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La mascarade de François Hollande
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Mardi 29 novembre 2016
Ainsi donc, François Hollande entend se
représenter à la Présidence de la
République. C’est en tout cas le
diagnostique que l’on peut établir à la
suite de la mascarade qui s’est joué le
lundi 28 novembre. Alors que la « droite
et le centre » se dotaient d’un candidat
d’importance en la personne de François
Fillon, nous avons eu droit à un épisode
tragi-comique dont le P « S » a le
secret. Une sorte de tango, non pas
argentin, non pas corse, mais tout
simplement élyséen[1] ;
Valls avance de deux pas dans le JDD du
dimanche 27, de retour de Madagascar
Hollande s’avance à son tour d’un pas,
sa garde rapprochée donne de la voix, et
Valls recule d’un pas le lundi. Bref, on
a joué au Président à la vanille et au
Premier-ministre en chocolat. Tout ceci
pourrait être drôle si la situation
n’était en réalité tragique. Mais, cette
réalité, elle semble avoir tout à plein
échappé au Président comme à son
Premier-ministre. Ce quinquennat, qui
devait être placé sous le signe de la
« normalité » a débuté dans la banalité,
s’est poursuivi dans le ridicule et
s’achève par un naufrage, tant moral que
politique. Le journal Libération
parle d’une gauche Titanic[2] ;
il a tort. Sur le pont du Titanic, au
moins, il y avait un orchestre qui
jouait…
Une
communication sans politique
On
devine sans peine les projets de
François Hollande. Ragaillardi par
l’élection de François Fillon, il entend
proposer sa candidature comme un
« bouclier » face à une droite qualifiée
de « brutale » et comme un
« rassembleur » de la Nation face à un
Front National qu’il présentera comme
ferment de division. Au passage, il en
profitera pour vanter les mérites d’une
Europe fédérale, dont il se posera en
seul véritable champion, voire en
précurseur incompris. Bref, il prend la
pose comme Léonidas aux Thermopyles,
mais en oubliant qu’il est sur un
scooter. Ecrasons une larme devant la
beauté du programme de communication.
Car, c’est bien de cela dont il s’agit.
Il n’y a nulle politique dans ce projet.
Plutôt, c’est à une parodie de politique
à des fins communicationnelle à laquelle
on assiste. François Hollande entend
mimer un combat et non pas le mener.
A sa
décharge, ajoutons qu’il n’est pas le
seul acteur dans cette triste farce,
témoin d’une triste époque. Ses
adversaires au sein du P « S » n’ont pas
un plus beau rôle. Qu’il s’agisse de
Manuel Valls, dévoré par une ambition oh
combien visible qui le consume jusqu’à
l’os, d’Arnaud Montebourg qui
visiblement n’a rien oublié ni rien
appris de son fauteuil ministériel, de
Benoît Hamon qui joue les fils chéris de
Martine Aubry, sans parler de Marie-Noël
Lienemann et de Gérard Filoche qui se
battent honnêtement mais sans sortir de
l’obscurité, le tableau n’a rien
d’alléchant. Et ceci ne vaut que pour
les candidats potentiels à la
« primaire » du Parti dit socialiste.
Ces
primaires, il n’est même plus sûr
qu’elles aient lieu. François Hollande
s’applique consciencieusement à les
torpiller, ayant commencé la manœuvre en
suscitant la candidature de Mme Pinel du
PRG, oui cette sorte d’île déserte où un
Robinson élu devise avec un Vendredi
électeur, et la poursuivant par une
série d’indiscrétions. On voit bien à
quoi tend cette conbinazione, à
assurer à François Hollande un monopole
de fait sur la candidature de la
« gauche ». Mais, qu’un Président en
exercice en soit réduit à ce genre de
combinazione en dit long sur la
perte d’autorité et de légitimité qui le
frappe. Et qu’un Président frappé d’une
telle perte d’autorité et de légitimité
entende briguer un autre mandat prouve
qu’il a bien perdu tout contact avec la
réalité.
Ce que
serait une véritable alternative à
François Fillon
Pourtant, il y a bien un espace pour une
véritable candidature de combat contre
François Fillon. Une candidature qui
présenterait une véritable alternative
au programme économique de ce dernier,
qui défendrait la place de la France en
Europe (et pas dans l’Union européenne)
en redéfinissant ses alliances et les
traités, qui ferait de la sécurité un
impératif global, qu’il s’agisse de la
sécurité physique des français (face à
la menace du terrorisme) ou qu’il
s’agisse de la sécurité sociale. Une
telle candidature aurait effectivement
des chances de l’emporter, car une
majorité de français, de gauche comme de
droite, sont légitimement inquiets des
conséquences inéluctables du projet
économique de François Fillon, tout
comme ils craignent que les réductions
drastiques d’effectifs dans la fonction
publique ne provoquent une forte
dégradation de la qualité des services
publiques, de la sécurité à la santé en
passant par l’éducation. Une telle
candidature présenterait une cohérence
entre un projet de redressement de
l’économie française passant par une
sortie de l’Euro mais aussi une
politique ambitieuse d’investissements
et un projet pour l’avenir de la France
redéfinissant ses relations
internationales en dehors du carcan
atlantiste que constitue aujourd’hui la
politique de l’Union européenne.
