Le Saker
Objectifs stratégiques derrière
la guerre contre l’Arménie
Moon of Alabama
Jeudi 1er octobre 2020
Par
Moon of Alabama − Le 29 septembre
2020
Dimanche, Ilham
Aliyev, le dictateur de longue date de
l’Azerbaïdjan, a
lancé une guerre contre la région du
Haut-Karabakh tenue par les Arméniens.
Le fait qu’il ait osé le faire
maintenant, 27 ans après qu’un
cessez-le-feu a mis fin à une guerre
dans la région, est un signe que la
situation stratégique plus large a
changé.
Lorsque l’Union
soviétique s’est effondrée, la région du
Haut-Karabakh avait une population mixte
de musulmans chiites azerbaïdjanais –
également appelés azéris – et de
chrétiens arméniens. Comme dans d’autres
anciennes républiques soviétiques, la
diversité ethnique est devenue
problématique lorsque les nouveaux États
ont évolué. Les zones mixtes ont été
disputées et l’Arménie a gagné la région
du Haut-Karabakh. Il y a eu depuis
plusieurs escarmouches aux frontières et
petites guerres entre les deux
adversaires mais l’intensité des combats
est maintenant beaucoup plus élevée
qu’auparavant.
Source
: Joshua Kushera
En 2006, Yasha
Levine a
écrit sur sa visite au Haut-Karabakh
pour The Exile. Il a décrit les
adversaires inégaux :
En 1994, les
Arméniens ont gagné et forcé
l'Azerbaïdjan à un cessez-le-feu.
Entre-temps, le Haut-Karabakh s'est
organisé en un pays souverain [appelé
Artsakh] avec sa propre armée, des élus
et un parlement. Mais il n’a toujours
pas été reconnu par aucun pays autre que
l’Arménie et est toujours classé comme
l’un des «conflits gelés» de la région,
avec les régions séparatistes d’Abkhazie
et d’Ossétie du Sud en Géorgie.Mais ce «conflit
gelé» pourrait bientôt s’échauffer, si
vous en croyez ce que dit le playboy,
accro au jeu et président de
l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev. Non pas que
les Azerbaïdjanais devraient être trop
excités par une autre guerre : si les
Arméniens sont toujours les combattants
qu’ils étaient il y a dix ans, alors
statistiquement, ce sont les Azéris qui
compteront la plupart des morts. Bien
qu'ayant un nombre égal de soldats, les
Azéris avaient le double de la quantité
d'artillerie lourde, de véhicules
blindés et de chars que les Arméniens ;
mais quand ce fut fini, le nombre de
pertes azéri était trois fois plus élevé
que celui des Arméniens. Les victimes
azéries s'élevaient à 17 000. Les
Arméniens n'en ont perdu que 6 000.
Et cela ne compte pas les civils azéris
restants que les Arméniens ont nettoyés
ethniquement.
Depuis l'ouverture
de l'oléoduc Bakou-Ceyhan, d'une
importance stratégique, pompant du
pétrole de la mer Caspienne vers l'ouest
via la Turquie, le président azéri
menace ouvertement de reprendre par la
force le Haut-Karabakh. Les 10 milliards
de dollars de revenus pétroliers qu'il
s'attend à gagner par an une fois que
l'oléoduc sera pleinement opérationnel
lui montent à la tête. 10 milliards de
dollars peuvent sembler peu élevés -
mais pour l'Azerbaïdjan, cela représente
une augmentation de 30% du PIB. Dans
chaque interview, Aliyev ne peut même
pas mentionner le projet de pipeline
sans virer au sujet de la «résolution»
du conflit du Haut-Karabakh.
Aliyev a commencé à
dépenser l'argent du pétrole avant même
que celui-ci ne commence à couler et a
annoncé un doublement immédiat des
dépenses militaires. Un peu plus tard,
il a annoncé le doublement de tous les
salaires des militaires. Les généraux d’Aliyev
ne se privent pas de fanfaronner que
l’année prochaine, leur budget militaire
sera de 1,2 milliard de dollars, soit la
totalité du budget fédéral de l’Arménie.
