Politique
Que rien ne change,
pour que tout change !
Jean-Claude Paye
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Jean-Claude Paye
Jeudi 8 juin 2017
L’élection du
candidat « anti-système » Emmanuel
Macron, au poste de président de la
République, ne révolutionne pas le
système, ni les « valeurs »
politiques. Les réformes présentées
s’inscrivent dans une tendance existante
depuis des dizaines d’années, telle
l’absence de toute alternative possible
à la mondialisation libérale. Cette
politique est consacrée par la primauté
des marchés et des organisations
internationales sur les politiques
nationales, ainsi que par la volonté
d’être, en même temps, de gauche et de
droite , une modernisation du « ni
gauche, ni droite » de la « troisième
voie », déjà en partie adopté par
les partis continentaux.
Surtout, cette élection finalise une
crise aiguë de la représentation
partisane. L’organisation des primaires
enlevait déjà aux membres d’un parti la
possibilité de désigner leur candidat.
En outre, nombre de dirigeants
socialistes réclamaient le démantèlement
de leur propre parti. L’effondrement du
système de représentation politique,
ainsi que sa « réorganisation »
par le mouvement « En Marche »
n’est donc pas une surprise, mais
l’aboutissement d’une tendance lourde.
Il s’agit, comme le slogan de campagne
de Giscard d’Estaing l’exprimait, d’un
« changement dans la continuité ».
Le législatif désigné par l'exécutif.
Cependant, la succession rapprochée de
modifications d’ordre quantitatif
aboutit à une mutation qualitative. Il
suffit que rien ne change dans la
tendance imprimée aux réformes pour que
celles-ci aboutissent à une
transformation profonde de
l’organisation du pouvoir.
La plupart des prérogatives ont déjà été
transférées aux mains de l’exécutif, au
détriment des pouvoirs législatif et
judiciaire. Cependant, c’est la première
fois que le Président a la possibilité
de choisir directement une partie
importante des membres de l’Assemblée
Nationale. La structure de « En
Marche » est particulièrement
centralisée. Le mouvement présente une
spécificité : les candidats à l’élection
législative ne sont pas élus par les
bases locales du mouvement, mais
désignés, d’en haut, par une commission
dont les membres sont choisis par E.
Macron[1].
Les élus n’apparaissent plus comme
représentants, de sections locales de
partis et d’électeurs d’une
circonscription électorale, mais comme
des agents du pouvoir exécutif légitimés
par le vote des citoyens. Rappelons que
les sondages placent « En Marche »
en tête des intentions de votes, ce qui
donnerait au Président la possibilité de
désigner une partie importante des élus.
Remarquons que le projet présidentiel de
réduire le nombre de députés, de
577 à 300, ne pourra que renforcer la
fragilité des députés face à un
président, auquel ils sont redevables de
leur poste et de son éventuel
renouvellement.
Si le Président n’a pas encore la
possibilité « d’élire le peuple »,
il a néanmoins la capacité de choisir
nombre de ses représentants.
E. Macron veut supprimer toute
possibilité de résistance du pouvoir
législatif. C’est dans ce contexte qu’il
faut comprendre sa volonté de
renouvellement de la classe politique.
Désirant mettre de côté les « professionnels »
de la politique, c’est dire ceux qui ont
une bonne connaissance des arcanes du
pouvoir et qui auraient ainsi d’avantage
de moyens pour lui mettre des bâtons
dans les roues. Ainsi, le Président veut
qu’un élu ne puisse accomplir plus de
trois mandats successifs. Pour lui, la
fonction élective ne serait un métier,
mais une « vocation ». Afin de
faire pression sur les partis qu’il ne
contrôle pas, il propose que le
financement public des partis soit en
partie conditionné par le renouvellement
des candidats investis.
