La réponse russe à une double
déclaration de guerre
Le Saker
Jeudi 9 octobre 2014
Le
contexte : une double déclaration de
guerre
En écoutant d’abord Porochenko, il y
a quelques jours, puis Obama à
l’Assemblée générale des Nations Unies,
impossible d’avoir encore le moindre
doute sur le fait que l’Empire
anglo-sioniste est en guerre avec la
Russie. Pourtant, beaucoup de
gens croient que la réponse russe à
cette réalité est insuffisante. De même,
on constate qu’un flux constant
d’accusations est porté contre Poutine
au sujet de la politique de la Russie
face à la crise en Ukraine. Ce que je me
propose de faire ici, c’est d’offrir
quelques rappels de base sur Poutine,
sur ses obligations et sur les options
qui s’offrent à lui.
Tout d’abord, Poutine n’a jamais été
élu pour être le gendarme ou le sauveur
du monde ; il n’a été élu que pour être
président de la Russie. Cela semble
évident, et pourtant il est encore bien
des gens pour penser que Poutine serait
en quelque sorte moralement obligé de
faire quelque chose afin de protéger la
Syrie, la Novorussie ou toute autre
partie de notre monde harcelé. Ce n’est
pas le cas. Oui, la Russie est le leader
de facto des BRICS et des pays de l’OCS,
et la Russie accepte ce fait, mais c’est
de ses propres compatriotes que Poutine
a l’obligation morale et légale de
prendre soin en premier lieu.
Deuxièmement, la Russie est
maintenant officiellement dans le
collimateur de l’Empire anglo-sioniste,
lequel comprend non seulement 3
puissances nucléaires (États-Unis,
Royaume-Uni et France), mais aussi la
plus puissante force militaire (USA +
OTAN) et les plus importantes économies
du monde (États-Unis + Union
européenne). Je pense que nous pouvons
tous convenir sans peine que la menace
posée par un tel empire n’est pas
négligeable, et que la Russie a dès lors
tout à fait raison d’user des plus
grandes précautions pour traiter la
question.
Casser du
sucre sur le dos de Poutine, mais
manquer la cible
Maintenant, étonnamment, beaucoup de
ceux qui accusent Poutine d’être une
mauviette, un vendu ou une Pollyanna
[1] naïve, affirment
également que l’Occident est en train de
préparer une guerre nucléaire contre la
Russie. Si tel est vraiment le cas, s’il
y a bien un risque réel de guerre, que
celle-ci soit nucléaire ou non, cela
pose la question de savoir si Poutine ne
fait pas dans ce cas précisément ce qui
convient en s’abstenant d’agir avec
rudesse et de se montrer menaçant.
Certains diront que l’Occident veut
absolument une guerre, peu importe ce
que Poutine peut faire. Bon, très bien,
mais dans ce cas, gagner autant de temps
qu’il est possible avant l’inévitable,
n’est-ce pas justement la bonne chose à
faire ?!
Troisièmement, sur la question de
l’action des États-Unis contre l’EIIL,
plusieurs commentaires sur ce blog ont
accusé Poutine de poignarder Assad dans
le dos parce que la Russie a soutenu la
résolution des États-Unis au Conseil de
sécurité.
Et qu’est-ce que Poutine était censé
faire ?! Faire voler la force aérienne
russe jusqu’en Syrie pour protéger la
frontière syrienne ? Qu’en est-il d’Assad ?
A-t-il envoyé sa propre armée de l’air
se ruer pour essayer d’arrêter les
États-Unis ou a-t-il tranquillement fait
une offre : bombardez-les, « eux », pas
nous, et je protesterai, mais ne ferai
rien à ce sujet ? De toute évidence,
c’est cette dernière option qu’il a
choisie.
En fait, Poutine et Assad ont
exactement la même position : protester
contre le caractère unilatéral des
frappes, exiger une résolution de l’ONU
tout en regardant tranquillement comment
l’Oncle Sam se retourne contre sa propre
progéniture et tente maintenant de la
détruire.
Je voudrais ajouter que Lavrov, assez
logiquement, a déclaré qu’il n’y a pas
de « bons terroristes ». Il sait que
l’EIIL n’est rien d’autre que la
continuation de l’insurrection syrienne
créée de toutes pièces par les
États-Unis, elle-même une continuation
de la création étatsunienne qu’était
al-Qaïda. D’un point de vue russe, le
choix est simple : qu’est-ce qui est le
mieux, que les États-Unis utilisent
leurs forces et leurs hommes pour tuer
les wahhabites fous ou qu’ils laissent
Assad le faire ? Et si l’EIIL est
victorieux en Irak, combien de temps
avant qu’il ne revienne s’en prendre à
la Tchétchénie ? Ou à la Crimée ? Ou au
Tatarstan ? Pourquoi risquer la mort
d’un seul soldat russe ou syrien alors
que l’US Air Force est prête à faire les
choses à leur place ?
Bien qu’il y ait une douce ironie
dans le fait que les États-Unis ont
maintenant à bombarder leur propre
création, laissons-les faire ça. Même
Assad a été clairement prévenu, et il en
est évidemment très heureux.
En fin de compte, ONU ou pas ONU, les
États-Unis avaient déjà pris la décision
de bombarder l’EIIL. Alors, quel intérêt
y aurait-il à bloquer une résolution de
l’ONU qui n’a rien que de positif ? Ce
serait, pour la Russie, agir à
l’encontre de ses propres intérêts. En
fait, cette résolution peut même être
utilisée par la Russie afin d’empêcher
les États-Unis et le Royaume-Uni de
servir de base arrière aux extrémistes
wahhabites (cette résolution l’interdit,
et nous parlons ici d’une résolution
obligatoire du Conseil de sécurité des
Nations Unies, puisque prise dans le
cadre des dispositions du Chapitre VII).
Et pourtant, certains continuent à
dire que Poutine a poussé Assad sous
l’autobus. À quel point de folie et de
stupidité faut-il en arriver pour avoir
ce genre de notion de la guerre ou de la
politique ? Si Poutine voulait jeter
Assad sous le bus, pourquoi ne l’a-t-il
pas fait l’année dernière ?
Frustration
sincère ou malhonnêteté intellectuelle ?
Il reste que cette sorte de non-sens
à propos de la Syrie est complètement
éclipsée par le genre de truc vraiment
dingue que certaines personnes publient
sur la Novorussie. Voici mes préférés.
L’auteur commence par me citer : « Cette guerre n’a jamais été à
propos de la Novorussie ou à propos de
l’Ukraine. »
Puis il poursuit :
« Cette déclaration est trop vide
et trop facile, comme une dérobade.
