Algérie
L'assassinat comme méthode de
gouvernement
Lahouari Addi
Samedi 4 janvier 2020
L'assassinat comme méthode de
gouvernement. De Abbane Ramdane à
Abdelkader Hachani en passant par
Mohamed Khider et Ali Mecili.
Le texte ci-dessous
écrit par Hocine Ait-Ahmed donne une
idée sur la nature d'un régime qui a
privatisé l'autorité publique pour en
faire un moyen de jouissance et de
domination au-dessus des lois des hommes
et de l'éthique divine. Tout pouvoir qui
ne se donne pas de limite
constitutionnelle piétinera la vie pour
se perpétuer. Le régime algérien n'a pas
hésité à tuer même les pères de
l'indépendance: Khider, Boudiaf... Il
n'hésite pas à tuer aussi ceux qui l'ont
servi dès lors qu'ils veulent corriger
des défauts du système: Medeghri, Merbah...
La guerre de libération a
malheureusement attiré des exaltés qui
ont sacralisé la politique. Une
divergence politique devient une
trahison punie de mort. Ailleurs, la
politique débouche sur des compromis et
charge l'électorat de désigner
temporairement la majorité et la
minorité. En Algérie, la politique tue
en utilisant des truands et des repris
de justice réhabilités pour services
rendus au pouvoir. Un pouvoir inhumain
où il n'y a pas de chef et qui a fait de
l'Etat un budget à piller.
L'Etat est devenu un système désincarné
où les acteurs n'obéissent qu'à
l'instinct de survie. Toute la stratégie
du système aujourd'hui est de répondre à
la question suivante: comment survivre
au hirak? Comment l'affaiblir et lui
faire peur? Comment l'amadouer? Comment
le détourner de ses revendications?
Aucun dirigeant n'envisage la
possibilité de répondre aux
revendications légitimes du hirak.
Pourquoi? Parce que le système
fonctionne sans dirigeants. Il n'y a pas
de chef d'Etat, ni de chef de l'armée.
Il n'y a que des fonctionnaires qui
servent un système sur lequel ils n'ont
aucune prise. Tebboune est juste le
chargé d'affaires de l'administration
gouvernementale. Le général Chengriha?
C'est un haut-fonctionnaire du ministère
de la défense qui n' a aucun pouvoir en
dehors du système. Et si jamais il
voudra le changer, il sera éliminé et
remplacé par un haut-fonctionnaire plus
fidèle au système. La logique du système
depuis l'indépendance est de n'avoir
recruté que des médiocres pour le servir
afin qu'il les domine. Le système domine
ses acteurs, mais depuis février 2019,
il a face à lui un acteur puissant qui
le changera, c'est le hirak. Le hirak
fera du président un vrai président et
du général un vrai général. Ils ne
seront plus dominés par le système qui
aura une autorité supérieure: le corps
électoral. Et l'Etat n'aura plus besoin
de recruter des repris de justice et des
baltagias pour assassiner. Le hirak va
réhabiliter l'Etat en lui ajoutant,
outre la légitimité, la dimension
humaine qui lui a manqué.
Abbes Hamadene
Hier, à 11:58
HOMMAGE A MOHAMED
KHIDER ASSASSINE LE 03 JANVIER 1967 UN
SOIR DE RAMADHAN DEVANT SA FEMME, SUR
ORDRE DE BOUMEDIENE.
Mohamed Khider était l'un des 9
historiques qui ont déclenché le 1er
novembre 1954.
Nous publions la déclaration de son
compagnon de lutte Hocine Ait Ahmed
faite à plusieurs journaux espagnols et
français.
Par Hocine Aït Ahmed (*)
Les circonstances du crime sont les
suivantes :
Mon beau-frère, sa femme et un de ses
parents en visite à Madrid, sortirent de
l'immeuble dans lequel Mohamed Khider
résidait depuis plus de deux ans et
prirent place dans sa voiture
personnelle qui était parquée près de
l'entrée. A ce moment un étranger
s'approche de M. Khider assis au volant
de son auto et demande à lui parler en
privé. M. Khider, ne le connaissant pas,
lui propose de fixer un rendez-vous pour
plus tard. Alors, sous prétexte de lui
donner son adresse, l'individu sort son
pistolet et tire. L'arme s'enraie. Il
tire de nouveau et la balle pénètre à
travers le pare-brise, sans toucher
Khider. Celui ci sort de la voiture et
se dirige vers l'immeuble. L'assassin
tire encore et Khider s'affale,
sérieusement blessé à l'épaule. Le
meurtrier alors s'agenouille aux côtés
de sa victime et, froidement,
sauvagement, lui tire à bout-portant
quatre balles, deux au cœur et deux à la
tête. La mort fut instantanée.
