Russie: L'agression de T. Felguengauer et
le syndrome du
journalisme français
Karine Bechet-Golovko
Mercredi 25 octobre 2017
Pourquoi dès qu'un
journaliste se fait agresser en Russie,
de sous-entendus plus ou moins lourds en
accusations à peine cachées, la presse
française en arrive toujours à ce
"régime de Poutine" qui ne tolèrerait
aucune voix discordante. Il est vrai
qu'ici comme sur d'autres thèmes, la
diversité de la presse française est un
délice, sans même soulever la question
des publications d'usine non signées,
qui remplissent les pages de ces
informations prédigérées dont on nous
abreuve.
Une journaliste de
la Radio Les Echos de Moscou, radio très
libérale et résolument dans l'opposition
des années 90, s'est faite agressée. Le
caractère "opposant" de la radio
n'empêche pas son rédacteur en chef
d'entretenir de bonnes relations avec le
pouvoir - ici en grande discussion avec
Maria Zkharova, la porte-parole du
ministère des affaires étrangères:
Tatiana
Felguengauer était l'une des nombreuses
journalistes de cette radio, ayant
soutenus tous les mouvements de
l'opposition radicale. Hier, Boris Grits,
parfait inconnu, possèdant la double
nationalité russe et israélienne (où il
vivait principalement) est entré dans la
station de radio, a jeté du gaz contre
le gardien, s'est rapidement faufilé
dans les couloirs, connaissant
manifestement très bien les lieux, a
trouvé le studio de la journaliste et
l'a aggressée au couteau, à la gorge,
sans vouloir la tuer a-t-il ensuite
déclaré. Il fut immédiatement interpelé
par les force de l'ordre, arrêté et
déféré devant le juge.
Cet individu
déclarait entretenir avec la journaliste
un lien téléphatique à l'occasion duquel
elle le poursuivait. Il avait donc avant
cela demandé son adresse personnelle à
l'un de ses
proches, affirmant vouloir
simplement lui parler. Il a répété à
l'audience devant le juge qu'il
entretenait des liens télépathiques, ce
qui n'a pas empêché selon les premières
observations de le déclarer en pleine
possession de ses moyens.
Aujourd'hui,
l'agresseur est inculpé pour tentative
de meurtre, se trouve en détention en
attendant son jugement et T.
Felguengauer est dans un état critique
mais, heureusement, stable, sa vie n'est
plus en danger.
Si cette affaire se
passait dans tout autre pays que la
Russie, l'on féléciterait une réaction
rapide des forces de l'ordre et de la
justice et ce serait clos. L'on
parlerait ensuite du danger du métier de
journaliste et de la surexposition de
ces professionels aux déséquilibrés
divers et variées qui hantent nos
cauchemars, de la montée en puissance de
la violence gratuite, de la nécessaire
balance entre la protection et la
répression, etc etc etc. Mais l'on
n'insisterait pas lourdement sur "le
régime", sur l'ambiance "anxiogène" pour
les journalistes. Il est vrai qu'ils ont
tellement docilement couverts Macron
lors des présidentielles, se sont tout
aussi docilement jetés sur les os qui
leur étaient lancés au moment voulus,
qu'ils font signe maintenant de relever
la tête plein de dignité lorsque cela
leur est autorisé et que Jupiter leur a
expliqué les limites de leur travail,
limites bien intégrées. Rien à dire.
Or, il s'agit de
la Russie, donc d'un pays dans lequel a
priori un journaliste ne peut pas se
faire agresser par un détraqué, et si
détraqué il y a, il doit forcément être
envoyé par le Kremlin ... C'est
évident. L'on retrouve donc ces articles
tendancieux, suggestifs, jouant sur
l'imaginaire bien entretenu par la
presse d'une Russie totalitaire. Par
exemple, le titre sur le site de France
24:
Ou encore le début
de l'article non signé de
l'Express qui pose l'ambiance
cherchée:
Le pouvoir
russe récuse toute responsabilisé
dans l'agression de Tatiana Felguenhauer.
La journaliste de la radio russe Écho de
Moscou, poignardée lundi dans sa
rédaction, a été victime d'un "fou" et
non d'un climat hostile aux médias
critiques du pouvoir en Russie, a estimé
ce mardi le Kremlin.
et vers la dernière
phrase de l'article lui aussi non signé
de
France 24 :
La station a
néanmoins réussi à rester jusqu'à
présent la principale radio russe à
offrir des points de vue indépendants,
dans un paysage médiatique verrouillé où
les grandes chaînes de télévision sont
sous contrôle.
Tout est dit, rien
n'est dit.
Le rédacteur en
chef des Echos de Moscou, Venedictov,
bien que mangeant tranquilement à tous
les rateliers depuis des années et
financé par Gazprom Media (un holding
pas vraiment dans l'opposition),
dénonce, le ventre plein:
un "climat de
haine" alimentant l'idée qu'"on peut
tuer les sales types"
On sent qu'il
a la peur au ventre, ça lui couperait
presque la digestion faute de l'appétit.
C'est caricaturale, mais ça marche. Nous
sommes en Russie, ne l'oubliez pas.
Donc, les "spécialistes" en tous poils
peuvent oublier les questions de fond.
C'est la Russie. L'éthique
journalistique, un détail. Nos chères
organisations
américaines défendant les droits de
l'homme se mettent en branle et exigent,
si si exige qu'une enquête soit bien
menée... Le coupable est déjà interpelé,
mais peu importe. Il l'est trop vite,
c'est louche. Du flagrant délit? Que
nenni, un coup monté certainement. C'est
la Russie, il faut donc exiger une
enquête ... indépendante. De qui?
Passons.
La recette est
éculée, manifestement rien de mieux n'a
été trouvé. Mais tant que ça marche
encore un peu, pourquoi s'en priver?
Sont convaincus ceux qui veulent l'être,
et ils sont nombreux pour différentes
raisons (c'est pas leur problème, c'est
plus confortable, naïveté, incompétence
...).
Quant aux autres
... et bien nous, les autres, nous
continuons à écrire pour tenter de faire
tomber les voiles déformant. Un par un.
Chaque voile. Chaque fois. Chaque jour.
En attendant que nos journalistes ne
fasse leur travail.
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