Le
projet qu’il faut opposer à François
Fillon est un projet global, et non un
ajustement sur quelques marges. Bien
entendu, tout n’est pas nécessairement à
jeter dans les propositions que ce
dernier a faites, et sur lesquels il a
été désigné comme candidat de la droite
et du centre. Mais, si le projet
économique est cohérent, sa cohérence
entraîne la France au désastre. Quant
aux propositions de politiques
extérieures, qui ne sont pas sans
mérites, comment François Fillon veut-il
les rendre compatible avec son
attachement à l’Union européenne ? Il y
a bien là une incohérence qui mine en
réalité la totalité de son projet. Le
projet qu’il faut opposer à celui de
François Fillon doit prendre la notion
de sécurité comme une notion globale et
construire les applications de cette
notion dans les divers domaine, que ce
soit en économie et l’organisation
sociale, dans les relations
internationales, par rapport au
terrorisme, ou encore sur la santé,
l’éducation, la gestion des territoires
ou l’ordre public. Car, après plus
trente ans de crises à répétition, c’est
bien un besoin de sécurité qu’expriment
les français, et ce besoin est ressenti
d’autant plus que l’on s’adresse aux
classes sociales les plus modestes, les
plus défavorisées. Ce besoin de sécurité
s’accompagne d’un besoin de démocratie
qui n’est pas moins grand. Ce besoin
s’enracine dans le déni de démocratie
dont le peuple français fut victime à la
suite du référendum de 2005 sur le
projet de Traité Constitutionnel
Européen. Or, il ne peut y avoir de
démocratie sans souveraineté, tout comme
il ne peut y avoir de démocratie sans
frontières. Les manipulations des
« primaires » le montre bien. Telle est
la deuxième jambe de ce projet
alternatif : permettre à la France de
retrouver sa souveraineté et dans le
même temps garantir à tous les français
un exercice de la démocratie en faisant
reculer les groupes de pressions et en
affirmant le droit du peuple à disposer
de lui même. Au slogan illusoire de
François Fillon, qui prétend promouvoir
la liberté et la responsabilité et qui
en réalité ne promeut que l’austérité et
la soumission, que ce soit celle des
faibles aux forts ou de la France aux
institutions européennes, il faut
opposer le slogan de souveraineté pour
la démocratie par la garantie d’une
sécurité globale.
Le
primat de la cohérence
Mais,
ce n’est pas vers cela que s’oriente à
l’évidence François Hollande. Comment
pourrait-il en être ainsi ? François
Hollande a sacrifié la souveraineté du
pays en faisant avaliser dès la rentrée
2012 le Traité sur la Stabilité, la
Coopération et la Gouvernance (TSCG),
traité qui avait été négocié par Nicolas
Sarkozy, son prédécesseur. François
Hollande n’a eu de cesse que de
favoriser divers groupes de pression au
détriment du bien commun. Il n’a eu de
cesse que de vouloir adapter la
législation française aux demandes de la
Commission européenne, et de cette
adaptation est issue l’inique « loi
travail » mais aussi bien d’autres
textes. François Hollande s’est aussi
donné corps et âme à une politique
étrangère marquée du sceau du
néoconservatisme et de l’atlantisme, une
politique qui s’est traduite par une
perte immédiate d’influence de la France
dans de nombreuses régions du monde. On
en a eu la preuve ultime lors du voyage
d’adieu du Président des Etats-Unis,
Barack Obama, qui s’est rendu en
Allemagne mais pas à Paris.
François Hollande proposera sans doute
quelques mesures destinées à adoucir une
purge qui serait néanmoins menée avec
les mêmes résultats que ce que propose
François Fillon, tout simplement parce
qu’il n’y a pas d’alternative possible
au sein de la zone Euro. Or, la
sauvegarde de la zone Euro, et
l’approfondissement des mécanismes de
l’Union européenne sont des articles du
dogme sur lequel, en tant que
grand-prêtre, François Hollande n’entend
pas transiger, et certainement ne
conçoit pas de les remettre en cause.
La
politique que François Hollande
proposera, et il en sera de même pour
l’ensemble des autres candidats issus de
la matrice du P « S », et cela inclut
bien entendu Emmanuel Macron, non pas
une alternative au projet de François
Fillon, mais une variante. Une variante
en apparence plus douce, mais en réalité
moins cohérente, et qui perdra à coup
sur lors d’une confrontation projet
contre projet. Car, en politique, la
cohérence paye. Et, si les « surprises »
des dernières élections, que ce soit le
BREXIT, l’élection présidentielle
américaine ou la « primaire » de la
droite et du centre, nous indiquent bien
quelque chose, c’est que la cohérence
finit par triompher, contre les
manipulations des experts en
communication.
Dès
lors, il n’y a pas d’autre choix que de
construire, dans les quelques mois qui
nous séparent du premier tour de
l’élection présidentielle, un projet
cohérent qui soit construit autour de
ces trois principes : souveraineté,
démocratie, sécurité. La construction
d’un tel projet conditionnera l’avenir
de la France et des français.
[1]
https://www.youtube.com/watch?v=AlBlV7E8nfc
[2]
http://www.liberation.fr/direct/element/demain-dans-libe_52899/
Le sommaire de Jacques Sapir
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