L'art de la guerre
Stratégies USA
et coûts pour nous
dans la guerre des
gazoducs
Manlio Dinucci
© Manlio
Dinucci - Capture
d'écran PalSol
Dimanche 22 décembre 2019
Alors qu’ils
se battent dans un dur affrontement sur
l’impeachment du président Trump,
Républicains et Démocrates déposent les
armes pour voter au Sénat presque à
l’unanimité l’imposition de lourdes
sanctions contre les sociétés
participant à la réalisation du North
Stream 2, le redoublement du gazoduc qui
à travers la Baltique apporte le gaz
russe en Allemagne. Sont touchées les
sociétés européennes qui participent au
projet de 11 milliards de dollars,
désormais réalisé presque à 80%, avec la
société russe Gazprom : l’autrichienne
Omy, la britannique-hollandaise Royal
Dutch Shell, la française Engie, les
allemandes Uniper et Wintershall,
l’italienne Saipem et la suisse Allseas
qui prennent part à la pose des
conduites.
Le redoublement du North Stream augmente la dépendance de l’Europe
au gaz russe, avertissent les
États-Unis. Ils sont surtout préoccupés
par le fait que le gazoduc -en
traversant la Mer Baltique dans des eaux
russes, finlandaises, suédoises et
allemandes- contourne les Pays de
Visegard (République Tchèque, Slovaquie,
Pologne, Hongrie), les États Baltes et
l’Ukraine, c’est-à-dire les pays
européens les plus liés à Washington par
l’OTAN (auxquels s’ajoute l’Italie).
La mise pour les États-Unis, plus qu’économique, est stratégique. Ce que
confirme le fait que les sanctions sur
le North Stream 2 font partie du
National Defense Authorization Act,
l’acte législatif qui pour l’année
fiscale 2020 fournit au Pentagone, pour
de nouvelles guerres et nouvelles armes
(y compris spatiales), le colossal
chiffre de 738 milliards de dollars,
auquel s’ajoutent d’autres postes
portant la dépense militaire étasunienne
à environ 1.000 milliards de dollars.
Les sanctions économiques sur le North
Stream 2 s’insèrent dans l’escalade
politico-militaire contre la Russie.
Une confirmation ultérieure se trouve dans le fait que le Congrès USA a
établi des sanctions non seulement
contre le North Stream 2 mais aussi
contre le TurkStream qui, en phase
finale de réalisation, va apporter le
gaz russe à travers la Mer Noire
jusqu’en Thrace orientale, la petite
partie européenne de la Turquie. De là,
par un autre gazoduc, le gaz russe
devrait arriver en Bulgarie, Serbie et
autres pays européens. C’est la riposte
russe au coup porté par les États-Unis,
qui en 2014 réussirent à bloquer le
gazoduc South Stream. Celui-ci aurait dû
relier la Russie à l’Italie à travers la
Mer Noire et par la terre jusqu’à
Tarvisio (Udine). L’Italie serait ainsi
devenue une plate-forme d’aiguillage du
gaz en Ue, avec de notables avantages
économiques. L’administration Obama
réussit à faire échouer le projet, avec
la collaboration de l’Union européenne
même.
La société Saipem (Groupe italien Eni), touchée à nouveau par les
sanctions étasuniennes sur le North
Stream 2, fut déjà lourdement touchée
par le blocage du South Stream : elle
perdit en 2014 des contrats d’une valeur
de 2,4 milliards d’euros, auxquels se
seraient ajoutés d’autres contrats si le
projet avait continué. Mais personne à
l’époque, ni en Italie ni dans l’Ue, ne
protesta contre l’enterrement du projet
opéré par les États-Unis. Maintenant que
sont eu jeu les intérêts allemands,
s’élèvent en Allemagne et dans l’Ue des
voix critiques sur les sanctions USA
contre le North Stream 2.
On ne dit rien par contre sur le fait que l’Union européenne s’est
engagée à importer des USA du gaz
naturel liquéfié (Gnl), extrait de
schistes bitumineux par la destructrice
technique de fracturation hydraulique.
Washington, pour frapper la Russie,
essaie de réduire son exportation de gaz
en Ue, faisant payer les coûts aux
consommateurs européens. Depuis que le
président Trump et le président de la
Commission Européenne Juncker ont signé
à Washington en juillet 2018 la
“Déclaration conjointe sur la
coopération stratégique USA-Ue y compris
le secteur énergétique”, l’Ue a doublé
l’importation de Gnl des USA,
co-finançant les infrastructures avec
une dépense spéciale initiale de 656
millions d’euros. Cela n’a cependant pas
sauvé les sociétés européennes des
sanctions USA.
Édition de
dimanche 22 décembre 2019 de il
manifesto
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