Voulez-vous vraiment dire que les
milliers de personnes tuées par les
bombardements, les milliers de jeunes
conscrits ukrainiens jetés dans un
hachoir à viande, les milliers de
maisons détruites, plus d’1 million de
personnes transformées en réfugiés… que
RIEN de tout cela n’a rien à voir avec
la Novorussie et l’Ukraine ? Qu’il ne
s’agit que de la Russie ? Vraiment, on
aimerait que vous vous absteniez de
faire des déclarations stupides comme
celle-là. »
Le seul problème étant, bien sûr, que
je n’ai jamais fait la déclaration en
question.
Bien entendu, il est assez évident
que je voulais dire que POUR L’EMPIRE
ANGLO-SIONISTE, l’objectif n’a jamais
été ni l’Ukraine ni la Novorussie, mais
de mener une guerre à la Russie. Tout ce
que la Russie a fait, ce fut de
reconnaître cette réalité. Encore une
fois, les mots « voulez-vous
vraiment dire que » montrent
clairement que l’auteur s’apprête à
tordre ce que j’ai dit, à fabriquer
encore un autre homme de paille, puis à
me dénoncer avec indignation comme étant
un monstre qui ne se soucie pas de
l’Ukraine ou de la Novorussie (le reste
du commentaire était dans la même
veine : dénonciations indignées de
déclarations que je n’ai jamais faites
et de conclusions auxquelles je ne suis
jamais parvenu).
J’ai déjà pris l’habitude de ce
niveau tout à fait remarquable de
malhonnêteté de la part de la foule de
ceux qui dénigrent Poutine et, à ce
stade, je considère que ce n’est là rien
de plus qu’un comportement assez
typique. Mais je voulais illustrer la
chose une fois encore pour montrer que,
au moins dans certains cas, le but n’est
pas du tout d’avoir une discussion
honnête. Mon intention, toutefois, n’est
pas de ramener le tout à quelques
individus malhonnêtes et exaltés. Il y a
aussi beaucoup de gens qui sont
sincèrement déconcertés, frustrés et
même déçus par l’apparente passivité de
la Russie. Voici un extrait d’un
courriel que j’ai reçu ce matin :
« Je suppose que j’espérais
vraiment que peut-être la Russie, la
Chine, les BRICS, pourraient constituer
une contre-force. Ce que je n’arrive pas
à comprendre, c’est pourquoi, après
toute la diabolisation mise en œuvre par
les États-Unis et l’Europe, la Russie ne
riposte pas. Les sanctions imposées par
l’Occident font du mal à la Russie et
pourtant les Russes font toujours le
commerce du pétrole en euros ou en
dollars, et ils se plient en quatre pour
s’adapter à Europe. Je ne comprends pas
pourquoi ils ne disent pas tout net :
vous levez toutes les sanctions, ou bien
plus de gaz. La Chine également ne
s’exprime que très peu contre les
États-Unis, alors que les Chinois
comprennent bien que si la Russie est
affaiblie, ils seront les prochains sur
la liste. C’est comme pour tous les
discours à propos de la levée des
sanctions contre l’Iran, qui sont
grotesques parce que nous savons tous
qu’Israël ne permettra jamais qu’elles
soient levées. Alors, pourquoi la Chine
et la Russie continuent-elles à jouer le
jeu de cette vaste mascarade ? Parfois
je me demande si nous ne sommes pas tous
comme des personnages dont les rôles
seraient déjà écrits, et si tout cela
n’est pas une simple scène de théâtre,
où rien n’a aucune chance de jamais
vraiment changer. »
Dans ce cas, l’auteur de ces lignes
voit à juste titre que la Russie et la
Chine suivent une politique très
similaire qui, à n’en pas douter,
ressemble à une tentative d’apaiser les
États-Unis. Contrairement à la remarque
précédente, ici l’auteur est à la fois
sincère et vraiment affligé.
En fait, je crois que ce que
j’observe, ce sont trois phénomènes très
différents qui se manifestent tous en
même temps :
1) une campagne organisée de
dénigrement anti-Poutine lancée par les
services des gouvernements des
États-Unis et du Royaume-Uni chargés de
manipuler les médias sociaux ;
2) une campagne spontanée de dénigrement
anti-Poutine conduite par certains
cercles nationaux-bolchéviques russes (Limonov,
Douguine et compagnie) ;
3) l’expression d’une perplexité
sincère, d’une anxiété et d’une
frustration de la part de personnes
honnêtes et bien intentionnées, pour qui
la position russe actuelle n’a vraiment
aucun sens du tout.
Le reste de cet article sera
entièrement consacré à essayer
d’expliquer la position russe à ceux qui
appartiennent à ce troisième groupe
(tout dialogue avec les gens des deux
premiers groupes n’aurait simplement
aucun sens).
Essayer de
donner un sens à une politique
apparemment illogique
Dans mon introduction ci-dessus, j’ai
affirmé que ce qui se passe est une
guerre contre la Russie, pas (pas
encore ?) une guerre chaude, et plus
tout à fait non plus une guerre froide à
l’ancienne. En substance, ce que les
Anglo-Sionistes sont en train de faire
est assez clair, et beaucoup de
commentateurs russes sont déjà arrivés à
cette conclusion : les États-Unis
sont engagés dans une guerre contre la
Russie pour laquelle ils sont prêts à se
battre jusqu’au dernier Ukrainien.
De sorte que pour l’Empire, le
« succès » de cette guerre ne
saurait être défini comme un
résultat qui pourrait être obtenu en
Ukraine, parce que, comme je l’ai dit
précédemment, l’Ukraine n’est pas
l’objectif de cette guerre. Pour
l’Empire, le « succès » sera un résultat
spécifique obtenu en Russie :
à savoir un changement de régime en
Russie. Examinons la façon dont l’Empire
prévoit d’atteindre ce résultat.
Le plan originel était simpliste, à
la façon typique des néoconservateurs
US : renverser Ianoukovitch, faire
entrer l’Ukraine dans l’UE et dans
l’OTAN, amener l’OTAN à la frontière
russe sur le plan politique et la
déplacer militairement en Crimée. Ce
plan a échoué. La Russie a accepté la
Crimée en son sein, et l’Ukraine s’est
effondrée dans une guerre civile brutale
associée à une crise économique fatale.
Alors les néoconservateurs américains se
sont rabattus sur le plan B.
