L'art de la guerre
L'arme géopolitique du pétrole
Manlio Dinucci
Photo:
D.R.
Mardi 6 janvier 2015
Alors que l’écroulement du prix du
pétrole envoie dans les cordes la Russie qui, déjà en crise à
cause des sanctions USA/Ue, voit se
restreindre les débouchés de ses
exportations énergétiques, les
Etats-Unis sont en train de devenir le
plus grand producteur mondial de brut, à
la place de l’Arabie saoudite, et seront
bientôt non seulement autosuffisants
mais en mesure de fournir à l’Union
européenne du pétrole et du gaz en
abondance et bon marché. Telle est la
narration diffusée par les médias.
Essayons de la récrire sur une base
réelle, en partant de l’interrogation :
pourquoi le prix du pétrole chute-t-il ?
La
chute est due non seulement à des
facteurs économiques, comme le
ralentissement de la demande mondiale,
mais à des facteurs géopolitiques. Avant
tout la décision de l’Arabie Saoudite,
plus grand exportateur pétrolier mondial
devant la Russie, de maintenir haute
la production pour que, l'offre se
développant, diminue le prix du brut.
Quel intérêt l’Arabie Saoudite a-t-elle
à effectuer cette manœuvre, qui risque
de réduire ses propres entrées
pétrolifères ? Celui de frapper d’autres
pays exportateurs de pétrole, surtout
la Russie, l’Iran et le
Venezuela.
Riad peut se permettre une telle manœuvre parce que les coûts
d’extraction du brut saoudien sont parmi
les plus bas du monde, 5-6 dollars le
baril, alors qu’extraire un baril de
pétrole en Mer du Nord, par exemple,
coûte plus de 26 dollars. L’idée que la
manœuvre de Riad soit dirigée contre les
USA, où a commencé le boom du pétrole de
schiste, n’est pas fondée. A la fois
parce que les USA continuent à importer
du pétrole saoudien, dont la qualité est
adaptée à leurs raffineries, alors que
le pétrole de schiste va remplacer celui
qui était auparavant importé de Nigéria,
Angola et Algérie. Et parce que la
manœuvre sur le pétrole a été établie
dans un accord entre Washington et Riad
sur la base de la stratégie visant avant
tout à affaiblir et isoler la Russie. Dans ce
contexte s’insère le boom du pétrole et
du gaz extrait, aux USA, des schistes
bitumineux par la technique de
fracturation hydraulique, c’est-à-dire
le broyage des roches dans des strates
profondes par de l’eau sous pression
contenant des substances chimiques.
Cette technique est très coûteuse :
selon l’Agence internationale pour
l’énergie, extraire du pétrole des
schistes coûte 50-100 dollars le baril,
par rapport aux 10 dollars le baril du
pétrole moyen-oriental. Selon les
experts, l’extraction du gaz de schiste
est intéressante économiquement si le
prix international du pétrole reste au
dessus des 70 dollars le baril. Depuis
juin, au contraire, celui-ci est
descendu de 40%, à environ 60 dollars et
peut chuter ultérieurement.
Comment est-il possible alors que
le boom se poursuive ? Du fait qu’aux
USA l’Etat consacre des milliards de
dollars d’incitations à ce secteur, dans
lequel sont engagées généralement de
petites compagnies pétrolières. Il est
significatif que les plus grandes
compagnies y restent extérieures, y
compris parce que les gisements
exploités avec la technique de la
fracturation s’épuisent bien avant ceux
conventionnels. Il faut ensuite
considérer que cette technique provoque
des dégâts environnementaux très graves,
dont le coût retombe sur les
collectivités locales. Nombre d’entre
elles s’opposent, même si c’est avec de
maigres résultats, à l’utilisation de
leur territoire pour l’extraction du
pétrole et du gaz de schiste.
Le boom pétrolier USA est donc
poussé par des buts géopolitiques de
Washington : d’un côté frapper la Russie et d’autres pays, de
l’autre faire en sorte que les alliés
européens remplacent les fournitures
énergétiques russes par celles provenant
des USA. En réalité les USA, les plus
grands importateurs mondiaux de brut, ne
pourraient pas fournir à l’Europe leur
pétrole et leur gaz naturel dans les
quantités et dans les prix russes. Un
véritable bluff du « poker américain »
de la guerre.
Edition de mardi 6 janvier 2015 de il
manifesto
http://ilmanifesto.info/larma-geopolitica-del-petrolio/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
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