Le
jeu du 9 mai : quand les Atlantistes
revendiquent
la victoire, pas uniquement
historique
Karine Bechet-Golovko
Mardi 12 mai 2020
Les cérémonies du 9
mai, cette année, se déroulèrent dans
une ambiance délétère. Pour raison de
coronavirus et d'assignation à domicile,
pas de Parade militaire à Moscou, ni de
Régiment Immortel et le maire de la
ville a exigé des habitants qu'ils ne
sortent pas de chez eux voir la parade
aérienne, ni le feu d'artifice. Un 9 mai
virtuel, qui fait le bonheur du clan
atlantiste, avec les Américains
s'attribuant officiellement la victoire,
la presse francophone ouvrant le
concours de russophobie, dont le grand
prix est difficile à décerner tant les
eforts produits sont importants. Que le
clan atlantiste célèbre l'absence des
festivités prévues pour les 75 ans de la
Victoire et en profite pour mettre sous
cadenas le rôle de l'Armée rouge et de
l'URSS, c'est de leur intérêt. Mais
quand, à Moscou, la police a eu ordre
d'arrêter une douzaine de députés
communistes et de journalistes ayant osé
mettre le nez dehors , munis de leurs
laissez-passer, l'on se demande si le
cauchemar d'Hollywood ne s'est pas mis à
planer au-dessus de notre belle capitale
russe, interdite à ses vétérans,
interdite à ses habitants, privée de
l'énergie vitale de son histoire. Pour
raison sanitaire. Il y a deux manières
de détruire un peuple, soit le condamner
en bloc et donc condamner son histoire,
soit lui faire renier ses chefs. Le
peuple russe dérange, car il est
Russe. Et tant qu'il existera en
étant Russe, il dérangera.
Le 9 mai est une
date symbolique pour tout le peuple
russe, il est le bouclier du Monde
russe, cet acte de reconnaissance
d'appartenance à un même monde, à une
même histoire. Heureusement, le
Président Poutine a pu organiser une
"mini-parade" de la Garde
présidentielle, symboliquement. Mais la
politique est faite de symboles. Il n'y
a pas eu de Parade militaire du 9 mai en
Russie après la chute de l'URSS jusqu'en
1995, car la Russie n'était pas
autorisée à reprendre la place de l'URSS
et qu'elle n'en avait pas alors la
force. Avec le temps, elle s'est
affirmée et la Parade du 9 mai est un
des symboles de la Nation russe. Il
faut du temps pour construire les
symboles, ils se détruisent en un
instant. C'est certainement la
raison pour laquelle le Président
Poutine a annoncé l'organisation et
d'une grande Parade et d'un Régiment
Immortel, pas virtuel, mais réel, car
seul le réel permet l'abstraction de la
Nation.
Mais en
attendant, cette Parade n'a pas eu lieu
et c'est aussi un symbole que le clan
atlantiste veut construire - la
non-célébration, l'absence ... donc la
faiblesse ? La faiblesse, non
seulement de la Russie, mais aussi de
son Président, qui tenant un discours
sur le "patriotisme" n'a pu tenir une
Parade pour une date aussi importante
que celle des 75 ans. Et la presse se
défoule. Quelques exemples de titres de
presse, qui ne tentent même pas de
cacher leur plaisir :
La presse
américaine avait donné le ton :
remise en cause du passé "glorieux",
puisque le présent ne permet pas de
l'assumer. A la guerre comme à la
guerre ... sur le ton compatissant du
grand frère, s'inquiétant hypocritement
pour Moscou, soumise à un des régimes
les plus stricts dans le monde, "avec
une grande tradition de nihilisme
juridique", etc etc etc. Le bâton a été
tendu, ils frappent - et s'en donnent à
coeur joie.