Le plan B aussi était simple : amener
la Russie à intervenir militairement
dans le Donbass, et utiliser cela comme
un prétexte pour une guerre froide
« version 2 » à grande échelle, qui
créerait des tensions du style de celles
des années 1950 entre l’Est et l’Ouest,
justifierait en Occident des politiques
inspirées par la peur, et romprait
complètement les liens économiques entre
la Russie et l’UE. Sauf que ce plan
aussi a échoué : la Russie n’a pas mordu
à l’hameçon et au lieu d’intervenir
directement dans le Donbass, elle a
commencé une opération secrète massive
destinée à soutenir les forces
antinazies en Novorussie. Le plan russe
a marché, et les forces de répression de
la junte (FRJ) ont été sévèrement
battues par les forces armées novorusses
(FAN), alors que celles-ci souffraient
pourtant d’un énorme déficit de
puissance de feu, de blindés, de
spécialistes et d’hommes
(progressivement, l’aide secrète russe a
renversé la situation).
À ce moment-là, la ploutocratie anglo-sioniste
a vraiment flippé en réalisant tout à la
fois que son plan était en train de
s’effondrer et qu’il n’y avait rien
qu’elle pût vraiment faire pour le
sauver (une option militaire étant
totalement impossible, comme je l’ai
déjà expliqué
dans le passé). Ils ont essayé les
sanctions économiques, mais cela n’a
fait qu’aider Poutine à s’engager dans
des réformes qui n’étaient depuis
longtemps que trop nécessaires. Mais le
pire de tout cela, c’est que chaque fois
que l’Occident s’est attendu à ce que
Poutine fasse une certaine chose, il a
fait exactement le contraire :
• personne ne s’attendait à voir Poutine
utiliser la force militaire en Crimée
pour une prise de contrôle aussi rapide
que l’éclair, et qui restera dans
l’histoire comme quelque chose d’au
moins aussi incroyable que le fut
l’opération Storm-333.
• tout le monde (moi y compris)
s’attendait à voir Poutine envoyer des
forces en Novorussie. Il ne l’a pas
fait.
• personne ne s’attendait à des
contre-sanctions russes venant frapper
le secteur agricole de l’UE.
• tout le monde s’attendait à des
représailles de Poutine après la
dernière série de sanctions. Il ne l’a
pas fait.
Il y a comme un modèle derrière ceci,
et c’est une base dans tous
les arts martiaux : d’abord, ne jamais
signaler vos intentions ; deuxièmement,
user de feintes ; et troisièmement,
frapper où et quand votre adversaire ne
s’y attend pas.
À l’inverse, il y a deux choses qui
sont profondément enracinées dans la
mentalité politique occidentale et que
Poutine ne fait jamais : il ne menace
jamais et il ne prend jamais de posture.
Par exemple, alors que les États-Unis
sont pour l’essentiel en guerre avec la
Russie, la Russie se fera un plaisir de
soutenir une résolution américaine sur
l’EIIL si elle est à son avantage. Et
les diplomates russes parleront de « nos
partenaires américains » ou de « nos
amis américains », tandis que, dans le
même temps, ils font
davantage à eux seuls que le reste de la
planète ensemble pour faire tomber
l’Empire anglo-sioniste.
Un rapide
regard sur le bilan de Poutine
Comme je l’ai écrit dans le passé,
contrairement à d’autres blogueurs et
commentateurs, je ne suis ni voyant ni
prophète, et je ne peux pas vous dire ce
que Poutine pense ou ce qu’il fera
demain. Mais ce que je peux vous dire,
c’est ce que Poutine a déjà fait dans le
passé. Il a (sans ordre particulier) :
• brisé le dos de l’oligarchie soutenue
par les anglo-sionistes en Russie ;
• obtenu un succès vraiment miraculeux
en Tchétchénie (un succès que personne,
prophètes compris, n’avait prévu) ;
• littéralement ressuscité l’économie
russe ;
• reconstruit les forces armées, les
forces de sécurité et les forces de
renseignement russes ;
• gravement perturbé les capacités de
subversion des ONG étrangères en
Russie ;
• fait plus pour la dé-dollarisation de
la planète que quiconque avant lui ;
• fait de la Russie le leader incontesté
à la fois des BRICS et de l’OCS ;
• ouvertement contesté le monopole de
l’information de la machine de
propagande occidentale (avec des projets
comme Russia Today) ;
• arrêté une frappe US/OTAN imminente
sur la Syrie par l’envoi d’un corps
expéditionnaire de la Marine russe (qui
a procuré à la Syrie une couverture
radar complète de l’ensemble de la
région) ;
• permis à Assad de l’emporter dans la
guerre civile syrienne ;
• rejeté ouvertement le « modèle de
civilisation universelle » de l’Occident
et déclaré son soutien à un autre
modèle, fondé sur une religion et des
traditions ;
• ouvertement rejeté un « nouvel ordre
mondial » unipolaire sous la conduite
des Anglo-Sionistes, et déclaré son
soutien à un ordre mondial
multipolaire ;
• soutenu Assange (à travers Russia
Today) et protégé Snowden ;
• créé et promu un nouveau modèle
d’alliance entre le christianisme et
l’islam, sapant ainsi le paradigme du
« choc des civilisations » ;
• viré les Anglo-Sionistes de certains
endroits clés dans le Caucase
(Tchétchénie, Ossétie) ;
• viré les Anglo-Sionistes de certains
endroits clés en Asie centrale (base de
Manas au Kirghizstan) ;
• donné à la Russie les moyens de
défendre ses intérêts dans la région de
l’Arctique, y compris les moyens
militaires ;
• établi une alliance stratégique à
spectre complet avec la Chine, alliance
qui est au cœur à la fois de l’OCS et
des BRICS ;
• Il est actuellement en train de faire
adopter des lois empêchant des intérêts
étrangers de contrôler les médias
russes ;
• Il a donné l’Iran les moyens de
développer un programme nucléaire civil
dont ce pays a grand besoin ;
• Il travaille avec la Chine à la
création d’un système financier sous
forme entièrement séparée de l’actuel
système contrôlé par les Anglo-Sionistes
(comprenant notamment un commerce en
roubles ou en renminbi) ;
• Il a ré-établi un soutien politique et
économique de la Russie à Cuba, au
Venezuela, à la Bolivie, à l’Équateur,
au Brésil, au Nicaragua et à
l’Argentine ;
• dégonflé de manière très efficace la
révolution colorée pro-américaine en
Russie ;
• organisé le « Voentorg » [4]
qui a armé les FAN ;
• donné refuge à des centaines de
milliers de réfugiés ukrainiens ;
• envoyé une aide humanitaire vitale
dont la Novorussie avait absolument
besoin ;
• fourni aux FAN un soutien russe direct
en matière de puissance de feu et
peut-être même une couverture aérienne
dans des endroits clés (le « chaudron
sud », par exemple).
