vous manqueriez d'un
discours philosophique réellement
heuristique et qui nous expliquerait
clairement les relations ambigües, donc
faussées, que l'Europe actuelle
entretient avec la Russie et avec
l'Amérique.
Il nous faut donc
tenter de conquérir une connaissance
rationnelle des vrais enjeux de la
géopolitique de notre temps, donc nous
armer d'une analyse des fondements
psychogénétiques qui sous-tendent les
empires d'un XXIe siècle redevenu
parareligieux. Alors seulement, le parti
des "Républicains" deviendrait,
aux yeux des historiens de la vie
mythologique des peuples, le premier
parti qui aurait compris le véritable
sens du mot République,
c'est-à-dire de la double nature de la
cuirasse cérébrale et du rêve que ce
type d'Etat voudrait incarner.
3 - Une physique
de l'esprit
Je m'explique:
lorsque les rois de France ont tenté de
faire valoir les droits concrets
attachés aux Etats immergés dans le
temporel, alors que le Vatican était
tenu pour le seul garant des esprits
célestifiés dès le berceau, les
monarchies ne pouvaient se permettre de
contester la légitimité absolue, donc
exclusive, de l'interprétation
cosmologique de l'univers que l'Eglise
présentait depuis des siècles à un genre
humain demeuré dans les langes. La
conscience morale était encore
viscéralement religieuse et seul le
sacré portait la tiare d'une
universalité légitimée. L'humanité tout
entière se trouvait donc conduite d'une
main ferme à goûter sur cette terre les
prémices des bienfaits de l'immortalité
future dont elle se couronnait d'avance.
Aussi l'Eglise se
définissait-elle comme le corps physique
- mais dûment substantifié à ce titre -
d'un Christ dont l'incarnation
présentait un sûr avant-goût des
félicités posthumes que le Créateur
réservait à notre espèce. Un homme-dieu
marchait à grands pas dans l'histoire du
monde, celle qui se révélait vérifiable
la plume à la main. C'est pourquoi Louis
XIV et Louis XV ont emprunté le seul
chemin demeuré ouvert à une politique
séculière, celle d'un gallicanisme
rattaché à la théologie physiciste des
chrétiens : les rois de France se
trouveraient validés à leur tour par les
enjambées du ciel de l'endroit, donc par
la volonté expresse du géniteur du
cosmos de guider sa créature parmi les
récifs du temporel.
Il s'agissait donc
seulement d'accorder entre elles deux
sacralités concomitantes et proclamées
étroitement solidaires. Aussi Bossuet
prêchait-il que, depuis Clovis, la
divinité avait prévu le règne de nos
dynasties conjointes, complémentaires et
qui se succèderaient selon un plan
concerté du démiurge: il fallait veiller
à la continuité effective et de
génération en génération des rois
numérisés de là-haut. L'Eglise, la
royauté et toute la noblesse se
partageaient le sang bleu et lisaient
ensemble le livre de bord du fils de
Dieu en personne.
4 - La politique
du langage et la psychophysiologie de
l'histoire du monde
Au G7 d'Elmau, la
Chancelière Angela Merkel, fille d'un
pasteur luthérien, avait tenté
d'emprunter la voie du sacré chrétien le
plus classique, celui dont elle était
censée partager la stratégie avec le
nouveau maître de la conscience
universelle, le Président des Etats-Unis
d'Amérique. Il était incontestable,
disait-elle, que l'empire américain
exerçait désormais une hégémonie
spirituelle mondiale et que, par
conséquent Washington fît légitimement
régner son aristocratie parareligieuse
sur toute la terre habitée - et cela au
nom du salut planétarisé dont les grâces
démocratiques allaient combler le monde
moderne à perpétuité. Seul le mythe de
la Liberté démocratique
véhiculait la parole de l'éternité et le
sceptre nouveau du salut et de la
délivrance d'ici bas.
A ce titre, il
était immanquable que le G7 fût réservé
aux sept apôtres principaux de la
démocratie mondiale des élus. La foi
se trouvait unifiée à l'école d'une
orthodoxie, et le cénacle des
infaillibles vouait aux gémonies une
Russie proclamée coupable d'une hérésie
pécheresse, donc frappée d'une
malédiction doctrinale évidente aux yeux
du nouveau tribunal de Dieu. Moscou
avait profané les saintes hosties d'une
vérité évangélico-démocratique
placée sous les ordres d'un Vatican plus
inspiré d'en-haut que jamais - celui
d'une Liberté désormais mise en
scène par le seul mythe démocratique.