Annihilation du
pouvoir législatif
La volonté de réduire le pouvoir
législatif à une simple chambre
d’enregistrement est confortée par le
désir d’E.Macron de légiférer par
ordonnances. L’article 38 de la
Constitution stipule que « Le
gouvernement peut, pour l’exécution de
son programme, demander au Parlement
l’autorisation de prendre par
ordonnances, pendant un délai limité,
des mesures qui sont normalement du
domaine de la loi. » Après avoir
donné une habilitation législative au
gouvernement, pour un domaine tel que la
réforme de la loi du travail, le
Parlement ne pourra qu’accepter ou
refuser le projet présenté, mais en
aucun cas l’amender. Ainsi, il aura
perdu sa compétence législative, pour
une période déterminée et dans les
domaines définis par le projet
d’habilitation[2].
Comme les réformes envisagées, telle
celle du code du travail, sont
particulièrement impopulaires, le
pouvoir exécutif ne se contente pas de
choisir des élus d’une grande docilité
et veut anticiper toute velléité de
résistance, en retirant, pour ces
matières, la compétence législative au
Parlement. La capacité de neutralisation
des Chambres est également renforcée par
la proposition de transformer la
procédure accélérée en une procédure de
droit commun[3].
Cette opération, déjà existante, permet
de réduire le nombres de navettes entre
les deux chambres et réduit ainsi le
temps consacré au débat parlementaire.
Le changement consiste en ce que la
procédure d’exception deviendrait la
règle. Même si cette réforme,
nécessitant une révision de la
Constitution, aboutit, le nouveau
Président n’entend pas renoncer à la
procédure dite du « vote bloqué », bien
connue sous le nom de 49/3, une
technique permettant au gouvernement
d’engager la confiance, afin de faire
adopter un projet de loi sans vote de
l’Assemblée. Bref, même si l’exception
devient la norme, les
procédures d’urgence seront maintenues.
Ainsi, la séparation des pouvoirs, chère
à Montesquieu, mise à mal par des
dizaines d’années de réformes
concentrant les pouvoirs au sein de
l’exécutif, est ici complètement
annihilée. Cette procédure conduit à un
résultat qui aurait été apprécié par
Boris Eltsine lui-même, la mise en place
« d’un bon Parlement, d’un Parlement
qui vote les lois et qui ne fait pas de
politique. »
Subordination de la fonction exécutive.
La subordination du Parlement
s’accompagne d’une volonté de prise en
main de la haute administration.
L’entourage du nouveau président est
constitué de hauts fonctionnaires,
rencontrés par Macron à Bercy ou à
l’Elysée. Nombre de ceux-ci
participaient déjà à d’anciens
gouvernements. Ils assurent une
continuité des institutions et
bénéficient d’une expérience pouvant
être déterminante dans certains
dossiers. Cependant, le président a
annoncé sa volonté d’utiliser son
pouvoir de nomination, afin d’avoir bien
en main et au besoin de remanier la
haute administration[4].
Cette volonté n’est pas sans effet. La
haute administration joue un rôle
important dans la gouvernance exercée
par le pouvoir exécutif : préparation
des projets de lois, mise en place des
réformes. Elle peut disposer d’une
certaine marge de manœuvre vis à vis du
Président et du Premier Ministre par la
continuité de l’action administrative.
C’est justement avec une pratique,
existant depuis une vingtaine d’années,
permettant à chaque nouveau Président de
maintenir en poste nombre de directeurs,
déjà en place dans les gouvernements
précédents, que rompt Macron.
Cette prise en main de l’administration
s’accompagne d’un renforcement des
prérogatives attribuées aux énarques.
Ainsi, ceux-ci occupent 4 ministères
clés, ainsi que le poste de premier
ministre.
En augmentant son emprise sur la
fonction exécutive au détriment de la
continuité de l’action administrative,
afin de faire passer plus facilement des
réformes issues de l’UE, Macron nous
indique que, en fait, le pouvoir
exécutif national, malgré son
renforcement face au législatif, ne
travaille pas pour son propre compte,
mais est au service d’institutions
internationales, dont il est le relais.