L'assassin s'échappa vers la voiture
qu'il avait louée deux heures
auparavant, poursuivi par Mme Khider qui
appelait au secours. L'assassin voulut
même tirer sur elle, mais le chargeur
était vide. Le courage de Mme Khider
l'obligea à abandonner la voiture qu'il
avait louée ...
Qui est le responsable de ce crime ?
Nous avons la certitude maintenant, sur
la base d'informations recueillies en
Algérie et au dehors, que l'assassin est
Dakhmouche Youcef, un truand,
faux-monnayeur, affairiste louche, qui
fut arrêté en Algérie, en 1966, pour
contrefaçon. En juin de la même année,
un officier de la Sécurité Militaire le
fit libérer, après avoir conclu un
marché avec lui. Dakhmouche reçut un
passeport en juin 1966 et quitta
l'Algérie. L'homme qui conclut ce marché
et recruta Dakhmouche dans son propre
service, n'est autre que Rabah Boukhalfa,
actuellement attaché «culturel» à
l'Ambassade algérienne à Madrid. Ce nom
n'est pas inconnu de la presse, puisque
la police espagnole chargée de l'enquête
sur l'assassinat de Khider, l'avait
emmené et interrogé le mois dernier.
Quel rapport y a-t-il entre ces deux
hommes ?
Boukhalfa est un officier de la Sécurité
Militaire de longue date. Ami de
Boumediene, il a la confiance du clan
d'Oujda, car il fut dépêché à Madrid un
mois avant le putsch, pour y prendre en
main l'Ambassade. Depuis le 19 juin, il
garde par radio un contact direct avec
ses «caïds» d'Alger. Il est un ami
ancien et intime de Dakhmouche. La
preuve est faite que si Dakhmouche est
l'exécutant de ce crime, Boukhalfa en
est l'organisateur. C'est sur les
instructions de ce dernier que
Dakhmouche suivit Khider de Madrid en
Suisse du 7 au 14 décembre 1966. A cette
date, Dakhmouche retourne à Madrid et
est accueilli par Boukhalfa à
l'Ambassade Algérienne. Depuis, il est
pris étroitement en main par ce dernier.
Les gérants et les employés des pensions
où logea successivement Dakhmouche,
pendant la préparation du lâche
assassinat, ont témoigné que seul
Boukhalfa lui rendait visite et que
Dakhmouche était en possession de fortes
sommes d'argent.
Le 27 décembre 1966, Dakhmouche eut une
crise de nerfs et disparut, faisant
faux-bond à Boukhalfa avec lequel il
avait rendez-vous à la pension. Ce
dernier entre dans un état d'agitation
et parcourt la ville pour le retrouver.
Il s'adresse à de nombreuses personnes,
à l'associé de Dakhmouche en
particulier. Il réussit à le retrouver,
pour le prendre dans son appartement, où
Dakhmouche logea jusqu'au 2 janvier,
date à laquelle il alla sans bagages,
passer la nuit à l'Hôtel Régina.
Les témoignages sont irréfutables.
L'associé en bijouterie de Dakhmouche
est formel. Boukhalfa lui avait montré
le même pistolet qui a servi au crime et
qui a été découvert le 4 janvier près du
lieu où se déroula le drame. Au
lendemain de l'assassinat, Boukhalfa est
allé menacer ce témoin : «Vous ne me
connaissez pas, lui dit-il, mais si vous
êtes forcé de parler de moi, dites que
nous n'avons que des relations
commerciales.»
Cet abominable crime fut préparé
méticuleusement dans tous les domaines.
Au lendemain de l'assassinat, les
tenants du pouvoir néo-fasciste :
1° essayèrent de faire transférer à
Alger le corps de la victime ;
2° demandèrent aux autorités espagnoles
la mise sous séquestre des biens du
frère Khider;
3° lancèrent une "offensive de
coopération" avec l'Espagne;
4° suscitèrent dans certaines presses,
des campagnes de mensonges et de
mystification.
J'accuse le régime de Boumediene d'avoir
conçu, organisé et perpétré
l'assassinat.
Cette pratique honteuse de gangsters
politiques porte le sceau de ce clan
d'aventuriers sans scrupules qui ont
usurpé le pouvoir et détruit dans notre
pays les principes de liberté, de
démocratie et de justice, pour lesquels
des millions d'Algériens, parmi lesquels
Khider, ont donné le meilleur
d'eux-mêmes.
Le peuple algérien partage cette
conviction.
Nous avons l'espoir que les criminels
seront arrêtés et châtiés, que toute la
vérité sera faite sur l'assassinat du
frère Khider et que des mesures
énergiques seront prises contre la
dictature de Boumediene.
H. A. A.
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