Russie politics
Une histoire vécue du coronavirus
ou
comment repousser les limites de
l'absurde
Karine Bechet-Golovko
Vendredi 1er mai 2020 Pour continuer
notre voyage en Absurdie, promenons-nous
aujourd'hui dans les couloirs du Centre
médical de Tsaritsino (qui avant
s'occupait de la réhabilitation des
invalides - qui maintenant peuvent
attendre), cet étrange établissement en
périphérie de Moscou qui reçoit les
personnes atteintes d'une forme légère
de coronavirus, ayant violé les règles
d'isolement ou ne pouvant passer leur
période d'isolement à domicile. Le
danger est tel, que les patients sont à
plusieurs par chambrée, qu'ils ne
reçoivent pas de traitement et qu'ils ne
sont pas examinés par des médecins.
L'histoire d'un de ces hommes qui n'a
rien compris à ce qui lui est arrivé, il
avait simplement suivi à la lettre les
recommandations officielles. Cette
histoire fut publiée dans la
presse, finalement confirmée "malgré
lui" par le Département de Moscou de la
protection sociale, qui rappelle
simplement qu'il manque de la place
(donc plusieurs par chambrée en
isolement), que le traitement n'y est
pas prévu, mais qu'un appareillage de
base y est (thermomètre, prise de la
tension ...) et que le patient concerné
a donné son accord pour y être "isolé" -
donc cette histoire est vraie. La voici.
Le Centre médical
de Tsaritsino fait partie de ces
établissements qui ont été reprofilés
pour sauver le monde du coronavirus. En
l'occurrence, il doit héberger les
personnes qui sont touchées par une
forme légère, ayant soit violé leur
isolement, soit ne pouvant rester en
isolement à domicile.
Marat Maksutov
travaille dans un magasin d'électronique
à Moscou. Il rentre chez lui le 30
mars, ne se sent pas très bien, a
une température un peu élevée et suivant
les recommandations officielles, appelle
les urgences - puisque la médecine ne
peut plus fonctionner normalement en
raison de l'hystérie Covid. La première
fois, le SAMU refuse de se déplacer. A
l'aurore, la température augmente, il
rappelle, un médecin arrive, fait des
tests, lui dit que ce n'est rien, qu'il
n'a aucun symptôme, qu'il reste trois
jours à la maison avec quelques cachets
et ça passera. Ils doivent le tenir au
courant des résultats du test au
coronavirus. En effet, ça va mieux, ça
va bien. Il se rend à la clinique du
quartier le 2 avril pour obtenir
et les résultats du test et un
certificat pour son employeur. Le
médecin traitant lui dit que tout va
bien, son test est négatif. Mais
pour le certificat de travail, il doit
se rendre dans une autre clinique, à
laquelle était rattachée le médecin qui
s'est déplacé en urgence. Impossible de
les joindre au téléphone pendant deux
jours.
Le 4 avril,
coup de téléphone. Sa femme décroche -
votre mari est positif au
coronavirus. Rappelons, même
test dit négatif deux jours plus tôt, il
se sent en pleine forme. La voix au
téléphone : qu'il ne bouge pas, on
envoie une ambulance. A l'arrivée du
médecin urgentiste, sans lui
montrer aucun résultat de test
au coronavirus, il commence les
formalités administratives de son
isolement et lui propose de rester à
domicile pendant deux semaines
(puisqu'il est guéri), mais sa femme est
enceinte, il accepte donc d'être placé
dans le Centre médical de Tsaritsino. Le
médecin ne refait aucun nouveau test sur
lui (alors que les résultats étaient
controversés), en revanche un test est
fait sur sa femme et leur ami qui vit
avec eux.
Il part en
ambulance pour le Centre, y passer deux
semaines en observation. Rappelons le
discours sur le coronavirus - les
distances, les masques, les gants, les
désinfectants etc. Dans ce Centre,
ils vont être trois dans la même
chambre, il n'y aura pas de désinfection
tous les jours (et en principe l'eau ne
sentait absolument pas le chlore), la
poussière a été faite une fois le jour
de sa sortie au bout de 16 jours, pas de
traitements, juste un contrôle de la
température, les portes sont fermées à
clés et les documents d'identité
retirés. Cela ressemble plus à un
régime carcéral, qu'à un
établissement de soins.
