L'art de la guerre
Opération Isis, objectif Chine
Manlio Dinucci
Photo:
D.R.
Mardi 16 septembre 2014
Tandis que l’Isis diffuse à travers les
complaisants réseaux médiatiques
mondiaux les images de la troisième
décapitation d’un citoyen occidental,
sonne une autre sirène d’alarme : après
s’être diffusé en Syrie et en Irak,
l’Isis est en train de pénétrer dans le
Sud-Est asiatique. C’est ce que
communique la société Muir Analytics,
qui fournit aux multinationales de
« l’intelligence contre terrorisme,
violence politique et insurrection »,
faisant partie des « auxiliaires » » de
la Cia en Virginie,
souvent utilisée par la maison mère pour
répandre des « informations » utiles à
ses opérations.
Un domaine dans lequel la Cia a une solide expérience.
Pendant les administrations Carter et
Reagan elle finança et entraîna, à
travers les services secrets
pakistanais, environ 100mille
moudjahiddines pour combattre les forces
soviétiques en Afghanistan. Opération à
laquelle participa un riche saoudien,
Oussama Ben Laden, arrivé en Afghanistan
en 1980 avec des milliers de combattants
recrutés dans son pays et de gros
financements. La guerre de 1989 finie,
avec le retrait des troupes soviétiques
et l’occupation de Kaboul en 1992 par
les moudjahiddines, dont les factions
étaient déjà en lutte entre elles,
naquit en 1994 l’organisation des
talibans endoctrinés, entraînés et armés
au Pakistan pour conquérir le pouvoir en
Afghanistan, par une opération
tacitement approuvée par Washington. En
1998, dans une interview au Nouvel
Observateur, Brzezinski, ancien
conseiller pour la sécurité nationale
étasunienne, expliqua que le président
Carter avait signé la directive pour la
formation des moudjahiddines non pas
après mais avant l’invasion soviétique
de l’Afghanistan pour « attirer les
Russes dans le piège afghan ». Quand
dans l’interview on lui demanda s’il
n’avait pas regretté cela, il répondit :
« Qu’est-ce qui était le plus important
pour l’histoire du monde ? Les talibans
ou l’effondrement de l’empire
soviétique ? »
Il n’y aurait donc pas à
s’étonner qu’à l’avenir quelque ex
conseiller d’Obama admît, les choses
faites, ce dont on a dès aujourd’hui les
preuves : à savoir que ce sont les
Etats-Unis qui ont favorisé la naissance
de l’Isis, sur un terrain social rendu
« fertile » par leurs guerres, pour
lancer la stratégie dont le premier
objectif est la démolition complète de la Syrie, jusqu’à présent
empêchée par la médiation russe en
échange du désarmement chimique de
Damas, et la réoccupation de l’Irak qui
était en train de se détacher de
Washington en se rapprochant de Pékin et
Moscou. Le pacte de non-agression en
Syrie entre Isis et « rebelles modérés »
sert cette stratégie (voir dans
l’article de il manifesto du 10
septembre la photo de la rencontre, en
mai 2013, du sénateur étasunien McCain
avec le chef de l’Isis faisant partie de
l’ « Armée Syrienne Libre »[1]).
Dans ce contexte, l’alarme sur la
pénétration de l’Isis aux Philippines,
en Indonésie, Malaisie et quelques
autres pays aux abords de
la Chine
–lancée par
la Cia
par l’intermédiaire d’une société de
complaisance- sert à justifier la
stratégie déjà en acte, qui voit les USA
et leurs principaux alliés concentrer
des forces militaires dans la région
Asie/Pacifique. Là où, prévenait le
Pentagone en 2001, « existe la
possibilité qu’émerge un rival militaire
avec une formidable base de ressources,
avec des capacités suffisant à menacer
la stabilité d’une région cruciale pour
les intérêts étasuniens ».
La « prophétie » s’est avérée,
mais avec une variante.
La Chine est
aujourd’hui redoutée à Washington non
pas tellement comme puissance militaire
(même si elle n’est pas négligeable),
mais surtout comme puissance économique
(au renforcement de laquelle contribuent
y compris les multinationales
étasuniennes en fabriquant beaucoup de
leurs produits en Chine).
La Chine
devient plus redoutable encore pour les
USA à la suite d’une série d’accords
économiques avec
la Russie, qui rendent
vaines les sanctions occidentales contre
Moscou, et avec l’Iran (toujours dans le
viseur de Washington), important
fournisseur pétrolifère de
la Chine. Il
existe en outre des signaux indiquant
que
la Chine
et l’Iran soient disponibles au projet
russe de dédollarisation des échanges
commerciaux, qui infligerait un coup
mortel à la suprématie étasunienne.
D’où
la stratégie annoncée par le président
Obama, fondée sur le principe (expliqué
par le New York Times) qu’en
Asie, « la puissance américaine doit
poursuivre ses intérêts économiques ».
Les intérêts étasuniens que suivra
l’Italie en participant à la coalition
internationale sous conduite USA
« contre l’Isis ».
Edition de mardi 16 septembre 2014 de
il manifesto
http://ilmanifesto.info/operazione-isis-lobiettivo-e-la-cina/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
Note de la traductrice pour la version
française :
La France
a effectué au-dessus de l'Irak, le 15
septembre 2014, un "premier vol de
reconnaissance aérienne" pour
une « mission d’ISR (Intelligence
Surveillance and Reconnaissance) [en
anglais dans le texte] (…). Deux avions
Rafale de l’armée de l’Air ont décollé
de la base aérienne française 104
d’Al Dhafra, aux Emirats arabes unis
(...) Il s’agit pour les armées
françaises d’acquérir du renseignement
sur le groupe terroriste Daesh et
renforcer notre capacité d’appréciation
autonome de la situation. (...)
Les forces françaises aux Emirats arabes
unis (FFEAU) participent au dispositif
des forces de présence des armées
françaises. Elles sont constituées d’un
état-major de niveau opératif, de la
base navale d’Abu Dhabi, de la base
aérienne 104 d’Al Dhafra et de la 13e
DBLE. Les FFEAU assurent une présence
permanente aux EAU dans le cadre des
accords de défense et animent les
relations bilatérales de défense de la France avec ses partenaires régionaux.
Elles ont également pour mission de
soutenir les moyens militaires déployés
dans le golfe arabo-persique et le nord
de l’Océan Indien (…). »
http://www.defense.gouv.fr/operations/actualites/irak-premier-vol-de-reconnaissance-aerienne-actualise
Carte des Forces françaises
prépositionnées (environ 11600
militaires début 2014) :
http://www.defense.gouv.fr/ema/rubriques-complementaires/carte-des-forces-prepositionnees.
Le coût des missions de « renforcement
de [nos] capacités d’appréciation
autonome » n’est pas renseigné sur le
site du Ministère de la défense.
(Italiques m-a p, dans les citations).
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