Journalistes russes, ne plaisantez pas
avec l'Etat social - les manageurs n'ont
aucun humour
Karine Bechet-Golovko
Mercredi 12 février 2020
Lorsqu'en pleine
furie néolibérale, la Russie déclare
l'Etat social, c'est bien, mais il faut
l'assumer. Non seulement en l'inscrivant
dans la Constitution, mais en le
réalisant. Autrement que formellement
par quelques chiffres et pourcentages.
Dans la réalité du soutien social
apporté aux gens. Ce décalage entre le
discours et la réalité a provoqué un fou
rire de la présentatrice sur la chaîne
publique Rossiya. Heureusement, pas en
direct. Maintenant malaise ... le Roi
est-il nu ?
Souvenez-vous des
déclarations des politiques insistant
sur l'importance stratégique pour la
Russie de soutenir la population. Le
Premier ministre déclarait même,
ensuite, que cet effort social de l'Etat
va être un des éléments de relance de
l'économie - par la consommation.
Les premiers
chiffres de cette "révolution sociale"
en pleine vague néolibérale sont tombés.
L'aide sociale apportée aux
personnes en ayant besoin va, grâce à
l'indexation (qui doit absolument être
inscrite dans la Constitution) augmenter
de 3%. Concrètement, cela représente une
aide sociale de 1 500 roubles, soit
environ 21,50 euros. Cette coquette
somme est répartie, je cite, de la
manière suivante :
"environ 900
roubles (12,85 euros) pourront servir
pour les médicaments, 137 roubles (1,95
euros) pour aller dans un sanatorium et
le reste de la somme (soit environ
463 roubles - 6,61 euros) pour les
trajets internationaux pour les vacances."
Cette absurdité est
annoncée avec le plus grand sérieux par
le Gouvernement. Passons sur la
faiblesse du montant de la somme, en
soi, de cette aide sociale. Oser dire
moins de deux euros, après indexation,
pour aller dans un sanatorium (à
cheval?), 12 euros pour les médicaments
(surtout que cette catégorie de
personnes n'aura pas les moyens d'une
complémentaire, pas encore répandue en
Russie de toute manière), et comme nous
sommes généreux, vous pourrez
utiliser ce qui reste, soit 6,61
euros pour aller en vacances à
l'étranger ! Dans quel monde vivent
les ministres et autres managers qui
prévoient non seulement ces "réformes",
mais qui préparent les textes de
déclarations ? Ils vivent dans un monde
où il faut partir en vacances à
l'étranger, donc l'on maintient le
discours pour bien se différencier de
l'époque soviétique. Mais sans se donner
les moyens d'un Etat social, qui coûte
cher. Cela ressemble à une mauvaise
imitation. Mieux aurait valu
discrètement indexer, sans présenter
cette petite mesure technique comme un
grand acquis social.
L'absurdité de la
chose est telle que, de manière très
naturelle, la présentatrice du reportage
sur la chaîne Rossiya en Kamtchatka,
lors de l'enregistrement de l'émission,
est simplement partie en fou rire en
répétant à ses collègues "le reste de
la somme pour les trajets internationaux
pour les vacances". Il est vrai
qu'en lisant le texte, il était
difficile de réagir autrement. A son
insu, la vidéo a été diffusée et fait
fureur, non pas uniquement sur le net :
Panique à bord.
Comment peut-on rire de l'Etat social ?
Le directeur de la filiale régionale de
cette chaîne fédérale a eu une
discussion avec la journaliste, pour
l'instant, heureusement,
aucune mesure disciplinaire n'a été
prise - mais ils réfléchissent.
Car c'est justement
le journalisme que les gens aimeraient
voir, en direct, diffusé officiellement.
Un journalisme objectif et raisonnable.
Comment ne pas rire devant ces
chiffres aussi ridicules que les
déclarations sont prétentieuses ?
Une saine réaction, qui devrait plutôt
faire réfléchir et le Gouvernement, et
leur service de communication. Dans le
cas contraire, l'on pourrait toujours
remplacer les journalistes par des
robots, ils se programment plus
facilement, les humains résistent encore
un peu.
PS: Note aux
journalistes : faites attention avec les
manageurs, ce sont des gens
sérieux, qui s'occupent de choses
sérieuses, et qui n'ont aucun
sens de l'humour. Comme dirait le Petit
Prince, ce ne sont pas des hommes, ce
sont des champignons !
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