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Macron, le coup d’Etat et la
tentation de l’Aventin
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Vendredi 30 juin 2017
La mise en place du
« système Macron » se poursuit, tant
pour ses dimensions formelles,
qu’informelles. Ces dimensions nous
confirment la nature autoritaire de ce
système, sous un masque affiché de la
« bienveillance ». Les incidents qui se
sont multipliés au Parlement, où La
République en Marche et ses alliés
trustent l’essentiel des postes, avec la
décision du Président de la République
de présenter un message au « congrès »
(l’Assemblée Nationale et la Sénat)
réuni à Versailles, ne sont pas de bon
augure. Les projets d’ordonnances et de
lois viennent compléter le tableau. Un coup d’Etat
silencieux ?
Un premier incident
a donc marqué la session inaugurale du
Parlement élu lors des dernières
élections législatives. Au-delà de
l’élection de M. de Rugy, un
représentant typique de l’opportunisme
parlementaire le plus débridé, et l’une
des personnalités les moins honorables
de cette assemblée, c’est la
monopolisation des postes par LREM,
en particulier en ce qui concerne la
questure, qui a retenu l’attention. Bien
sûr, rien n’interdit au parti
majoritaire à l’Assemblée de rafler tous
les postes. Mais, ce système des
dépouilles à l’américaine est
profondément étranger à la culture
politique française. Cette dernière,
justement parce que nous sommes dans un
système où les pouvoirs ne sont pas
strictement séparés – comme aux
Etats-Unis – inscrit dans ses pratiques
l’obligation du pluralisme. C’est cette
tradition que LREM a foulée aux
pieds. Mais, nous avons eu plus, en
l’occurrence qu’une manifestation de
mépris pour l’opposition. Le Président
de la République est, en effet, en train
de se livrer à un véritable coup d’Etat
silencieux.
Ce coup d’Etat vise
ses adversaires, mais il vise aussi ceux
qui le soutiennent. Comment ne pas voir
que la décision d’Emmanuel Macron de
parler devant les deux chambres réunies
en Congrès va miner l’autorité et la
crédibilité de son Premier-ministre, M.
Edouard Philippe. Assurément, les
relations entre le Président de la
République et son Premier-ministre n’ont
jamais été simples sous la Vème
République. Mais, du moins,
mettaient-elles quelques mois avant de
se dégrader explicitement. Aujourd’hui,
c’est dès le départ que le Président
entend nous montrer qu’il est le seul à
prendre des décisions, qu’il est non pas
l’ultime autorité, mais bien la seule.
Et, ce faisant, il tord à nouveau la
Constitution de la Vème République et à
un degré bien plus important que
n’importe lequel de ses prédécesseurs.
Ceci, combiné avec la très faible
légitimité d’une assemblée élue par
moins de 16% des électeurs inscrits, est
bien la marque d’un coup d’Etat
silencieux.
Quand le
Président ne respecte même pas l’esprit
de la loi…
La décision
d’Emmanuel Macron de ne pas donner
d’interview pour le 14 juillet, et de
présenter un message au Congrès réuni
pour l’occasion à Versailles, sont deux
actes qui montent cette fois un mépris
profond pour ceux qui l’on soutenu, et
qui on voté tant pour lui que pour les
candidats qui se sont présentés sous
l’étiquette En Marche. La réunion
du Congrès est la plus spectaculaire,
mais pas nécessairement la plus
significative. Dans la constitution de
la Vème République, la réunion du
Congrès est réservée à des actes
solennels. Pas à la présentation du
programme du quinquennat. En décidant
d’annoncer son programme dans ces
conditions, Emmanuel Macron montre qu’il
renverse dans la réalité l’ensemble de
l’édifice constitutionnel français, un
édifice qui veut que le gouvernement, et
son chef, le Premier-ministre,
déterminent et conduisent la politique
de la Nation. Il faut ici rappeler à
ceux qui les auraient oublié, les deux
articles de la Constitution de la Vème
république.
Tableau 1
Articles 20
et 21 de la Constitution
|
Article
20 :
Le
Gouvernement détermine et
conduit la politique de la
nation.
Il
dispose de l’administration et
de la force armée.
Il est
responsable devant le Parlement
dans les conditions et suivant
les procédures prévues aux
articles 49 et 50.
|
Article
21 :
Le
Premier ministre dirige l’action
du Gouvernement. Il est
responsable de la défense
nationale. Il assure l’exécution
des lois. Sous réserve des
dispositions de l’article 13, il
exerce le pouvoir réglementaire
et nomme aux emplois civils et
militaires.
Il peut
déléguer certains de ses
pouvoirs aux ministres.