Au cours des 14
années suivantes, la guerre que Yasha
Levine prévoyait en 2006 ne s’est pas
produite. Le fait qu’elle ait été lancée
maintenant indique un changement
important. En juillet, une autre
escarmouche à la frontière a éclaté pour
des raisons encore inconnues. Puis la
Turquie est
intervenue :
À la suite du
conflit de juillet, l’implication de la
Turquie est devenue beaucoup plus
importante qu’elle ne l’était
auparavant, avec une rhétorique
belliqueuse sans précédent venant
d’Ankara et des visites répétées de haut
niveau entre les deux parties. Ankara
semblait voir le conflit
Arménie-Azerbaïdjan comme une autre
arène dans laquelle exercer ses
ambitions croissantes de politique
étrangère, tout en faisant appel à un
bloc nationaliste et anti-arménien dans
la politique intérieure de la Turquie.L’adhésion plus
étroite de la Turquie a à son tour donné
à Bakou la confiance nécessaire pour
adopter une ligne plus ferme contre la
Russie, le plus proche allié de
l’Arménie dans le conflit, mais qui
maintient des liens étroits avec les
deux pays. L'Azerbaïdjan a fait l'objet
de rapports très médiatisés - toujours
non confirmés - sur d'importantes
expéditions d'armes russes en Arménie
juste après les combats, et le président
Ilham Aliyev s'est personnellement
plaint à son homologue russe, Vladimir
Poutine.
Le président turc
Erdogan est
intervenu avec plus que de la
rhétorique :
En août, la Turquie
et l'Azerbaïdjan ont achevé deux
semaines d'exercices militaires aériens
et terrestres conjoints, notamment dans
l'enclave azerbaïdjanaise de Naxcivan.
Certains observateurs se sont demandé
si la Turquie avait laissé du matériel
militaire ou même un contingent de
troupes.Le potentiel d'une
forte implication turque dans le conflit
est surveillé de près par la Russie, qui
est déjà du côté opposé au membre de
l'OTAN dans les conflits en Libye et en
Syrie.
La Russie vend des
armes à la fois à l'Azerbaïdjan et à
l'Arménie, mais possède une base
militaire en Arménie et favorise ce
partenariat stratégique.
L’Azerbaïdjan a
acheté des drones à la Turquie et à
Israël et il y a des rumeurs selon
lesquelles ils seraient pilotés par des
personnels turcs et israéliens. La
Turquie a également
embauché 2 000 à 4 000 djihadistes
sunnites de Syrie pour
se battre au côté de l’Azerbaïdjan
chiite. Une douzaine d’entre eux ont
déjà été
tués pendant le premier jour de la
guerre. On se demande combien de temps
ils accepteront d’être utilisés comme
chair à canon par des chiites, par
ailleurs détestés.
Il y avait d’autres
rumeurs selon lesquelles il y aurait des
avions de combat turcs en Azerbaïdjan
tandis que des avions d’espionnage turcs
scrutaient l’espace aérien au-dessus
de l’Arménie depuis sa frontière
occidentale.
Source : IWN News
L’objectif immédiat
de la guerre en Azerbaïdjan est de
prendre les deux districts de Fizuli
et Jabrayil dans le coin sud-est du
territoire possédé par les Arméniens :
Alors que le cœur
du conflit entre les deux parties est le
territoire du Haut-Karabakh, Fuzuli et
Jabrayil sont deux des sept districts
entourant le Karabakh que les forces
arméniennes occupent également. Ces
districts, qui étaient presque
entièrement peuplés d’Azerbaïdjanais
avant la guerre, abritaient la grande
majorité des plus de 600 000
Azerbaïdjanais déplacés dans le conflit.Bien que les
Arméniens se soient installés
modestement dans certains des
territoires occupés, Fuzuli et Jabrayil
restent presque entièrement non peuplés.
Les deux districts
ont de bonnes terres agricoles et
l’Arménie, déjà pauvre, voudra les
conserver. Elle se battra certainement
férocement à ce sujet.
La guerre n’a pas
bien progressé pour l’Azerbaïdjan. Il a
déjà
perdu des dizaines de chars (vidéo)
et des centaines de soldats. L’accès à
internet dans le pays a été complètement
bloqué pour masquer les pertes.
Les pertes
n’empêchent pas les scribes d’Erdogan de
crier déjà victoire :
Défendre
l'Azerbaïdjan, c'est défendre la patrie.
C'est notre identité politique et
consciente. Notre esprit géopolitique et
nos stratégies de défense ne sont pas
différents. Souvenez-vous toujours
que «patrie» est un concept très large
pour nous !Nous ne faisons pas
une simple exagération lorsque nous
disons que «l’Histoire a été
réinitialisée». On attend aussi une
victoire du Caucase lui-même !
Bon …
Il y a une heure,
le gouvernement arménien a
déclaré que la Turquie avait abattu
l’un de ses avions :
L'Arménie affirme
que l'un de ses avions de combat a été
abattu par un avion turc, dans une
escalade majeure du conflit dans la
région contestée du Haut-Karabakh. Le ministère des
Affaires étrangères arménien a déclaré
que le pilote du SU-25 de fabrication
soviétique était mort après avoir été
touché par le F-16 turc dans l'espace
aérien arménien.
