Le Saker
Où en est l’enquête de la Cour Pénale
Internationale
sur les crimes de guerre
en Palestine occupée ?
Romana Rubeo et
Ramzy Baroud
Mercredi 21 mai 2020 Par Romana Rubeo et
Ramzy Baroud − Le 18 mai 2020 − Source
Mint Press News
Fatou Bensouda,
procureure en chef de la Cour pénale
internationale (CPI), a, une fois pour
toutes, levé les doutes sur la
compétence de la Cour pour enquêter sur
les crimes de guerre commis en Palestine
occupée.
Le 30 avril,
Bensouda a publié
un document de 60 pages établissant
les bases juridiques de cette décision,
concluant que « l’accusation a
soigneusement examiné les observations
des participants et reste d’avis que la
Cour a compétence sur le territoire
palestinien occupé ».
L’explication
juridique de Bensouda est, en elle-même,
une
décision préventive, datant de
décembre 2019, car la Procureure de la
CPI a dû anticiper une résistance
orchestrée par Israël contre l’enquête
sur les crimes de guerre commis dans les
Territoires occupés.
Après des années de
marchandage, la CPI
avait décidé, en décembre 2019, qu’« il
y a une base raisonnable pour ouvrir une
enquête sur la situation en Palestine,
conformément à l’article 53(1) du
Statut ».
L’article 53,
paragraphe 1,
décrit simplement les étapes de la
procédure qui conduisent souvent, des
fois non, à une enquête de la Cour.
Cet article est mis
en oeuvre lorsque la quantité de preuves
fournies à la Cour est si convaincante
qu’elle ne laisse à la CPI d’autre choix
que de mener une enquête.
En effet, Bensouda
avait
déjà déclaré à la fin de l’année
dernière qu’elle était,
« convaincue que (i) des crimes de
guerre ont été ou sont en train d’être
commis en Cisjordanie, y compris à
Jérusalem-Est, et dans la bande de Gaza…
(ii) les cas potentiels découlant de la
situation seraient recevables ; et (iii)
il n’y a pas de raisons substantielles
de croire qu’une enquête ne servirait
pas les intérêts de la justice ».
Naturellement,
Israël et son principal allié
occidental, les États-Unis, sont en
colère. Israël n’a jamais été
tenu responsable par la communauté
internationale pour les crimes de guerre
et autres violations des droits de
l’homme en Palestine. La décision de la
CPI, surtout si l’enquête progresse,
constituerait un précédent historique.
Mais, que peuvent
faire Israël et les États-Unis quand
aucun des deux États n’est
membre de la CPI, n’ayant ainsi
aucune influence réelle sur les
procédures internes de la cour ? Il
fallait trouver une solution.
Par une ironie
historique, l’Allemagne, qui a dû
répondre de nombreux crimes de guerre
commis par le régime nazi pendant la
Seconde Guerre mondiale, est
intervenue pour être le principal
défenseur d’Israël à la CPI et pour
protéger les criminels de guerre
israéliens juridiquement et moralement
responsables.
Le 14 février,
l’Allemagne a
déposé une requête auprès de la CPI
pour demander le statut d’« amicus
curiae », c’est-à-dire d’« ami
de la cour ». En obtenant ce statut
spécial, l’Allemagne a pu présenter des
objections, en s’opposant à la décision
antérieure de la CPI au nom d’Israël.
L’Allemagne, entre
autres, a alors
fait valoir que la CPI n’avait pas
l’autorité légale pour discuter des
crimes de guerre israéliens dans les
territoires occupés. Mais ces efforts se
sont finalement avérés vains.
La balle est
maintenant dans le camp de la chambre
préliminaire de la CPI.
La chambre
préliminaire est composée de juges qui
autorisent l’ouverture d’enquêtes.
Habituellement, une fois que le
procureur décide d’ouvrir une enquête,
il doit informer la chambre préliminaire
de sa décision.
Selon
l’article 56(b) du Statut de Rome,
« … la Chambre préliminaire peut, à
la demande du Procureur, prendre les
mesures nécessaires pour assurer
l’efficacité et l’intégrité de la
procédure et, en particulier, pour
protéger les droits de la défense ».
Le fait que
l’affaire palestinienne ait pu avancer à
un tel point peut, et doit être
considéré, comme une victoire pour les
victimes palestiniennes de l’occupation
israélienne. Cependant, si l’enquête de
la CPI avance conformément au mandat
initial demandé par Bensouda, il restera
néanmoins des lacunes juridiques et
morales majeures qui frustrent ceux qui
défendent la justice au nom de la
Palestine.
Par exemple, les
représentants légaux des « victimes
palestiniennes résidant dans la bande de
Gaza » ont
exprimé leur inquiétude, au nom des
victimes, concernant « la portée
ostensiblement étroite de l’enquête sur
les crimes subis par les victimes
palestiniennes de cette situation ».
La « portée
étroite de l’enquête » a jusqu’à
présent exclu des crimes aussi graves
que des crimes contre l’humanité. Selon
l’équipe juridique de Gaza,
le meurtre de centaines et les
blessures de milliers de manifestants
non armés participant à la « Grande
Marche du Retour » est un crime
contre l’humanité qui doit également
faire l’objet d’une enquête.
La compétence de la
CPI va bien sûr au-delà de la décision
de Bensouda d’enquêter uniquement sur
les « crimes de guerre ».