Dans ces
conditions, comment défendre le
gallicanisme européen, sinon par le
biais de la validation du monopole de la
théologie de la damnation et du rachat
contemporains? Il fallait tenter de
défendre les droits propres d'une
nouvelle Rome, celle d'un univers placé
à jamais sous la férule exclusive d'une
démocratie mondialisée et s'efforcer de
bâtir sur les cinq continents les
Eglises d'un régime politique idéalisé,
donc censé être devenu intemporel
précisément à ce titre - donc assermenté
pour la glorification de son concept.
Mais comment faire régner cette hostie
vocalisée au bénéfice solitaire de
Washington? La Liberté démocratique
serait déclarée commune à l'Europe et à
l'Amérique. Du coup, le Beau, le Bien et
le Juste reposeraient sur les fonts
baptismaux de l'homme sacralisé à
l'écoute des avocats de l'universaliuté
de l'empire américain.
5 - Le roi et ses
courtisans
Pourquoi le
solipsisme démocratique était-il
nécessairement voué à l'échec politique?
Parce qu'il se révèlera bien incapable
de jamais théologiser, donc de jamais
cadenasser d'une orthodoxie définitive,
une présence physique passagère,
c'est-à-dire vassalisatrice par nature
et par définition - et cela soixante-dix
ans après 1945 - la présence, dis-je, de
cinq cents bases militaires américaines
armées jusqu'à la gueule sur tout le
territoire de l'Europe. Le manichéisme
d'un continent asservi à un maître
étranger et réduit à tolérer
l'implantation sur son sol d'un
conquérant en armes ne répond que
partiellement au modèle d'esclavage par
la sanctification des esclaves dont Rome
elle-même ne pouvait se réclamer que
partiellement - le modèle de l'autorité
qui permettait au Saint Siège de
désigner solitairement ses serviteurs
les plus expérimentés, donc ses
hommes-liges les plus dévoués et de les
placer souverainement à la tête de tous
les diocèses du monde contrecarrait les
rois du temporel.
L'Eglise régnait
par l'interposition de son corps
sacerdotal assermenté, qu'elle glissait
ouvertement entre les souverains les
plus puissants du temporel et leurs
peuples convertis à les adorer dans
l'humilité. L'Amérique, elle, n'a pas
d'autre Eglise à mettre exclusivement à
son service que celle de ses "jeunes
chefs", dont elle introduit le
coin en Europe; mais ce clergé demeure
vacillant, parce qu'il est jugé traître
aux patries et se démasque fatalement à
ce titre.
Comment se donner
des allures de maître de maison quand la
presse peut écrire: "Le sommet du G7
avait à peine commencé que déjà Barack
Obama livrait les grandes lignes du
communiqué final. Il nous donnait le
format réel du raout bavarois. Il
passait du G7 au G1. Les six autres
États ne bénéficiaient que de
strapontins à la table du patron. Les
six eurent droit à la même suffisance
d'un golfeur parvenu à l'endroit de son
caddy."
Comment jouer du
moins les commensaux respectueux quand
la presse peut écrire: "En 1975,
Giscard d'Estaing concevait le G6 comme
un espace de discussions franches, sans
protocole et en toute décontraction.
Avec la sortie de la Russie du G8, seule
nation à s'opposer, le format a été
réduit à celui du G1 avec six auditeurs
attentifs. Nous ne sommes plus dans la
discussion, mais dans la prise de notes
sous la dictée d'Obama."
Comment ne pas se
révéler seulement le majordome de la
cérémonie quand la presse peut écrire: "Négligeant
le tort causé par les sanctions à
l'Europe, le président des USA, moderne
docteur Diafoirus, a su rester ferme.
Peu importe les conséquences des
saignées ou des purges, celles-ci
doivent être faites. Si l'Europe en
crève, ce ne sera pas de la faute du
médecin, mais de celle du manque de
rigueur dans l'application des
traitements. Les sanctions russes, c'est
dur pour vous, mais c'est pour votre
bien futur, et surtout pour le mien
présent." (Ronald Zonca,
La Russie et la triste farce des
sanctions )
6 - L'Europe, la
France et la raison politique mondiale
C'est sans
seulement s'en douter que Mme Merkel
s'est livrée à Elmau au jeu suicidaire
de ce double attelage des esprits et des
corps. Elle ne savait pas, semble-t-il,
ce que tout le monde voyait clair comme
le jour, à savoir que si elle feignait
d'ignorer la présence perpétuelle de
deux cents camps militaires américains
armés jusqu'aux dents sur le territoire
de son pays et si elle proclamait
démocratique, donc séraphique,
l'occupation militaire aussi résolue
qu'inexorable de sa patrie, c'était
seulement en vertu, si je puis dire,
d'une soumission constitutionnalisée et
qui ne saurait cacher éternellement son
illégitimité viscérale sous le masque de
l'évangélisme pseudo démocratique des
modernes. Mettez le mythe de la Liberté
entre les mains d'un maître, ce dernier
ne se donnera jamais que des serviteurs
de sa propre couronne.