• enfin, et ce n’est pas là la moindre
de ses actions, il a parlé ouvertement
de la nécessité pour la Russie de
rétablir elle-même sa propre
« souveraineté » en l’emportant sur la
5e colonne pro-américaine.
Et la liste s’allonge encore et
encore. Ce que j’illustre ici, c’est
qu’il y a une très bonne raison à la
haine que les Anglo-Sionistes vouent à
Poutine : la longue histoire du combat
efficace qu’il mène contre eux. Donc, à
moins de supposer que Poutine ait
soudainement changé d’idée et
d’intention, ou qu’il soit tout
simplement venu à manquer d’énergie ou
de courage, je soutiens que la notion
d’un brusque virage à 180 degrés de sa
part n’a pas de sens. Et d’ailleurs, les
politiques qu’il mène actuellement sont
parfaitement cohérentes, comme je vais
maintenant essayer de l’expliquer.
Si vous êtes du genre à penser que
« Poutine a trahi la Novorussie », s’il
vous plaît mettez cette hypothèse de
côté pour un moment, juste pour la
commodité du raisonnement, et supposons
ensemble que Poutine soit à la fois
quelqu’un de raisonné et de logique. Que
pouvait-il faire en Ukraine ?
Pouvons-nous donner un sens à ce que
nous observons ?
Des
impératifs que la Russie ne peut ignorer
Tout d’abord, je considère que la
séquence suivante n’est pas
contestable :
Premièrement, la Russie doit
l’emporter dans la guerre que les Anglo-Sionistes
mènent actuellement contre elle.
Ce que l’Empire veut en Russie, c’est un
changement de régime, suivi par une
absorption complète du pays dans la
sphère d’influence occidentale, avec
aussi une dislocation probable de
l’intégrité de la Russie. Ce qui est
menacé, c’est donc l’existence même de
la civilisation russe.
Deuxièmement, la Russie ne
sera jamais en sécurité avec un régime
russophobe néo-nazi au pouvoir à Kiev.
Les monstres nationalistes ukies ont
prouvé qu’il est impossible de négocier
avec eux (à ce jour, ils ont rompu
absolument chacun des accords qu’ils ont
signés), que leur haine pour la Russie
est totale (comme le montrent leurs
constantes références à l’utilisation
d’hypothétiques armes nucléaires contre
la Russie). Par conséquent,
Troisièmement, un changement
de régime à Kiev suivi d’une
dénazification complète est la seule
voie possible qui permette à la Russie
d’atteindre ses objectifs essentiels.
Encore une fois, et au risque que
certains viennent à tordre et déformer
mes mots, je dois répéter ici que la
Novorussie n’est pas ce qui est en jeu
ici. Ce n’est même pas l’avenir de
l’Ukraine qui est en jeu. Ce qui est en
jeu ici, c’est une confrontation
planétaire (c’est bien la seule
des thèses de Douguine avec laquelle je
sois entièrement
d’accord). L’avenir de la planète dépend
de la capacité des pays des BRICS et de
l’OCS à remplacer l’Empire anglo-sioniste
par un ordre international multi-polaire
qui serait véritablement très différent.
La Russie est un élément crucial et
indispensable dans cet effort (entrepris
sans la Russie, un semblable effort
serait voué à l’échec), et ce qu’elle
fera en Ukraine décidera de son avenir.
Quant à l’avenir de l’Ukraine, il dépend
en grande partie de ce qui va arriver en
Novorussie, mais pas exclusivement.
D’une manière paradoxale, la Novorussie
est plus importante pour la Russie
qu’elle ne l’est pour l’Ukraine. Voici
pourquoi :
Pour le reste de l’Ukraine,
la Novorussie est perdue. POUR
TOUJOURS. Même un effort conjoint
Poutine-Obama ne pourrait empêcher cela.
En fait, les Ukies le savent, et c’est
pourquoi ils ne font aucun effort pour
gagner les cœurs et les esprits de la
population locale. Au point que, j’en
suis convaincu, la prétendue destruction
« aléatoire » et « délibérée » des
infrastructures industrielle,
économique, scientifique et culturelle
de la Novorussie a été un acte
intentionnel de vengeance haineuse,
similaire à la façon dont les Anglo-Sionistes
en viennent à chaque fois à tuer des
civils lorsqu’ils ne parviennent pas à
vaincre les forces militaires (les
exemples de la Yougoslavie et du Liban
viennent à l’esprit). Bien sûr, Moscou
peut probablement forcer les dirigeants
politiques novorusses sur place à signer
une sorte de document d’acceptation de
la souveraineté de Kiev, mais ce sera
une fiction ; il est bien trop tard pour
cela. Si ce n’est pas de jure[2], alors en tout cas
de facto[3]
la Novorussie n’acceptera jamais d’en
revenir à la primauté et au gouvernement
de Kiev, et tout le monde le sait, à
Kiev, en Novorussie et en Russie.
À quoi pourrait ressembler une
indépendance de facto, mais non
de jure ?
Pas de militaires ukrainiens, pas de
garde nationale, pas de bataillons des
oligarques ou de SBU, une complète
indépendance économique, culturelle,
religieuse, linguistique et éducative,
des dirigeants élus localement et des
médias locaux, mais tout cela avec des
drapeaux ukies, pas de statut
d’indépendance officielle, pas de forces
armées novorusses (elles seront
dénommées « forces de sécurité
régionale » ou quelque chose
d’approchant, voire même « forces de
police ») et pas de monnaie novorusse
(même si le rouble – avec le dollar et
l’euro – sera utilisé quotidiennement
dans la région). Les hauts
fonctionnaires devront être
officiellement approuvés par Kiev (ce
que Kiev fera, bien entendu, de peur que
son impuissance ne devienne visible). Ce
sera un arrangement temporaire,
transitoire et
instable, mais il devrait
suffire pour fournir à Kiev un moyen de
sauver la face.
Cela posé, je dirais que Kiev
et Moscou ont toutes deux intérêt à
maintenir la fiction d’une
Ukraine unitaire. Pour Kiev,
c’est une façon de ne pas apparaître
comme complètement vaincue par les
maudits Moskals. Qu’en est-il de la
Russie ?
Que
feriez-vous si vous étiez à la
place de Poutine ?