La réforme du code du travail, promue
par l’Union européenne en est un bon
exemple.
La crise actuelle du système de
représentation partisan pourrait être
formellement comparée à l’action opérée
par le général de Gaule, lors de la
fondation de la cinquième république.
Cependant, la comparaison ne dépasse pas
le stade de l’image puisque, en 1958,
l’initiative gaullienne aboutit à un
renforcement de la souveraineté
nationale. L’opération du président
Macron conduit à son contraire.
État d’urgence et
réforme du code du travail.
A travers ses « recommandations, pays
par pays » publiées le 21 mai, la
Commission européenne vient d’annoncer
qu’elle attendait avec impatience la
future réforme du code du travail.
Pratiquant, tout en finesse, une
procédure langagière que la psychanalyse
appelle dénégation, le commissaire à
l’économie Pierre Moscovici a déclaré
que si « la Commission n’a pas à
s’immiscer dans les affaires d’un pays »,
la France « a besoin de
réformes »[5].
En fait, le contenu de la loi El Komri
et du nouveau projet de loi de réforme
du Code du travail vient des GOPE , des
« Grandes Orientations de Politique
Economique ». Devenues des
recommandations du Conseil aux pays
membres de l’Union européenne, elles
s’imposent à eux par le biais d’un
« suivi », par lequel le Conseil exerce
sa surveillance[6].
Les « attentes » de la Commission
européenne n’ont d’égales que celles du
patronat français[7],
le contenu du projet expliquant cette
double « espérance. » Dans son
édition numérique[8],
Le Parisien a présenté l'avant-projet de
loi du 12 mai, que le gouvernement veut
imposer en légiférant par ordonnances.
Il s’agit d’abord d’élargir les
compétences de «la négociation
collective d'entreprise». Surtout,
il est précisé qu’il sera possible de
déroger à loi par un accord
d'entreprise. Une autre priorité
concerne le plafonnement des indemnités
« en cas de licenciement dépourvu de
cause réelle et sérieuse». Le projet
veut aussi simplifier les institutions
représentatives du personnel en
fusionnant le comité d'entreprise, le
comité d'hygiène, de sécurité et des
conditions de travail et le délégué du
personnel dans une instance unique qui
pourrait alors être autorisée à négocier
les accords d'entreprise, prérogative
jusqu'à présent réservée aux syndicats.
Se préparant à une forte opposition
sociale, le nouveau président a prévu,
non seulement de faire passer le texte,
au pas de charge, par le biais
d’ordonnances, mais aussi et surtout de
prolonger l’état d’urgence jusqu’au
premier novembre, rappelant par là la
première fonction de cette suspension
des libertés : neutraliser le droit de
manifester et au passage supprimer
cinquante ans de conquêtes sociales et
non empêcher des attentats terroristes.
La moralisation de
la politique
Après avoir été élu « par devoir »,
par des citoyens voulant « faire
barrage à l’extrême droite », la
morale est tout aussi prégnante dans les
déclarations du nouveau président. La « vocation »,
base de l’engagement des élus, se double
d’une « moralisation de la vie
publique ». Cette dernière devient
« le socle » de l’action
du Président. Il insiste
particulièrement sur l'exemplarité des
élus. L'image des élus efface tout débat
politique. E. Macron fait « de la
moralisation » une question urgente,
en élaborant un premier texte, dès avant
les élections législatives. Un casier
judiciaire vierge, hors condamnation
mineures et contraventions, serait
nécessaire pour devenir parlementaire[9].
Ce projet est centré sur l'affaire
Fillon, en prévoyant d'interdire les
emplois familiaux pour les élus et les
ministres. Il prévoit aussi une réforme
sur les moyens financiers mis à la
disposition des députés et sénateurs en
imposant la « transparence » sur
les conflits d’intérêts pour les élus et
les ministres, ainsi que le non-cumul
des mandats[10].
