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L’arrêt « burkini » du Conseil d’Etat
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Vendredi 26 août 2016
Le Conseil d’Etat vient donc de
rendre un arrêt invalidant l’arrêté du
maire de Villeneuve-Loubet qui
« interdisait » le « burkini ». Cet
arrêté, parce qu’il était plus extensif
que ceux pris dans d’autres
municipalités, était plus vulnérable à
un argument d’ordre juridique. Notons
aussi que cet arrêté, parce qu’il
faisait référence aux « bonnes mœurs et
au principe de laïcité », ouvrait la
porte à une contestation en justice, ce
qui semble être moins le cas d’un arrêté
pris pour un motif « d’ordre public ».
Ceci ne fait que confirmer ce que l’on
avait noté dans un texte précédant[1],
soit que l’argument de laïcité, dans la
situation actuelle, ne pouvait être
juridiquement invoqué pour une
interdiction motivée du « burkini ».
Mais, l’arrêt rendu par le Conseil
d’Etat[2],
qui précise que «À
Villeneuve-Loubet, aucun élément ne
permet de retenir que des risques de
troubles à l’ordre public aient résulté
de la tenue adoptée en vue de la
baignade par certaines personnes. En
l’absence de tels risques, le maire ne
pouvait prendre une mesure interdisant
l’accès à la plage et la baignade»,
soulève, à son tour, d’autres problèmes.
« Burkini »
et ordre public
Le « burkini » comme d’autres
vêtements ne correspond pas à une
obligation explicite d’une religion (ici
l’Islam), mais bien à une interprétation
qui est donnée par certaines personnes
se réclamant de cette religion. En
invoquant, dans ses motifs, le « liberté
de conscience », ne peut-on pas
considérer que le Conseil d’Etat établit
en une jurisprudence ce qui relève d’une
religion, rôle qui – à l’évidence – ne
saurait être le sien ? Au-delà de cette
légitime interrogation, il convient tout
d’abord de rappeler que la loi de 1905[3],
dans sa formulation actuelle, stipule
bien que le « libre exercice des
cultes » se fait sous réserve de
« l’intérêt de l’ordre public ». Il est
intéressant ici de rappeler les divers
articles de la loi :
« Article 1
La République assure la
liberté de conscience. Elle garantit le
libre exercice des cultes sous
les seules restrictions édictées
ci-après dans l’intérêt de l’ordre
public. »
Ou encore :
« Article 25 ;
Les
réunions pour la célébration d’un culte
tenues dans les locaux appartenant à une
association cultuelle ou mis à sa
disposition sont publiques. Elles sont
dispensées des formalités de l’article 8
de la loi du 30 juin 1881, mais restent
placées sous la surveillance des
autorités dans l’intérêt de l’ordre
public. »
Si la municipalité de
Villeneuve-Loubet voulait ré-intervenir
sur cette question, elle devrait le
faire pour un temps limité et
en précisant que l’arrêté est pris pour
des motifs d’ordre public, motifs qui
devraient être explicités. C’est
d’ailleurs ce que firent les maires de
Cannes ou de Sisco. Il faut noter que le
maire de Sisco entend maintenir son
arrêté[4].
On peut penser que la question posée
par le « Burkini » va au-delà, qu’elle
implique un regard et une lecture du
rôle des femmes dans la société. Mais,
aujourd’hui, en l’état du droit, c’est
bien le motif dit « d’ordre public » qui
doit être utilisé, en attendant que le
législateur ne se penche sur la
question, et considère que ce qui n’est
qu’un vêtement « coutumier » est bien
contradictoire avec l’article 1 du
préambule de la Constitution.
L’arsenal
légal existant
Mais, une lecture attentive de la loi
de 1905 révèle aussi que la discussion
sur les mosquées dites « salafistes »,
voire l’idée d’interdire le « salafisme »
(qui est loin d’être le seul à poser
problème), est largement sans objet. Le
respect strict des articles de la loi de
1905 couvre la quasi-totalité des cas de
figure. Tout d’abord, en ce qui concerne
la tenue de discours politiques de
haines ou pro-Djihadiste, nous avons
l’article 26 :
« Article 26 :
Il
est interdit de tenir des réunions
politiques dans les locaux servant
habituellement à l’exercice d’un culte. »
De même en ce qui concerne les
« prières de rue », le point est traité
par l’article 27.