Posez-vous la question suivante :
si vous étiez Poutine et que votre
objectif était un changement de régime à
Kiev, préféreriez-vous que la Novorussie
fasse partie de l’Ukraine ou non ? Je
dirais qu’avoir une Novorussie intégrée
à l’Ukraine est de beaucoup le mieux,
pour les raisons suivantes :
1. cela fait d’elle une partie
prenante, ne serait-ce qu’à un niveau
macro-économique, des processus
ukrainiens, tels que les élections
nationales ou les médias nationaux ;
2. cela permet de comparer sa situation
avec celle du reste de l’Ukraine ;
3. cela rend beaucoup plus facile de
peser sur le commerce, les affaires, les
transports, etc. ;
4. cela crée un centre politique
alternatif (exempt de Nazis) à Kiev ;
5. cela facilite la pénétration des
intérêts russes (de toutes sortes) en
Ukraine ;
6. cela supprime la possibilité de
mettre en place un « mur » ou une
barrière façon guerre froide le long
d’un marqueur géographique précis ;
7. cela fait taire l’accusation selon
laquelle la Russie veut la partition de
l’Ukraine.
En d’autres termes, maintenir la
Novorussie de jure,
c’est-à-dire théoriquement, en tant que
partie de l’Ukraine est la meilleure
façon de se présenter comme se
conformant aux exigences anglo-sionistes,
tout en fragilisant la junte nazie au
pouvoir. Dans
un article récent, j’ai décrit ce
qu’il me semblait loisible à la Russie
de faire sans encourir de conséquences
majeures :
1. s’opposer politiquement au régime
partout : à l’ONU, dans les médias,
vis-à-vis de l’opinion publique, etc. ;
2. exprimer son soutien politique à la
Novorussie ainsi qu’à toute forme
d’opposition ukrainienne ;
3. poursuivre la guerre de l’information
(les médias russes font un excellent
travail) ;
4. empêcher la Novorussie de tomber
(aide militaire secrète) ;
5. maintenir impitoyablement la pression
économique sur l’Ukraine ;
6. perturber autant qu’il est possible
l’« axe de la bienveillance » des
États-Unis et de l’UE ;
7. aider la Crimée et la Novorussie à
devenir économiquement et financièrement
prospères ;
En d’autres termes : donner
l’apparence de rester en dehors tout
en profitant de chaque occasion
d’intervenir.
Quelle est
de toute façon l’alternative ?
J’entends déjà le chœur des
patriotes cocardiers indignés (c’est
ainsi qu’on les appelle en Russie)
m’accusant de ne voir la Novorussie que
comme un outil au service des fins
politiques russes et d’ignorer la mort
et la souffrance endurées par le peuple
de Novorussie. À cela, je vais
simplement répondre ce qui suit :
Quelqu’un croit-il sérieusement
qu’une Novorussie indépendante puisse
vivre en paix et en sécurité, si peu que
ce soit, sans un
changement de régime à Kiev ? Si la
Russie ne peut pas se permettre une
junte nazie au pouvoir à Kiev, la
Novorussie le peut-elle ?!
En général, les « patriotes du
hourra » s’étendent longuement sur ce
qu’il faudrait faire aujourd’hui, mais
restent des plus brefs s’agissant d’une
quelconque perspective à moyen ou long
terme. Tout comme ceux qui croient que
la Syrie peut être sauvée par le simple
envoi de la force aérienne russe, les
« patriotes du hourra » croient que la
crise en Ukraine peut être résolue en y
envoyant des tanks. Ils sont un parfait
exemple de la mentalité à laquelle H.L.
Mencken faisait allusion quand il a
écrit : « Pour chaque problème complexe,
il existe une réponse claire, simple et
erronée ».
La triste réalité, c’est que la
mentalité qui s’exprime derrière ces
solutions « simples » est toujours la
même : ne jamais négocier, jamais de
compromis, ne jamais regarder à long
terme, mais seulement à l’avenir
immédiat, et utiliser la force dans tous
les cas.
Mais ici, les faits sont : le bloc
US/OTAN est puissant, militairement,
économiquement et politiquement, et il a
la capacité de faire mal à la Russie, en
particulier avec le temps. En outre, si
cette dernière est en mesure de vaincre
facilement l’armée ukrainienne, ce ne
serait pas là une « victoire » très
significative. Extérieurement, une telle
victoire ne manquerait pas de déclencher
une détérioration massive du climat
politique international, tandis qu’à
l’intérieur, les Russes auraient à
éliminer les nationalistes ukrainiens
(lesquels ne sont pas tous nazis) par la
force. La Russie pourrait-elle faire
cela ? Encore une fois, la réponse est
oui, mais à quel prix ?
Un de mes bons amis était colonel
dans l’unité des forces spéciales du KGB
appelé « Kaskad » (qui plus tard fut
rebaptisée « Vympel »). Un jour, il m’a
raconté comment son père, lui-même
opérateur spécial pour le GRU, s’est
battu contre les insurgés ukrainiens de
la fin de la Seconde Guerre mondiale, de
1945 jusqu’en 1958 : ce qui fait treize
années ! Il a fallu à Staline et à
Khrouchtchev 13 ans pour parvenir à
écraser les insurgés nationalistes
ukrainiens. Est-ce que quelqu’un, s’il a
toute sa raison, croit sincèrement que
la Russie moderne devrait répéter ce
genre de politique et passer à nouveau
des années à traquer les insurgés
ukrainiens ?
À ce sujet, d’ailleurs, si les
nationalistes ukrainiens ont pu
combattre le régime soviétique sous
Staline et Khrouchtchev pendant pas
moins de 13 années après la fin de la
guerre, comment se fait-il qu’il n’y ait
pas de résistance anti-nazie visible
dans les provinces de Zaporijia,
Dnepropetrovsk ou Kharkov ? Oui,
Lougansk et Donetsk se sont soulevées et
ont pris les armes, avec beaucoup de
succès ; mais le reste de l’Ukraine ? Si
vous étiez Poutine, auriez-vous cette
confiance qu’en libérant les villes en
question, les forces russes y
recevraient le même accueil qu’elles ont
connu en Crimée ?
Et pourtant, les « patriotes du
hourra » continuent à pousser pour
davantage d’intervention de la Russie et
en faveur d’une avancée des opérations
militaires novorusses contre les forces
ukies. N’est-il pas temps pour nous de
commencer à nous demander qui seraient
les bénéficiaires de telles politiques ?
C’est un vieux truc de la CIA
américaine que de se servir des médias
sociaux et de la blogosphère pour
pousser à l’extrémisme nationaliste en
Russie. Un patriote et journaliste russe
bien connu et respecté, Maxime
Chevtchenko, avait un petit groupe de
personnes organisées pour traquer les
adresses IP de certains des
contributeurs nationalistes radicaux les
plus influents l’internet russe, qu’il
s’agisse d’organisations, de sites Web,
de blogs ou même de pages personnelles.