Ce projet de loi sur la moralisation
publique est légèrement perturbé par
l’affaire du ministre de la Cohésion des
territoires Richard Ferrand, épinglé
pour une affaire immobilière impliquant
sa compagne et critiqué pour le mélange
qu’il pratique depuis vingt ans entre
chose publique et affaires
privées[11].
Pour le moment, Richard Ferrand exclut
clairement de démissionner. «Je ne le
ferai pas pour deux raisons: d'abord
j'ai ma conscience pour moi, je ne suis
pas mis en cause par la justice de la
République que je respecte profondément,
et (...) je veux me consacrer aux
priorités de mon ministère»,[12]
a-t-il réaffirmé. Le parquet de Brest
avait dans un premier temps estimé que
les faits ne constituaient pas une
infraction. Le procureur Éric Mathais
s'est ravisé a ouvert une enquête
préliminaire «après analyse des
éléments complémentaires.»
Une morale à géométrie variable.
La manière dont cette affaire est
traitée est intéressante. Le peu de
pressions exercées sur Monsieur Ferrand
pour le pousser à la démission montre
bien la distinction que le nouveau
pouvoir entend faire entre « l’abus
de biens sociaux » que constitue
l’existence de d’emplois fictifs et la
normalité du monde des affaires qui
consiste à utiliser légalement les biens
publics au profit d’affaires privées.
D’ailleurs, le ministre de la Cohésion
des territoires n’y voit aucun conflit
d’intérêts.[13]
Il n’y a en effet aucune
opposition : les biens publics sont,
depuis le début du capitalisme, une base
de valorisation de patrimoines privés.
La notion de morale porte tout autant
sur les populations que sur leurs
représentants. Cependant, lorsque les
citoyens, soumis à un impératif
catégorique de voter « par devoir »
pour Macron afin de contrer le Front
National, ils le font indépendamment de
leur intérêt qui est notamment de
supprimer la réforme du code du travail.
Nous nous trouvons là face à une loi
morale purement abstraite, d’ordre
kantien, selon laquelle « la volonté
doit se résoudre à cette action,
abstraction faite de tous les objets de
la faculté de désirer »[14].
Il n’en est pas de même en ce qui
concerne la morale des « représentants
du peuple » pour qui, tel que le
montre l’affaire Ferrand, l’intérêt et
le devoir sont fermement réunis. Le
ministre de la Cohésion des territoires
se réclame alors d’une conception
défendue par Jérémie Bentham, penseur du
capitalisme naissant, selon laquelle « en
saine morale le devoir d’un homme ne
saurait jamais consister à faire ce
qu’il est de son intérêt de ne pas faire [15]».
Jean-Claude Paye,
sociologue.
« Les GOPE, ce sont les «Grandes
Orientations de Politique
Économique». Plus précisément,
ce sont des documents préparés
par la direction générale des
affaires économiques de la
Commission européenne.
Conformément à l'article 121 du
Traité sur le Fonctionnement de
l'Union européenne (TFUE), ces
documents sont ensuite transmis
au conseil Ecofin (c'est à dire
à la réunion des ministres
européens de l'économie et des
finances), puis au Conseil
européen (les chef d'État et de
gouvernement). Après validation,
les GOPE deviennent des
recommandations du Conseil aux
pays de l'Union et font l'objet
d'un suivi. Toujours selon
l'article 121, «le Conseil, sur
la base de rapports présentés
par la Commission, surveille
l'évolution économique dans
chacun des États membres». Cette
«surveillance multilatérale» est
rendue possible grâce aux
informations généreusement
fournies par les États à la
Commission » in Caroline Delaume,
« Ce que la loi El Khomri doit à
l'Union européenne »,
Le
Figaro.fr,
le 17 mai
2016,
http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/05/17/31001-20160517ARTFIG00137-ce-que-la-loi-el-khomri-doit-a-l-union-europeenne.php
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