Dans son allocution
du 8 mai, le Secrétaire d'Etat
américain, a souligné le combat du
peuple soviétique pour libérer son
territoire, mais n'a pas parlé de
l'Armée rouge et de la libération de
plus de la moitié de l'Europe. Au
contraire, la seule remarque concernant
l'armée, et donc l'Etat, a été faite
concernant "l'ombre du communisme"
s'étendant sur l'Est. "L'ombre"
américaine planant sur l'Europe, le
Japon etc etc etc, ne semble pas aussi
terrible. Question de positionnement
idéologique, finalement.
Cette déclaration
suit celle du
Président américain, ne citant parmi
les Alliés, que les armées américaine et
britannique. Ces déclarations
s'inscrivant parfaitement dans le sens
de la réécriture de l'histoire ont
provoquées une vive
réaction du ministère des Affaires
étrangères russe, qui annonce avoir une
franche discussion avec leurs collègues
américains.
Aussi désagréable
que cela soit-il, ces passes d'armes
font partie du jeu géopolitique,
puisqu'une guerre se gagne certes par
les armes, mais aussi dans les mémoires.
En ce sens, il n'y a rien d'étonnant à
cela, au contraire l'on ne se bat que
contre un adversaire et ici la
Russie tient son rôle et entend défendre
sa place sur la scène internationale.
Ce qui soulève
beaucoup plus d'inquiétude, c'est quand
ce conflit, normal à l'extérieur, semble
être importé. Je m'explique.
Comment interpréter l'ordre
d'arrestation lancé aux policiers
moscovites, qui dans un premier temps
n'étaient logiquement pas intervenus,
d'une douzaine de députés communistes et
de journalistes les accompagnant, pour
être sortis munis d'un laissez-passer
professionnel (de député et de
journaliste) le 9 mai, tenant leur
fameuse "distance sociale"? Ils
ont tous été interpellés pour avoir
violé les ordres de Sobianine,
concernant le régime de surveillance
renforcée, concrètement pour avoir
"violé la distance sociale" et ont été
placés en détention préventive en
attente de jugement. La sévérité et
l'absurdité de cette démarche laisse
perplexe ... Il s'agit bien d'une
question de principe : l'on ne doit pas
mettre le nez dehors pour le 9 mai ?
A Moscou. Car nous avons vu des images
de Sébastopol, par exemple, avec la
population regardant la Parade maritime,
où les marins, à la différence de
Saint-Pétersbourg, gardaient un visage
humain et ne portaient pas de masques.
Cette campagne
lancée l'est contre la Russie, contre
son histoire, pour lui contester un
avenir. Elle passe évidemment par la
contestation de ses dirigeants. L'on est
habitué au massacre médiatico-idéologique
de Staline, d'autant plus qu'il est
celui qui a conduit à la victoire
(puisque les massacres du cosmopolite
Trotsky ne semblent pas déranger, eux).
L'on s'habitue à la campagne menée
contre Poutine, dès qu'il a conduit la
Russie à relever la tête. La
"suspension" (espérons qu'il ne s'agisse
de "l'annulation") de la Parade
militaire et des célébrations passe mal
dans la population. Surtout quand le
taux de mortalité du coronavirus est au
maximum de 0,9%, que si le nombre de
personnes détectées s'envole, c'est en
raison d'un dépistage massif qui n'est
sagement pas conduit en Europe. Malgré
une communication débridée, les décès
restent très faibles, environ 2 000
officiels. Nous sommes
objectivement loin d'une hécatombe qui
justifierait dans l'esprit populaire
l'absence des célébrations des 75 ans de
la Victoire.
La technique de
production de mécontentement, qui
est une technique de destruction, n'a
rien de nouveau. Les dirigeants sont
montrés comme des bêtes assoiffées de
sang et de pouvoir, le peuple discrédité
s'il se refuse à jouer le rôle de la
victime de ces "tyrans". L'on peut
lire chez Sartre, dans "Les séquestrés
d'Altona" :
"Il y a deux
façons de détruire un peuple : on le
condamne en bloc
ou bien on le force à
renier les chefs qu'il s'est donné.
La
seconde est la pire."
PS: La Parade
militaire du 9 mai a été organisée de
manière normale en Biélorussie, à Minsk.
Où la population est à ce jour toujours
vivante.
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