Il s’avère que la plupart étaient basés
aux États-Unis, au Canada et en Israël.
Surprise, surprise. Ou peut-être pas de
surprise du tout ?
Pour les Anglo-Sionistes, soutenir
les extrémistes et nationalistes enragés
en Russie paraît parfaitement sensé.
Soit qu’ils parviennent à influencer
l’opinion publique, soit à tout le moins
qu’on puisse se servir d’eux pour
dénigrer le régime au pouvoir.
Personnellement, je ne vois pas de
différence entre un Oudaltsov ou un
Navalnyi d’un côté, et un Limonov ou un
Douguine de l’autre. Ils ont pour seul
effet les uns comme les autres de rendre
les gens furieux contre le Kremlin. Quel
que soit le prétexte utilisé pour cela,
cela n’a guère d’importance : pour
Navalnyi, ce sont des « élections
volées » ; pour Douguine, la « Novorussie
poignardée dans le dos ». Et cela n’a
pas non plus d’importance de savoir
lesquels d’entre eux sont des agents
effectivement payés par l’Occident et
lesquels ne sont que des « idiots
utiles ». Dieu soit leur juge. Mais ce
qui importe, c’est que les solutions
qu’ils préconisent ne sont pas des
solutions du tout, seulement de purs
prétextes pour dénigrer le régime au
pouvoir.
Dans l’intervalle, non seulement
Poutine n’a en rien vendu, poignardé,
troqué ou autrement abandonné la
Novorussie, mais on voit au contraire
que Porochenko parvient à peine à se
maintenir au pouvoir et que le
Banderastan est en train de disparaître.
Il y a aussi, heureusement, beaucoup de
gens qui voient clair à travers ce
galimatias pessimiste et dépourvu de
sens, que ce soit en Russie (Yuri
Baranchik) et à l’étranger (M.K.
Bhadrakumar).
Mais quid
des oligarques ?
J’ai déjà abordé cette question dans
un article récent, mais je pense
qu’il est important ici de revenir sur
ce sujet ; et la première chose qu’il me
semble crucial de comprendre dans le
contexte russe comme dans le contexte
ukrainien, c’est que les oligarques sont
une réalité de la vie. Cela ne veut pas
dire que leur présence soit une bonne
chose, seulement que Poutine et
Porochenko, ainsi d’ailleurs que
n’importe qui, bref : que quiconque
essaierait de faire ou d’obtenir quoi
que ce soit là-bas doit tenir compte des
oligarques. La grande différence, c’est
que, alors qu’à Kiev un régime contrôlé
par les oligarques a été remplacé par un
régime d’oligarques, en Russie
l’oligarchie n’est capable que
d’influencer le Kremlin, pas de le
contrôler. Les exemples de Khodorkovski
ou Evtouchenkov montrent que le Kremlin
peut encore mettre à bas un oligarque en
cas de besoin, et le fait parfois.
Il reste que c’est une chose de s’en
prendre à un ou deux oligarques, et que
c’en est une autre de les retirer de
l’équation ukrainienne : cette dernière
éventualité ne se concrétisera tout
simplement pas. Dès lors, pour Poutine,
toute stratégie ukrainienne doit tenir
compte de la présence et, pour parler
franchement, du pouvoir des oligarques
ukrainiens et de leurs homologues
russes.
Poutine sait que les oligarques n’ont
de vraie loyauté qu’à l’égard
d’eux-mêmes, et que leur seul « pays »
est le lieu où se trouvent leurs actifs.
Poutine étant un ancien officier du
renseignement étranger du KGB, c’est
pour lui un atout évident, parce que cet
état d’esprit lui offre la possibilité
de les manipuler. Tout agent de
renseignements sait que les gens peuvent
être manipulés par un nombre seulement
limité d’approches : l’idéologie, l’ego,
le ressentiment, le sexe, un squelette
dans le placard et, bien sûr, l’argent.
Du point de vue de Poutine,
Rinat Akhmetov, par exemple, est un
gars qui avait l’habitude d’employer
quelque chose comme 200.000 personnes au
Donbass, quelqu’un qui peut évidemment
faire avancer les choses, et dont la
loyauté officielle envers Kiev et
l’Ukraine n’est qu’un camouflage : sa
réelle fidélité va à son argent. Ainsi,
Poutine n’a nul besoin d’aimer ou de
respecter Akhmetov – et de fait la
plupart des officiers de renseignement
n’ont qu’un mépris souverain pour ce
genre de personne –, mais cela signifie
aussi que pour Poutine, Akhmetov est une
personne à qui il est absolument crucial
de parler, avec qui il faut explorer les
options, et une personne
qu’éventuellement on utilisera pour
atteindre un objectif stratégique
national russe dans le Donbass.
Je l’ai déjà écrit à de nombreuses
reprises sur ce site : les Russes
parlent à leurs ennemis. Avec un sourire
amical. Cela est encore plus vrai pour
un ancien officier de renseignement,
formé à toujours communiquer, à sourire,
à se montrer engageant et compréhensif.
Pour Poutine, Akhmetov n’est pas un ami
ni un allié, mais il est un personnage
puissant qui peut être manipulé à
l’avantage de la Russie. Ce que j’essaie
d’expliquer ici, c’est ceci :
Il circule de nombreuses rumeurs au
sujet de négociations secrètes entre
Rinat Akhmetov et divers responsables
russes. Certains disent que Khodakovski
est impliqué. D’autres mentionnent
Sourkov. Il ne fait aucun doute dans mon
esprit que de telles négociations
secrètes sont en cours. En fait, je suis
sûr que chacune des parties concernées
parle à chacune des autres parties
concernées. Même avec une créature
répugnante, malfaisante et vile comme
Kolomoïski. En fait, le signal le plus
sûr de ce que quelqu’un aurait
finalement décidé de le sortir du jeu
serait que personne ne parlât plus avec
lui. Cela arrivera probablement, avec le
temps, mais certainement pas avant que
la base de son pouvoir ait été
suffisamment érodée.
Je connais
un blogueur russe qui estime qu’Akhmetov
a déjà été « convaincu » (lire : acheté)
par Poutine et qu’il est prêt à jouer
selon les nouvelles règles, celles qui
prévoient désormais que « Poutine est le
patron ». Peut-être. Peut-être que pas
encore, mais bientôt. Peut-être que
jamais. Tout ce que je dis, c’est que
des négociations entre le Kremlin et les
oligarques locaux ukies sont aussi
logiques et inévitables que le furent
les contacts des Américains avec la
mafia italienne avant que les forces
armées des États-Unis ne viennent à
entrer en Italie.