La Turquie, qui
soutient l'Azerbaïdjan dans le conflit,
a nié cette allégation. ...
L'Azerbaïdjan a
déclaré à plusieurs reprises que son
armée de l'air ne disposait pas d'avions
de combat F-16. Cependant, la Turquie en
a.
Une attaque turque
à l’intérieur des frontières arméniennes
déclencherait le traité de sécurité
collective qui oblige la Russie et
d’autres à défendre l’Arménie.
Une entrée russe
dans la guerre donnerait à Erdogan un
sérieux mal de tête.
Mais ce n’est
peut-être même pas son pire problème.
L’économie turque se contracte, la
Banque centrale n’a plus que peu de
devises fortes, l’inflation est forte et
la livre turque continue de baisser.
Aujourd’hui, elle a
atteint un nouveau record de baisse.
Source : Xe
L’Azerbaïdjan a pas
mal d’argent provenant du pétrole et
pourrait peut-être aider Erdogan.
L’argent peut en effet faire partie de
la motivation d’Erdogan à prendre part à
cette guerre.
La Russie ne
sautera certainement pas la tête la
première dans le conflit. Elle sera très
prudente pour ne pas s’étendre
excessivement et tomber ainsi dans un
piège américain.
L’année dernière,
la RAND Corporation, financée par le
Pentagone, a
publié un rapport exposant des plans
contre la Russie :
S'appuyant sur des
données quantitatives et qualitatives
provenant de sources occidentales et
russes, ce rapport examine les
vulnérabilités et les inquiétudes
économiques, politiques et militaires de
la Russie. Il analyse ensuite les
options politiques potentielles pour les
exploiter - idéologiquement,
économiquement, géopolitiquement et
militairement - y compris les options
aériennes et spatiales, maritimes,
terrestres et multi-domaines.
Parmi les options,
le rapport a discuté de
l’extension de la Russie (pdf) dans
le Caucase :
Les États-Unis
pourraient étendre le conflit à la
Russie dans le Caucase de deux manières.
Premièrement, les États-Unis pourraient
faire pression pour une relation de
l'OTAN plus étroite avec la Géorgie et
l'Azerbaïdjan, conduisant probablement
la Russie à renforcer sa présence
militaire en Ossétie du Sud, en
Abkhazie, en Arménie et dans le sud de
la Russie.Alternativement,
les États-Unis pourraient essayer
d'inciter l'Arménie à rompre avec la
Russie. Bien que partenaire russe de
longue date, l'Arménie a également
développé des liens avec l'Occident:
elle fournit des troupes aux opérations
dirigées par l'OTAN en Afghanistan et
elle est membre du Partenariat pour la
paix de l'OTAN, et elle a également
récemment accepté de renforcer ses liens
politiques avec l'UE. Les États-Unis
pourraient essayer d'encourager
l'Arménie à entrer pleinement dans
l'orbite de l'OTAN.
Si les États-Unis
réussissaient dans cette politique, la
Russie pourrait être contrainte de se
retirer de sa base militaire à Gyumri et
d'une base militaire et aérienne près
d'Erevan - actuellement louée jusqu'en
2044 - et de détourner encore plus de
ressources vers son district militaire
du sud.
Le rapport RAND ne
donne à ces options qu’une faible chance
de réussir. Mais cela ne signifie pas
que les États-Unis n’essaieront pas de
créer des problèmes supplémentaires dans
le sud de la Russie. Ils ont peut-être
donné à leur allié de l’OTAN, la
Turquie, un signal indiquant que cela ne
les dérangerait pas qu’Erdogan donne un
coup de main à Aliyev et se lance dans
une autre guerre contre la Russie.
À moins que le cœur
de l’Arménie ne soit sérieusement
attaqué, la Russie restera probablement
sur la touche. Elle aidera l’Arménie
avec des renseignements et des
équipements acheminés via l’Iran. Elle
continuera de parler avec les deux
parties et tentera d’arranger un
cessez-le-feu.
Presser
l’Azerbaïdjan dans ce but nécessitera
d’abord quelques succès arméniens
importants contre les forces d’invasion.
Il y a trente ans, les Arméniens se sont
révélés être de bien meilleurs soldats
que les Azéris. De ce que l’on peut
glaner sur les médias sociaux, cela
semble toujours être le cas. Ce sera
l’élément décisif pour l’issue de ce
conflit.
Moon of Alabama
Traduit par jj,
relu par Wayan pour le Saker Francophone
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