L’article 5 du Statut de Rome – le
document fondateur de la CPI – étend la
compétence de la Cour pour enquêter sur
les « crimes graves » suivants :
a) Le crime de
génocide
b) Les crimes contre l’humanité
c) Les crimes de guerre
d) Le crime d’agression
Il n’est pas
surprenant qu’Israël soit qualifié pour
faire l’objet d’une enquête sur ces
quatre points et que la nature des
crimes israéliens contre les
Palestiniens ait souvent tendance à
constituer un mélange de deux ou
plusieurs de ces points.
L’ancien rapporteur
spécial des Nations unies sur les droits
de l’homme en Palestine (2008-2014), le
professeur Richard Falk,
écrivait en 2009, peu après une
guerre israélienne meurtrière dans la
bande de Gaza assiégée, que :
« Israël a lancé la
campagne de Gaza sans fondement
juridique adéquat ni cause juste, et a
été responsable de l’écrasante
proportion de dévastation et de
l’ensemble des souffrances des civils.
Le recours par Israël à une approche
militaire pour vaincre ou punir Gaza
était intrinsèquement « criminel » et,
en tant que tel, démontrait à la fois
des violations du droit de la guerre et
la perpétration de crimes contre
l’humanité ».
Falk a étendu son
argumentation juridique au-delà des
crimes de guerre et des crimes contre
l’humanité à une troisième catégorie.
« Il y a un autre élément qui renforce
l’allégation d’agression. La population
de Gaza était soumise à un blocus
punitif depuis 18 mois quand Israël a
lancé ses attaques ».
Qu’en est-il du
crime d’apartheid ? Entre-t-il dans le
cadre des définitions et de la
juridiction de la CPI ?
La Convention
internationale sur l’élimination et la
répression du crime d’apartheid de
novembre 1973
définit l’apartheid comme :
« un crime contre
l’humanité et des actes inhumains
résultant de politiques et pratiques
d’apartheid et de politiques et
pratiques similaires de ségrégation et
de discrimination raciales, telles que
définies à l’article II de la
Convention. Ce sont des crimes violant
les principes du droit international, en
particulier les buts et principes de la
Charte des Nations Unies, et constituant
une menace grave pour la paix et la
sécurité internationales ».
La Convention est entrée en vigueur
en juillet 1976, lorsque vingt pays
l’ont ratifiée. La plupart des
puissances occidentales, dont les
États-Unis et Israël, s’y étaient
opposées.
La définition de
l’apartheid, telle qu’elle est énoncée
dans la Convention, est particulièrement
importante : le crime d’apartheid a été
libéré du contexte limité de l’Afrique
du Sud et rendu applicable aux
politiques de discrimination raciale
dans tout État.
En juin 1977, le
Protocole additionnel 1 aux Conventions
de Genève
a désigné l’apartheid comme « une
violation grave du Protocole et un crime
de guerre ».
Il s’ensuit qu’il
existe des bases juridiques pour
soutenir que le crime d’apartheid peut
être considéré à la fois comme un crime
contre l’humanité et un crime de guerre.
L’ancien rapporteur
spécial des Nations unies sur les droits
de l’homme en Palestine (2000-2006), le
professeur John Dugard,
a déclaré cela peu après que la
Palestine a rejoint la CPI en 2015 :
« Pendant sept ans,
je me suis rendu dans le territoire
palestinien deux fois par an. J’ai
également mené une mission d’enquête
après l’opération « Plomb durci »
à Gaza en 2008, 2009. Je connais donc
bien la situation, et je connais bien la
situation de l’apartheid. J’étais avocat
des droits de l’homme en Afrique du Sud
au temps de l’apartheid. Et comme
pratiquement tous les Sud-Africains qui
se rendent dans les territoires occupés,
j’ai une terrible impression de déjà-vu.
Nous avons déjà vu tout cela avant, sauf
que c’est infiniment pire. Et ce qui
s’est passé en Cisjordanie, c’est que
cette entreprise de colonisation a
abouti à une situation qui ressemble
beaucoup à celle de l’apartheid, dans
laquelle les colons sont l’équivalent
des Sud-Africains blancs. Ils jouissent
de droits supérieurs à ceux des
Palestiniens, et ils oppriment
effectivement les Palestiniens. On a
donc bien un système d’apartheid dans le
territoire palestinien occupé. Et je
pourrais mentionner que l’apartheid est
également un crime relevant de la
compétence de la Cour pénale
internationale ».
Compte tenu du
nombre de résolutions de l’ONU qu’Israël
a violées au fil des ans – l’occupation
perpétuelle de la Palestine, le siège de
Gaza et le système élaboré d’apartheid
imposé aux Palestiniens par un vaste
conglomérat de lois racistes – dont le
point culminant est
la loi dite de l’État-nation de
juillet 2018 – déclarer Israël coupable
de crimes de guerre, entre autres
« crimes graves », devrait être une
affaire simple.
Mais la CPI n’est
pas qu’une institution juridique. C’est
aussi une institution politique qui est
soumise aux intérêts et aux caprices de
ses membres.
L’intervention de
l’Allemagne, au nom d’Israël, pour
dissuader la CPI d’enquêter sur les
crimes de guerre de Tel-Aviv en est un
exemple.
Le temps dira
jusqu’où la CPI est prête à aller avec
sa tentative sans précédent et
historique visant à enquêter enfin sur
les nombreux crimes qui ont été commis
en Palestine, sans limites, sans recours
et sans obligation de rendre des
comptes.
Pour le peuple
palestinien, il était temps que cette
justice longtemps refusée arrive.
Romana Rubeo et
Ramzy Baroud
Traduit par Wayan,
relu par Jj pour le Saker Francophone
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