Il
supplée, le cas échéant, le
Président de la République dans
la présidence des conseils et
comités prévus à l’article 15.
Il peut,
à titre exceptionnel, le
suppléer pour la présidence d’un
conseil des ministres en vertu
d’une délégation expresse et
pour un ordre du jour déterminé.
|
Source :
Constitution, titre III,
http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/la-constitution-du-4-octobre-1958/texte-integral-de-la-constitution-du-4-octobre-1958-en-vigueur.5074.html#titre3
On dira, bien sût,
que cela fait des années, depuis que
Jacques Chirac a fait voter la réforme
du quinquennat, que le Président de la
République s’est transformé en chef de
la majorité parlementaire. C’est
indubitablement exact, mais cette
évolution de la pratique restait
contredite par le texte de la
Constitution, et les Présidents
successifs, Sarkozy et Hollande, pour
tous les défauts qu’ils ont eus et
toutes les dérives qu’ils ont
engendrées, n’avaient pas osé violer de
manière aussi explicite l’esprit comme
la lettre de la Constitution.
Le Président et
la souveraineté
Cet acte est en
lui-même particulièrement grave ; mais
il n’est pas isolé. En réalité, le refus
du Président de se livrer à l’exercice,
certes convenu, de l’interview du 14
juillet révèle un degré supérieur, et
jusqu’alors inattendu, de mépris de la
part du Président. Cette interview
permettait au Président de s’adresser
directement aux Français. En ce sens,
elle jouait un rôle important, au-delà
des détails de son déroulement.
Bien sûr, on pourra
dire qu’un message au Congrès présente
les mêmes avantages. C’est ici se
tromper profondément sur le sens et de
la République et de nos institutions. A
travers cette interview, le Président
s’adressait directement au peuple et non
à ses représentants, au peuple qui est
le dépositaire de la souveraineté
nationale. Il est vrai que le Président
Emmanuel Macron ne fait pas grand cas de
la souveraineté. Et c’est peut-être là
qu’il faut chercher la véritable raison
de l’abandon de cette « tradition » et
de la création de cette « innovation »
que représente le message au Congrès.
Car, quand on ne reconnaît plus la
souveraineté du peuple, peu importe le
mépris dans lequel on tient que ce soit
ses adversaires ou ses propres amis.
En fait, tel est
bien le fond du problème. Emmanuel
Macron élu par surprise, et en un sens
contre la volonté de la majorité des
Français, ne peut s’appuyer sur une
quelconque souveraineté populaire. Il
doit donc saccager tous les symboles de
cette dernière. Nous l’avons vu lors du
Conseil européen des 22 et 23 juin
dernier. Nous le voyons avec cette
imitation aussi grossière que grotesque
du « message sur l’état de l’Union »
auquel se livre le Président des
Etats-Unis, mais dans un contexte et
dans des traditions politiques
complètement différentes.
Se retirer sur
l’Aventin ?
Si ces différents
actes n’ont pas suscité la réprobation
et les protestations qu’ils devraient,
c’est que l’opposition est, pour
l’instant, en miettes. L’ancien UMP,
rebaptisé Les Républicains, est
divisé par le ralliement d’une partie de
ses membres au pouvoir d’Emmanuel
Macron. Plus profondément encore, sa
ligne, conservatrice et européiste, ne
peut que satisfaire ceux des « Républicains »
qui ont communié dans cette idéologie
mortifère. Le P « S » est agonisant,
saigné par une hémorragie de macronisme.
Quant aux deux partis qui pourraient
incarner cette opposition véritable, ils
se débattent dans des situations
difficiles. Le Front National ne finit
pas de payer et l’épisode du « débat »
de l’entre-deux tours et son manque de
crédibilité politique, et la France
Insoumise peine aujourd’hui à
convaincre ses électeurs potentiels
qu’elle est une force capable d’incarner
une opposition globale, c’est à dire
véritablement souverainiste.
Dans ce contexte,
face à cette succession de coups de
force et à ce coup d’Etat rampant, seuls
quelques députés, dont ceux du groupe de
la France Insoumise, ont décidé
de ne pas se rendre à la réunion de
Versailles. Ils ont fait le bon choix.
Le peuple a signifié son mécontentement
par la « grève » du vote lors des
élections législatives. Il se prépare à
une forme de retrait des institutions
qui pourrait éclater de manière forte et
spectaculaire à la rentrée de septembre.
D’ici là, il convient de ne pas
participer au jeu pervers macronien et
se souvenir de ce proverbe romain :
ceux que Jupiter veut perdre, il les
prive d’abord de Raison…
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