« Article 27
Modifié par
Loi n° 96-142 du 21 février 1996 (V) :Les
cérémonies, processions et autres
manifestations extérieures d’un culte,
sont réglées en conformité de l’article
L2212-2 du code général des
collectivités territoriales.
(…) »
Enfin, le cas des « prêcheurs de
haine », autrement dit de personnes se
réclamant de l’exercice du culte pour
tenir des propos haineux ou
diffamatoires envers quiconque (et les
femmes ou les minorités sexuelles sont à
l’évidence concernées), on conseille la
lecture de l’article 34 :
« Article 34
Modifié par
Ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre
2000 – art. 1 (V)
Tout ministre d’un culte qui,
dans les lieux où s’exerce ce culte,
aura publiquement par des discours
prononcés, des lectures faites, des
écrits distribués ou des affiches
apposées, outragé ou diffamé un citoyen
chargé d’un service public, sera puni
d’une amende de 3 750 euros. et d’un
emprisonnement d’un an, ou de l’une de
ces deux peines seulement.
La vérité du
fait diffamatoire, mais seulement s’il
est relatif aux fonctions, pourra être
établi devant le tribunal correctionnel
dans les formes prévues par l’article 52
de la loi du 29 juillet 1881. Les
prescriptions édictées par l’article 65
de la même loi s’appliquent aux délits
du présent article et de l’article qui
suit. »
De même, la provocation, ou l’appel à
provocation, quand il est le fait d’un
religieux ou qu’il se produit sur un
lieux de culte, tombe sous le coup de la
loi, ainsi que le précise l’article 35
de la loi de 1905 :
« Article 35 :
Si
un discours prononcé ou un écrit affiché
ou distribué publiquement dans les lieux
où s’exerce le culte, contient une
provocation directe à résister à
l’exécution des lois ou aux actes légaux
de l’autorité publique, ou s’il tend à
soulever ou à armer une partie des
citoyens contre les autres, le ministre
du culte qui s’en sera rendu coupable
sera puni d’un emprisonnement de trois
mois à deux ans, sans préjudice des
peines de la complicité, dans le cas où
la provocation aurait été suivie d’une
sédition, révolte ou guerre civile ».
On pourrait durcir les peines, les
accompagner d’interdiction du
territoire, mais l’ensemble de l’arsenal
légal est d’ores et déjà présent.
Un rappel à
droite comme à « gauche »
Il n’est donc pas nécessaire, et par
conséquence pas souhaitable, d’entrer
dans une spirale législative, sauf pour
préciser les conditions d’applications
de l’article 1 du Préambule de la
Constitution, Les déclarations des élus
des « Républicains » qui se sont lancés
dans une aveugle surenchère sur ce point
sont à dénoncer. Mais, nous ne devons
pas être naïfs et ignorer que les
principes fondateurs de la République et
de la Démocratie sont aujourd’hui
testés. Ils sont testés non pas tant par
une idéologie qui cherche à confondre la
cité de Dieu et la cité des hommes
(vulgo : les courants salafistes et
autres) que par une idéologie qui entend
fonder sur la religion un projet
politique séparé, aboutissant à terme à
la négation du principe républicains qui
veut que nul ne puisse être défini par
sa religion ou son orientation sexuelle.
De ce point de vue les avocats qui ont
cru défendre la « liberté individuelle »
ont été instrumentalisés dans un combat
où ils se sont fait les alliés de
personnes qui en réalité haïssent ces
libertés individuelles.
Cette question est révélatrice d’un
problème politique, et c’est
politiquement qu’il faut la traiter.
[1] Sapir J., « « Burkini », laïcité
et confusion (s) », 17/08/2016,
https://russeurope.hypotheses.org/5178
[2]
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/08/26/01016-20160826ARTFIG00207-le-conseil-d-etat-suspend-un-arrete-anti-burkini-a-villeneuve-loubet.php
[3]
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000508749
[4]
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/08/26/97001-20160826FILWWW00220-burkini-le-maire-de-sisco-maintient-son-arrete.php
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