C'est pourquoi, M.
le Député, si votre parti perdait le
courage d'observer la déchirure qui
crève les yeux entre l'étoffe
théologique de la sainteté démocratique,
d'un côté et l'histoire du monde réel de
l'autre, votre gallicanisme amputé de sa
logique vous réduirait de force à
assumer la contradiction radicale de
légitimer la présence en Europe - et à
titre perpétuel - de troupes américaines
de Ramstein à Syracuse et de Naples au
Kosovo. Mais vous ne parviendriez pas à
faire triompher à l'école de son propre
Verbe une stratégie de l'asservissement
pseudo-démocratisé et en acier trempé -
et cela, parce qu'il s'agit du même
défaussement théologique, donc du même
alibi de la piété qui permettait à Rome
de valider son occupation du monde à
titre constitutionnel. Comment légitimer
par ce type de défaussement sacerdotal
la présence physico-spirituelle d'une
puissance étrangère dans notre jardin?
Vous savez que le
traité de Lisbonne vous commandera
fatalement et très bientôt de donner
vigoureusement rendez-vous à la France
souveraine et de l'apostropher en ces
termes: "Qu'en est-il de la
culpabilité de toute la classe politique
européenne?" M. le député de la
nation, c'est la crainte du futur
verdict de la Haute Cour de Justice qui
effraie d'ores et déjà, mais encore en
secret, les dirigeants des platebandes
de la gauche et de la droite françaises
: la crainte, dis-je, de voir soulevée
par un peuple proclamé souverain la
question qui a conduit à la
vassalisation subreptice de l'Europe et
à la trahison de ses élites par le biais
de ses Constitutions elles-mêmes - car
seul ce coup de force a permis de violer
l'âme et l'esprit de leur Constitution.
7 - Une solitude
entre chien et loup
Mais, me
direz-vous, depuis 1966, la France n'est
plus occupée par les forces armées d'un
empire étranger. Certes, elle a ratifié
l'asservissement constitutionnel de
toute l'Europe des nations à l'ange
Gabriel de la démocratie mondiale, mais
seulement sur le papier; car elle s'est
bien gardée de s'appliquer physiquement
ce garrot. La "spiritualité
démocratique" de la France ne repose que
sur le Verbe séraphique de la Liberté,
et demeure toute sacramentelle. Il
n'appartient qu'aux Etats immergés dans
le temporel de se partager cinq cents
bases bien réelles de l'étranger sur
leur territoire.
M. le Député,
ruez-vous dans la brèche immense ouverte
entre le réel et le vaporeux, armez la
République souveraine d'une critique du
sacré de type démocratique - sinon, vous
n'aurez pas de géopolitique des
vassalisations auréolées par leur
langage et vous n'accèderez pas à une
connaissance pensante du fondement
psychogénétique de la souveraineté des
nations vaincues. Qu'en est-il du faux
ciel des peuples terrassés par leurs
idéalités?
Alors, le parti des
"Républicains" et votre propre
parti passeront seulement, aux yeux des
historiens du cerveau des civilisations,
pour un symbole du naufrage de la
lucidité politique de toute l'Europe
d'aujourd'hui. Evitez la pusillanimité
intellectuelle des décadences. Si cette
civilisation décérébrée devait son
sauvetage politique au courage propre à
la philosophie et à elle seule, donc au
cerveau cartésien de la France, quel
gage de notre résurrection que votre
solitude de précurseur de la liberté
d'un continent!
Vous savez, M. le
Député, que la parole de vérité est
rarement pesée sur la balance de la
pensée, mais seulement déposée sur les
plateaux de la politique. Il est donc
nécessaire que l'homme d'action ait les
coudées suffisamment franches pour se
désengluer des soucis de carrière qui
s'attachent à sa vocation propre,
nécessaire, dis-je, qu'il consacre le
temps indispensable à l'accomplissement
de son vrai devoir, celui de peser le
vrai et le faux à l'écoute des verdicts
de la raison.
Vous avez atteint à
la fois l'âge de la seule liberté
souveraine, celle de la réflexion et
celui de la maturité dans l'action.
Celle-ci exige l'introduction, loin des
feux dévorants de l'actualité, d'une
véritable anthropologie critique - et
cela aussi bien à l'usage de la science
historique d'aujourd'hui qu'à celui de
la géopolitique. Ce sera l'objet de ma
lettre ouverte de la semaine prochaine.
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