Mais y
a-t-il une 5e colonne en Russie ?
Oui, absolument. Tout d’abord, et
c’est le plus important, on la trouve à
l’intérieur du gouvernement Medvedev
lui-même et à l’intérieur même de
l’administration présidentielle.
Rappelez-vous toujours que Poutine a été
amené au pouvoir par deux forces
opposées : les services secrets et le
grand capital. Eh oui, même s’il est
vrai que Poutine a considérablement
affaibli la composante « grand capital »
(ce que j’appelle les
« intégrationnistes atlantistes »), ils
sont toujours là et bien là, mais ils se
montrent plus modérés, plus prudents et
moins arrogants que durant le temps où
Medvedev était officiellement en
fonction. Le grand changement intervenu
au cours de ces dernières années, c’est
que la lutte entre les patriotes (les
« souverainistes » eurasiens) et la 5e
colonne se fait maintenant à l’air
libre ; pour autant, elle est loin
d’être terminée. Et nous ne devons
jamais sous-estimer ces gens : ils ont
beaucoup de pouvoir, beaucoup d’argent,
et une capacité fantastique à corrompre,
à menacer, à discréditer, à saboter, à
camoufler, à diffamer, etc. Ils sont
aussi très intelligents, ils peuvent
engager les meilleurs professionnels
dans n’importe quel domaine, et ils sont
très, très bons pour
monter d’affreuses campagnes politiques.
Par exemple, ceux de la 5e colonne
s’efforcent de donner une voix à
l’opposition nationale-bolchevique
(aussi bien Limonov que Douguine
obtiennent régulièrement du temps
d’antenne à la télévision russe) et la
rumeur veut qu’ils financent une grande
partie des médias nationaux-bolcheviques
(tout comme les frères Koch ont payé
pour le Tea Party aux États-Unis).
Un autre problème est que, bien que
ces gars-là accomplissent objectivement
les besognes de la CIA américaine, il
n’existe aucune preuve de cela. Comme me
l’a dit à plusieurs reprises un ami
avisé : la plupart des conspirations
sont en fait des collusions, et ces
dernières sont très difficiles à
prouver. Pour autant, la communauté
d’intérêts entre la CIA des États-Unis
et les oligarchies russe et ukrainienne
est tellement évidente qu’elle en est
indéniable.
Le vrai
danger pour la Russie
Nous avons donc maintenant une image
complète. Encore une fois, Poutine doit
faire face simultanément à
1) une campagne de manipulation
psychologique (ce qu’on appelle une
campagne PsyOp) stratégique dirigée par
les États-Unis, le Royaume-Uni et
autres, combinant diabolisation de
Poutine par les grandes entreprises de
médias et campagne dans
les médias sociaux tendant à le
discréditer pour sa passivité et son
manque de réponse appropriée face à
l’Occident ;
2) un groupe, petit, mais qui donne fort
de la voix, de (pour l’essentiel)
nationaux-bolchéviques (Limonov,
Douguine et compagnie) qui ont trouvé
dans la cause novorusse une occasion
parfaite pour dénigrer Poutine en lui
reprochant de ne pas partager leur
idéologie et leurs « solutions » à la
fois « claires, simples et erronées » ;
3) un réseau de puissants oligarques qui
entendent profiter de l’occasion offerte
par les actions des deux premiers
groupes pour promouvoir leurs propres
intérêts ;
4) une 5e colonne pour laquelle tout ce
qui précède constitue une opportunité
fantastique d’affaiblir les
souverainistes eurasiens ;
5) un sentiment de déception chez
beaucoup de gens sincères, qui estiment
que la Russie se comporte comme un
punching-ball purement passif ;
6) une majorité écrasante de personnes
en Novorussie qui veulent une complète
indépendance (de facto
etde jure) vis-à-vis
de Kiev et sont sincèrement convaincues
que des négociations avec Kiev sont en
fait un prélude à une trahison des
intérêts novorusses par la Russie ;
7) la réalité objective qu’intérêts
russes et novorusses ne sont pas
identiques ;
8) la réalité objective que l’Empire
anglo-sioniste est encore très puissant
et même potentiellement dangereux.
Il est très, très difficile pour
Poutine d’essayer d’équilibrer ces
forces de telle manière que le vecteur
résultant soit en coïncidence avec
l’intérêt stratégique de la Russie. Je
dirais qu’il n’y a tout simplement pas
d’autre solution à cette énigme que de
séparer la politique officielle (le
déclaratif) de la Russie et ses
véritables actions. L’aide secrète à la
Novorussie – le Voentorg – en est un
exemple, mais seulement un exemple
limité parce que ce la Russie doit faire
à présent va au-delà des seules actions
secrètes : elle doit apparaître comme
faisant une chose tout en faisant
exactement le contraire. Il est dans
l’intérêt stratégique de la Russie, à ce
stade, de paraître :
1) soutenir une solution négociée en
vue de ce qui ressemblerait à une
Ukraine unitaire non alignée, avec des
droits régionaux étendus reconnus à
toutes les régions, mais, dans le même
temps, de s’opposer politiquement au
régime partout où il est possible : à
l’ONU, dans les médias, devant l’opinion
publique, etc., cela en soutenant à la
fois la Novorussie et toute forme
d’opposition ukrainienne ;
2) donner aux oligarques russes et
ukrainiens une raison pour, sinon
soutenir, du moins ne pas s’opposer à
une telle solution (par exemple : en ne
nationalisant pas les actifs d’Akhmetov
dans le Donbass), mais, dans le même
temps, de faire en sorte de continuer à
disposer de suffisamment de « puissance
de feu » (littéralement) pour garder
l’oligarque en question sous contrôle ;
3) négocier avec l’UE sur la mise en
œuvre effective de l’accord
d’association de l’Ukraine avec l’UE,
mais, dans le même temps, d’aider
l’Ukraine à commettre un suicide
économique en s’assurant qu’elle subisse
exactement ce qu’il faut d’étranglement
économique pour empêcher le régime de
rebondir ;
4) négocier avec l’UE et la junte de
Kiev sur la livraison de gaz, mais, dans
le même temps, de faire en sorte que le
régime paie suffisamment pour s’en
retrouvé « cassé » ;
5) se montrer, de façon générale, non
conflictuelle et non belliqueuse à
l’endroit des États-Unis, mais, dans le
même temps, de faire tout son possible
pour créer des tensions entre les
États-Unis et l’Union européenne ;
6) paraître généralement disponible et
disposée à faire des affaires avec
l’Empire anglo-sioniste, mais, dans le
même temps, d’édifier un système
international qui ne soit centré ni sur
les États-Unis ni sur le dollar.
