L'art de la guerre
Les euromissiles nucléaires reviennent
Manlio Dinucci

Manlio
Dinucci - DR
Mardi 17 novembre 2020
Quand, il y a plus
de cinq ans, nous avions titré sur il
manifesto (9 juin 2015) “Les
missiles reviennent-ils à Comiso ?”,
cette hypothèse fut ignorée par
l’ensemble de l’arc politique et
liquidée par quelque soi-disant expert
comme “alarmiste”. L’alarme,
malheureusement, était fondée.
Il y a
quelques jours, le 6 novembre, la
société Lockheed Martin (celle-là même
qui produit les F-35) a signé un premier
contrat de 340 millions de dollars avec
l’US Army pour la production de missiles
à portée intermédiaire, y compris à tête
nucléaire, projetés pour être installés
en Europe. Les missiles de cette
catégorie (avec base au sol et portée
entre 500 et 5.500 km) avaient été
interdits par le Traité FNI, signé en
1987 par les présidents Gorbatchev et
Reagan : il avait éliminé les missiles
balistiques nucléaires Pershing 2,
déployés par les États-Unis en Allemagne
de l’Ouest, et les missiles nucléaires
de croisière Tomahawk, déployés par les
États-Unis en Italie (Comiso),
Grande-Bretagne, Allemagne de l’Ouest,
Belgique et Pays-Bas, et en même temps
les missiles balistiques SS-20 déployés
par l’Union Soviétique sur son
territoire.
En 2014,
l’administration Obama accusait la
Russie, sans aucune preuve, d’avoir
expérimenté un missile de croisière
(sigle 9M729) de la catégorie interdite
par le Traité et, en 2015, annonçait :
“face à la violation du Traité FNI par
la Russie, les États-Unis sont en train
de considérer le déploiement en Europe
de missiles avec base au sol”. Le témoin
est ensuite passé à l’administration
Trump, qui en 2019 a décidé le retrait
des États-Unis du Traité FNI, en
accusant la Russie de l’avoir
“délibérément violé”.
Après quelques essais de missiles, Lockheed Martin a été chargée de
réaliser un missile de croisière dérivé
du Tomahawk et un balistique dérivé du
SM-6 de Raytheon. Selon le contrat, les
deux missiles seront opérationnels en
2023 : donc prêts d’ici deux ans à être
installés en Europe. On gardera à
l’esprit le facteur géographique : alors
qu’un missile balistique nucléaire USA à
portée intermédiaire, lancé depuis
l’Europe, peut frapper Moscou en
quelques minutes, un missile analogue
lancé depuis la Russie peut frapper les
capitales européennes, mais pas
Washington. Si l’on inverse le scénario,
c’est comme si la Russie déployait des
missiles nucléaires à portée
intermédiaire au Mexique. On gardera en
outre à l’esprit que le SM-6, précise
Raytheon, concentre la fonction de
“trois missiles en un” : anti-aérien,
anti-missile et d’attaque. Le missile
nucléaire dérivé du SM-6 pourra donc
être utilisé depuis les navires et
installations terrestres du “bouclier”
USA en Europe dont les tubes de
lancement, précise Lockheed Martin,
peuvent lancer “des missiles pour toutes
les missions”.
Dans une
déclaration du 26 octobre 2020, le
président Poutine réaffirme la validité
du Traité FNI, qualifiant de “grave
erreur” le retrait étasunien, et
l’engagement de la Russie à ne pas
déployer des missiles analogues tant que
les USA ne déploieront pas les leurs au
bord de son territoire. Il propose
ensuite aux pays OTAN un “moratoire
réciproque” et des “mesures réciproques
de vérification”, c’est-à-dire des
inspections dans les installations
réciproques de missiles. La proposition
russe a été ignorée par l’OTAN. Son
secrétaire général Jens Stoltenberg a
réaffirmé, le 10 novembre, que “dans un
monde aussi incertain, les armes
nucléaires continuent à jouer un rôle
vital dans la préservation la paix”.
Aucune voix
ne s’est élevée des gouvernements et
parlements européens, bien que l’Europe
risque de se trouver en première ligne
dans une confrontation nucléaire
analogue ou plus dangereuse que celle de
la guerre froide. Mais il ne s’agit pas
là de la menace du Covid, donc on n’en
parle pas.
L’Union
Européenne, dont 21 des 27 membres font
partie de l’OTAN, s’est déjà fait
entendre quand, en 2018, elle a rejeté,
aux Nations Unies, la résolution
présentée par la Russie sur la
“Préservation et respect du Traité sur
les forces nucléaires à portée
intermédiaire”, donnant son feu vert à
l’installation de nouveaux missiles
nucléaires USA en Europe.
Est-ce que
quelque chose changera quand Joe Biden
se sera installé à la Maison Blanche ?
Ou bien, après que le démocrate Obama a
ouvert la nouvelle confrontation
nucléaire avec la Russie et le
républicain Trump l’a aggravée en
déchirant le Traité FNI, le démocrate
Biden (ancien vice-président d’Obama)
signera-t-il l’installation des nouveaux
missiles nucléaires USA en Europe ?
Édition de mardi 17
novembre 2020 d’il manifesto
https://ilmanifesto.it/ritornano-gli-euromissili-nucleari/
Traduit de
l’italien par M-A P
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