L'art de la guerre
Renzi sur le drone de l'émir
Manlio Dinucci
Mardi 11 novembre 2014
« C’est l’avenir », a annoncé fièrement
le Premier ministre Renzi, en inaugurant
avec la ministre de la Défense Pinotti le
nouvel établissement de Piaggio
Aerospace à Villanova d’Albenga
(Savone), définie par les dirigeants de
la société comme un centre d’excellence
qui permet de « garder le rôle de
global brand dans l’aviation
d’affaires en acquérant en parallèle
celui de player mondial dans le
secteur de la défense ». En d’autres
termes, à la production d’avions de luxe
pour super-riches et hommes d’affaires
de multinationales, Piaggio Aerospace
(nouvelle appellation de Piaggio Aereo)
unit celle de vélivoles militaires,
comme le patrouilleur multifonctions
Patrole Aircraft et le vélivole à
pilotage éloigné P.1HH HammerHead. C’est
sur ce dernier que mise la société pour
s’affirmer dans le secteur militaire. Il
s’agit d’un drone (vélivole sans pilote)
de nouvelle génération, projeté pour une
vaste gamme de missions. Avec une
longueur et une envergure d’ailes
d’environ 15 mètres, et un poids
maximum au décollage de plus de 6
tonnes, le vélivole peut voler plus de
15 heures avec un rayon d’action de 8000 Km, en manoeuvrant soit en mode automatique
soit piloté depuis une station
terrestre. Avec ses senseurs
sophistiqués il peut repérer l’objectif,
même en mouvement, et fournir les
coordonnées pour l’attaque aérienne ou
terrestre, ou le toucher directement
avec des missiles et des bombes à
guidage de précision. C’est donc un
système d’arme conçu pour les guerres
d’agression dans des aires géographiques
éloignées. Ainsi l’Italie « se
débarrasse de la moisissure »
(littéralement, NdT), a déclaré
Renzi dans son discours à l’usine de
Piaggio Aerospace, où à côté du podium
trônait un modèle du nouveau drone, en
entendant certainement par
« moisissure » l’Article 11 de la Constitution sur la
répudiation de la guerre. L’histoire de
Piaggio Aerospace est « une histoire à
raconter », a ajouté Renzi, car c’est
une société qui semblait finie mais qui
est repartie. La façon dont elle l’a
fait se comprend par la composition de
son capital social : il est détenu à
98,05% par Mubadala Development Company,
compagnie de l’émirat d’Abu Dhabi
présidée par Son Altesse le cheikh
Mohamed Bin Zayed Al Nahyan, prince
héritier d’Abu Dhabi et vice commandant
suprême des Forces armées. Les 1,95%
restants appartiennent à l’ing. Piero
Ferrari (fils de Enzo, le fondateur de la Scuderia de Maranello,
siège de la firme), passé des voitures
de course aux avions de guerre : c’est
sous sa présidence de 1998 à 2014 que
Piaggio Aereo, aujourd’hui Piaggio
Aerospace, est entrée dans le secteur
militaire. Ainsi la société que Renzi
indique à l’Italie comme
éclatant exemple à suivre n’est
plus italienne, mais appartient
quasiment entièrement à la famille de
l’émir d’Abu Dhabi, le pus grand des
sept Emirats arabes unis. « Notre
relation d’amitié avec les Emirats
arabes unis -a souligné Renzi dans son
discours- ne naît pas simplement du fait
que Mubadala est dans le capital de
Piaggio ou que Ethiad
(autre compagnie des Emirats) est
dans le capital d’Alitalia, mais naît
d’une profonde idée de partage
politique ». Personne n’en doute : les
émirats, comme l’Italie, sont très liés
aux Etats-Unis et à leur réseau de bases
militaires. De ce fait, à Washington et
par conséquent à Rome, on passe sous
silence le fait -documenté par le
Rapport 2014 de Human Rights Watch-
qu’à Abu Dhabi et dans les autres
émirats le pouvoir est concentré par
voie héréditaire dans les mains des
familles régnantes, et que les partis et
syndicats sont considérés comme
illégaux, les dissidents emprisonnés et
torturés, et les immigrés (qui
constituent 88,5% des habitants) réduits
en esclavage.
Est-ce, pour l’Italie aussi,
l’ « avenir » dont parle Renzi ?
Edition de mardi 11 novembre 2014 de
il manifesto
http://ilmanifesto.info/renzi-sul-drone-dellemiro/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
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