Comme vous le voyez, cela va bien
au-delà d’un programme d’action secrète
régulière. Ce à quoi nous avons affaire,
c’est à un programme très complexe,
multi-couches, en vue d’atteindre en
Ukraine l’objectif le plus important de
la Russie (un changement de régime et
une dénazification) tout en inhibant
autant que possible les tentatives anglo-sionistes
de recréer une crise est-ouest grave et
durable dans laquelle, pour l’essentiel,
l’UE fusionnerait avec les USA.
Conclusion :
une clé de la politique russe ?
La plupart d’entre nous sont habitués
à penser en termes de catégories de
super puissance. Après tout, les
présidents américains, de Reagan à
Obama, nous ont tous servi un régime de
grandes déclarations, des opérations
militaires presque constantes suivies de
séances d’information du Pentagone, des
menaces, des sanctions, des boycotts,
etc. Je dirais que cela a toujours été
la marque de fabrique de la
« diplomatie » occidentale, depuis les
croisades jusqu’à la dernière campagne
de bombardement contre l’EIIL. La Russie
et la Chine ont une tradition
diamétralement opposée. Par exemple, en
termes de méthodologie, Lavrov répète
toujours le même principe : « nous
voulons faire de nos ennemis des
neutres, nous voulons changer les
neutres en partenaires, et nous voulons
faire en sorte que nos partenaires
deviennent des amis ». Le rôle des
diplomates russes n’est pas de préparer
à la guerre, mais de l’éviter. Oui, la
Russie se battra, mais seulement lorsque
la diplomatie aura échoué. Si, pour les
États-Unis, la diplomatie est uniquement
un moyen de formuler des menaces, pour
la Russie, elle est un outil
principalement destiné à les désamorcer.
Il n’est donc pas étonnant du tout que
la diplomatie américaine soit primitive
au point de confiner au comique. Après
tout, est-il besoin de beaucoup de
sophistication pour dire
« conformez-vous à nos exigences, ou
alors… ». N’importe quel petit voyou des
rues sait faire cela. Les diplomates
russes sont bien davantage semblables à
des spécialistes de l’élimination des
explosifs ou à des officiers du
déminage : ils doivent se montrer
extrêmement patients, très attentifs et
pleinement concentrés. Mais, et c’est le
plus important, ils ne peuvent pas
permettre à quiconque de les contraindre
à se précipiter, de peur que tout
n’explose.
La Russie est pleinement consciente
de ce que l’Empire anglo-sioniste est en
guerre avec elle et de ce que la
reddition n’est tout simplement plus une
option envisageable pour elle (en
supposant qu’elle l’ait jamais été). La
Russie comprend aussi qu’elle n’est pas
une véritable super puissance ou, encore
moins, un empire. La Russie est
seulement un pays très puissant qui
cherche à priver l’Empire de ses crocs
sans pour autant déclencher une
confrontation frontale avec lui. En
Ukraine, la Russie ne voit pas d’autre
solution qu’un changement de régime à
Kiev. Pour atteindre cet objectif, la
Russie préférera toujours une solution
négociée à une solution obtenue par la
force ; cependant, si aucun autre choix
ne lui est laissé, elle recourra à la
force. En d’autres termes :
L’objectif final à long terme de la
Russie est de faire tomber l’Empire
anglo-sioniste. Son objectif à moyen
terme est de créer les conditions pour
un changement de régime à Kiev. Son
objectif à court terme est d’empêcher la
junte d’envahir la Novorussie. La
méthode préférée de la Russie pour
atteindre ces objectifs est la
négociation avec toutes les parties
concernées. Et une condition
sine qua non pour atteindre ces
objectifs par des négociations est
d’empêcher l’Empire de réussir à créer
une crise continentale aiguë (à
l’inverse, « l’état profond » impérial
comprend parfaitement tout cela, d’où la
double déclaration de guerre d’Obama et
de Porochenko).
Tant que vous garderez ces principes
de base à l’esprit, les apparents
zigzags, les contradictions et la
passivité des politiques russes vous
demeureront compréhensibles.
Il reste à savoir si la Russie
réussira à atteindre ses objectifs. En
théorie, une attaque réussie de la junte
contre la Novorussie pourrait forcer la
Russie à intervenir. De même, il y a
toujours la possibilité d’une autre
opération « sous faux drapeau »,
peut-être quelque chose de nucléaire. Je
pense que la politique russe est saine
et, vu l’ensemble des circonstances
actuelles, que c’est la meilleure parmi
celles que l’on peut, en étant réaliste,
considérer comme réalisables. Pour le
reste, seul le temps nous le dira.
Je suis désolé qu’il m’ait fallu plus
de 6.400 mots pour expliquer tout cela,
mais dans une société où la plupart des
« pensées » sont exprimées sous forme de
« tweets » et la plupart des analyses
par des messages sur Facebook, c’était
une tâche ardue que de tenter de faire
la lumière sur ce qui est en train de
devenir un déluge de malentendus et
d’idées fausses, tous aggravés par la
manipulation des médias sociaux. Je
pense que 60.000 mots seraient davantage
appropriés à cette tâche, car il est
beaucoup plus facile de simplement
lancer un slogan court et simple que de
réfuter ensuite les hypothèses et les
implications dudit slogan.
J’ai l’espoir qu’au moins ceux
d’entre vous qui ont été sincèrement
troublés par la position apparemment
illogique de la Russie puissent à
présent relier les points entre eux et
mieux dégager le sens de tout cela.
Ndt : [1] : Pollyanna est
l’héroïne d’un célèbre roman pour la
jeunesse d’Eleanor H. Porter, publié en
1913 aux États-Unis et devenu un
classique de la littérature enfantine ;
jeune orpheline recueillie par sa tante,
Pollyanna Whittier se montre résolument
optimiste face aux vicissitudes de la
vie, s’efforçant de toujours voir le bon
côté des choses au travers d’un jeu
inventé par son père à cette intention,
le « jeu du contentement », consistant à
trouver toujours, quelle que soit la
situation, une occasion de se réjouir ou
un sujet de voir les choses de façon
positive, ce quand bien même une telle
attitude optimiste serait illogique ou
absurde ; poussé à l’excès, le jeu
engendre une naïveté excessive qui
revient parfois à refuser d’accepter les
faits d’une situation défavorable. [2] : en droit. [3] : en fait. [4] : le commerce
militaire, qui se réfère ici à l’aide
clandestine russe, notamment, mais pas
uniquement, par la fourniture
d’équipements militaires.
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