Parfois, d'étranges
circulations de patients âgés, en robe
de chambre arrivant quelques jours, qui
ensuite sont envoyés, de nuit,
ailleurs.
Aux différentes
demandes de lui restituer ses documents
d'identité (puisqu'il ne pense pas se
sauver en pyjama), le personnel médical
louvoie - le médecin n'est pas là, la
clé n'est pas disponible, la
photocopieuse est en panne. Finalement,
le 6 avril, après avoir menacé de
recourir à la force pour récupérer ses
papiers (puisqu'il n'est pas incarcéré)
et de retourner ensuite dans sa chambre,
au repas de midi, le passeport et un
papier sont glissés sous la porte de la
chambre. Le papier indique que toute
fuite de l'établissement est sanctionnée
par une peine allant jusqu'à 5 ans de
travaux d'intérêt général, de 5 ans de
privation de liberté et d'une amende de
100 à 500 000 roubles.
Bonne
ambiance, rappelons que Marat a
simplement été trop discipliné, qu'il a
simplement suivi toutes les instructions
à la lettre. Et qu'il ne sait même pas
quel est le résultat de son premier et à
ce jour unique test au coronavirus,
qu'il n'en a jamais vu le résultat.
Quand au bout de
quelques jours, sans avoir vu son
médecin traitant, l'aide-soignante lui
affirme que deux très bons
infectionistes travaillent ici, il
demande qui s'occupe de lui, la jeune
femme promet de se renseigner. Toutes
les autres également. Il n'obtient pas
la réponse. Un numéro de téléphone lui
dit-on est affiché à la place de la
liste des médecins, il peut tenter de se
renseigner. Pour l'instant, il n'a
aucun accès à son dossier médical, ni à
son médecin, il n'a jamais été examiné.
Un jour, son
employeur l'appelle : il a besoin de
parler avec un médecin, car Marat est
officiellement inscrit dans la liste des
malades du coronavirus (rappelons que
depuis le test controversé, aucun autre
n'a été fait). Or, le personnel
soignant refuse de prendre l'appareil,
chacun se sauve dans son coin.
Dans la chambrée,
il y avait un jeune du Guatemala, qui
parlait trois mots de russe. Quand on
lui a téléphoné, aucun membre du
personnel de ce Centre n'a voulu prendre
l'appareil pour expliquer ce qu'il
avait. Il en était en larmes. Se sentant
abandonné, sans savoir ce qu'il avait,
ce qui se passait.
Finalement, le
13 avril, alors que Marat est sous
"observation" depuis le 4 avril, on
vient enfin lui faire un autre test. Non
pas du nez, mais simplement de salive.
Le test s'avère négatif. Théoriquement,
il peut donc sortir. C'était le 18
avril. Il devait sortir le même
jour, mais rien ne se passe. Et aucun
médecin ne l'a toujours examiné.
Lorsqu'il reçoit le certificat
confirmant qu'il ne présentait plus de
risque de contamination, il demande son
nom au médecin, toujours silencieux, qui
lui tourne le dos et part. Etrange
comportement pour un médecin. A 18
heures, ce médecin est revenu pour lui
dire qu'il ne pourra pas sortir -
l'un des autres patients de la chambrée
a été testé positif le 13 avril, même si
le 15 il était négatif, ils doivent tous
rester ensemble en "observation"
jusqu'au 27 avril.
La joie de
"l'isolement collectif". A ce rythme-là,
il est possible de garder longtemps les
patients ...
Les réactions
furent immédiates : mais pourquoi
sommes-nous enfermés ici? La pression
monte suffisamment pour que le jour
suivant, une aide-soignante lui donne un
papier avec un numéro de téléphone a
appeler. S'exécutant, il parle avec un
médecin responsable, qui lui propose
d'effectuer le reste de son "temps" à
domicile. Acceptation immédiate. Le
20 avril, au moment de sortir, Marat
veut préciser certains points.
Finalement, il peut sortir dans la rue,
sans isolement, ses tests sont négatifs,
il ne présente aucun danger.
Morale de
l'histoire : Si l'on ne veut pas tomber
dans l'absurde, il vaut mieux regarder
de loin ce cérémonial d'offrande au
nouveau dieu Covid.
Le sommaire de Karine Bechet-Golovko
Le dossier
Covid-19
Le dossier
Russie
Les dernières mises à jour
|