France-Irak
Actualité
Contre la corruption et le
confessionnalisme,
les Irakiens dans la rue
Jean-Baptiste Assouad
Vendredi 4 septembre 2015
Par Jean-Baptiste Assouad
(revue de presse : L’Orient-Le Jour –
31/8/15)*
Contestation - Depuis
plusieurs semaines, la population
irakienne envahit les grandes places de
Bagdad, de Bassora et de Najaf pour
crier sa colère face à des conditions de
vie insoutenables et l'inaction d'élites
qu'elle juge corrompues.
Vendredi dernier, plusieurs milliers
de personnes se sont à nouveau réunies
sur la place Tahrir, à Bagdad, pour
manifester contre un système politique
corrompu et sectaire, et des conditions
de vie médiocres. Cette manifestation
s'inscrit dans la continuité d'un
mouvement global qui ne touche pas
seulement la capitale irakienne mais
toutes les grandes villes du sud et du
centre du pays, les parties du
territoire encore censées être sous le
contrôle du gouvernement irakien.
Munis de pancartes sur lesquelles on
peut lire : « Il n'y a pas de fin à
la corruption sous le confessionnalisme
et le nationalisme », ou des slogans
contre les élites politiques telles que
« Daech et le Parlement, deux faces
d'une même pièce », des Irakiens de
tous horizons et de tous âges se
rassemblent tous les vendredis depuis le
mois de juillet pour exprimer leur
mécontentement face à une situation
invivable.
« C'est un mouvement populaire
large, qui ne peut pas s'analyser en
termes de communautarisme »,
affirme Myriam Ben Raad, chercheuse et
spécialiste de l'Irak et du Moyen-Orient
au CERI-Sciences Po, à l'Institut
de recherches et d'études sur le monde
arabe et musulman (Iremam). « Il s'agit
d'un mouvement populaire social,
intergénérationnel, qui rassemble des
Irakiens de toutes les communautés,
mobilisés contre une classe politique
corrompue et incapable, et qui a perdu
contre l'organisation État islamique
(l'EI) », ajoute-t-elle. C'est ce
contexte de guerre, couplé à des
températures atteignant les 50°C, avec
seulement trois heures d'électricité par
jour et peu d'eau, qui a poussé la
population à descendre dans les rues,
afin d'exprimer son ras-le-bol contre la
corruption et le confessionnalisme qui
gangrènent le pays.
Ces revendications ne sont pas
nouvelles. Déjà en 2011, une série de
manifestations avaient été organisées
dans les grandes villes du pays, telles
que Bassora, Mossoul ou Bagdad. Des
manifestations qui avaient été
violemment réprimées par le gouvernement
de Nouri al-Maliki alors en place. Selon
Transparency International,
l'Irak est le 6e pays le plus corrompu
au monde, une situation que ne veut
évidemment pas changer une classe
politique surpayée, organisée en clans
familiaux ou confessionnels et qui
s'entoure de nombreux gardes du corps,
eux aussi surpayés. Vivant dans un pays
jouissant de ressources pétrolières, qui
devraient engendrer une certaine manne
financière, la population irakienne n'en
a toutefois jamais vu la couleur, les
recettes se dirigeant toujours vers les
portefeuilles des hommes au pouvoir. De
fait, la puissance financière de ces
derniers diminue fortement les
probabilités de changement pour des
habitants qu'on laisse vivre « comme
des animaux », selon Myriam Ben
Raad. À ces garants du statu quo
s'ajoute l'EI, à qui l'incapacité de
l'État a permis de conquérir les
territoires majoritairement sunnites, à
l'aide de promesses non tenues et de
crimes de guerre. Une situation qui
arrange bien les milices chiites, dans
la mesure où elle est la raison même de
leur existence et de leur puissance.
Abadi, presque seul au monde
Dans ce contexte tendu, le Premier
ministre Haidar al-Abadi a annoncé, le 9
août, un plan de réformes, dont les plus
importantes sont : la suppression des
postes des trois vice-Premiers ministres
et des trois vice-présidents, parmi
lesquels M. Maliki, ancien Premier
ministre, accusé de corruption et
d'autoritarisme ; la suppression «
des quotas confessionnels » au
niveau de la nomination des hauts
fonctionnaires ; la suppression des
gardes du corps des hommes politiques.
« Conscient de la gravité du
problème », selon Myriam Ben Raad,
et « sincère », selon le
journaliste indépendant, spécialiste de
la question irakienne et secrétaire
général de l'association Amitiés
franco-irakiennes, Gilles Munier,
M. Abadi est toutefois isolé face à ce
système corrompu, et ses réformes, même
si elles ont été votées par le
Parlement, risquent d'être
insuffisantes.
Gilles Munier s'inquiète également
des proportions que peuvent prendre les
manifestations « si elles donnent
des idées à des États manipulateurs ou
sont déstabilisées par des hommes
politiques locaux ». Il estime par
ailleurs que « si le régime ne tient
pas ses promesses, l'Irak se dirige vers
un coup d'État » des milices
chiites qui possèdent la puissance
militaire.
Toutefois, M. Abadi bénéficie au
moins du soutien des hommes de religion,
au premier rang desquels l'ayatollah
respecté Ali al-Sistani, qui a demandé
au Premier ministre de pousser les
réformes encore plus loin dans la lutte
contre la corruption, ou encore le
dignitaire religieux Moqtada Sadr qui a
fait preuve de bonne volonté en
demandant à un de ses hommes en poste au
gouvernement, accusé de corruption, de
démissionner, et s'est rendu dans les
rues pour manifester avec la population.
L'aide des religieux et la pression de
la rue procurent tout de même « une
certaine marge de manœuvre » à M.
Abadi, estime Myriam Ben Raad, tandis
que Gilles Munier souligne le rôle
déterminant de l'ayatollah Sistani et
estime que « tant qu'il est vivant,
il y a de l'espoir ».
*Source :
L’Orient-Le Jour
© G. Munier/X.
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Publié le 4 septembre 2015 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
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