RussEurope
François Hollande et le Brexit
Jacques Sapir

© Jacques
Sapir
Samedi 25 juin 2016
François Hollande a fait le vendredi 24
une déclaration consécutive au vote en
faveur de la sortie du Royaume-Uni de
l’Union européenne[1],
ce que l’on appelle le Brexit. Cette
déclaration est importante car elle
révèle, par ce qu’elle dit mais surtout
ce qu’elle ne dit pas, l’imaginaire de
la construction européenne de notre
Président et, au delà, de l’élite
politique.
Quand
l’émotion remplace la politique
François Hollande commence par
dramatiser l’événement, et le présente
comme une cause de souffrance avérée ou
potentielle. Il se situe donc sur le
terrain de l’émotion. On le constate dès
la seconde phrase : « C’est un choix
douloureux et je le regrette
profondément pour le Royaume-Uni et pour
l’Europe ». De même place-t-il la
question des relations entre la France
et la Grande-Bretagne sur le terrain de
l’amitié : « La France pour elle-même
et pour la Grande-Bretagne continuera à
travailler avec ce grand pays ami,
auquel l’Histoire et la géographie nous
unissent par tant de liens, sur le plan
économique, humain, culturel… ».
D’emblée la question de ce référendum
est ici dépolitisée. On est dans le
monde des affects et pas dans celui de
l’analyse, dans celui des sentiments et
non celui des intérêts politiques. Ceci
est révélateur de l’approche que
François Hollande à d’un tel événement.
Ceci lui permet d’esquiver la question
du « pourquoi » de ce dit événement, et
donc, par conséquence, les remises en
causes qu’il implique. Ou, plus
exactement, après avoir situé le débat
sur le plan émotionnel, de dénaturer le
nécessaire bilan de l’Union européenne.
A cet
égard, une phrase est marquante : « …
la décision britannique exige aussi de
prendre lucidement conscience des
insuffisances du fonctionnement de
l’Europe et de la perte de confiance des
peuples dans le projet qu’elle porte ».
Le début de cette phrase donne le
sentiment, voire l’illusion, que l’heure
du bilan est arrivée. La seconde
proposition de cette même phrase enterre
cela. En effet on parle des «insuffisances
du fonctionnement », ce qui implique
que le problème posé est uniquement de
mise en pratique (le
« fonctionnement »), mais surtout on
parle de « la perte de confiance des
peuples dans le projet qu’elle porte »,
ce qui revient à dire que l’on est sur
un problème de pédagogie et non
un problème d’options politiques. Or, un
projet peut être bien expliqué, bien mis
en pratique, et par ailleurs
critiquable. Dans l’imaginaire
profondément européiste de François
Hollande il ne peut s’agir d’une remise
en cause du projet. C’est pourtant de
cela même dont il est question avec le
Brexit. Les britanniques ne se sont pas
prononcés « contre » l’Europe, et les
déclarations de Boris Johnson sur ce
point l’attestent[2].
C’est bien une remise en cause du projet
fédéral qui est mené, en catimini, par
l’Union européenne à travers l’Union
Economique et Monétaire (vulgo : la zone
Euro) qui est mis en cause. Mais cela,
admettre que c’est cette partie
du projet qui a motivé une remise en
cause de l’Union européenne par les
britanniques[3],
c’est visiblement trop pour l’estomac, à
vrai dire bien délicat, de notre
Président.
Un
profond déni des réalités
Evidemment, cela se traduit dans la
réaction de François Hollande, dans ce
qu’il entend proposer à l’UE pour
répondre au Brexit. L’ordre des
priorités est, lui aussi, révélateur :
« La France sera donc à l’initiative
pour que l’Europe se concentre sur
l’essentiel : la sécurité et la défense
de notre continent pour protéger nos
frontières et pour préserver la paix
face aux menaces ; l’investissement pour
la croissance et pour l’emploi pour
mettre en œuvre des politiques
industrielles dans le domaine des
nouvelles technologies et de la
transition énergétique ; l’harmonisation
fiscale et sociale pour donner à nos
économies des règles et à nos
concitoyens des garanties ; enfin le
renforcement de la zone euro et de sa
gouvernance démocratique ». Notons
que, quand il est question de sécurité,
François Hollande ne parle que de
l’Europe alors que, concrètement, ce
sont les Etats qui ont en charge cette
sécurité. Il affecte de croire qu’il
existe une politique de sécurité
européenne alors qu’il n’y a, au mieux,
qu’une coordination entre les Etats. La
formule adéquate aurait du être que
l’Union européenne devait se recentrer
sur la coordination des politiques de
sécurité et de défense des Etats. Le
glissement auquel il se livre n’est pas
seulement faux ; il traduit la
constitution d’un monde imaginaire,
dominé par l’idée fédérale, dans
l’esprit de François Hollande.
Mais,
surtout, ces priorités ne correspondent
pas à celles qui ont été exprimées dans
le débat sur le Brexit et que l’on
retrouve dans divers sondages au sujet
de l’UE. Le problème central aujourd’hui
est celui de la démocratie en
Europe. D’ailleurs, l’argument le plus
fort des partisans du Brexit a bien été
celui du rétablissement de la
démocratie. Or, ce point arrive en
dernier (la « gouvernance
démocratique » ), venant juste après
la zone Euro. Cet ordre de présentation
est important. Pour François Hollande il
n’est pas question de toucher à l’Euro.
Au mieux faut-il le « renforcer », alors
que les conséquences politiques de la
mise en œuvre de la monnaie unique ont
été premières dans les réactions des
britanniques qui se sont sentis floués
par le « fédéralisme furtif » mis en
œuvre par l’UE.
François Hollande, en réalité, n’entend
pas remettre en cause la stratégie de
« fédéralisme furtif » menée par l’UE
depuis maintenant près de 20 ans. Or,
c’est très précisément cet aspect là du
projet politique de l’UE qui est mis en
cause, et sous des formes très diverses,
par le vote des britanniques mais aussi
par les différents soulèvements contre
l’austérité et contre cette idée de
retirer aux parlements nationaux le
droit final de contrôle sur la politique
économique et budgétaire. En fait,
François Hollande fait mine de prendre
conscience que quelque chose ne va pas
dans l’UE, mais c’est pour – en réalité
– proposer la poursuite et
l’approfondissement, du même projet
politique qui a été rejeté par les
électeurs britanniques.
Ce
déni des réalités et cette
radicalisation dans la posture fédérale
trahit une incapacité profonde à tirer
la leçon des différents événements et un
refus radical, on pourrait même dire
congénital, à procéder à la moindre
remise en cause. C’est un phénomène qui
s’apparente à une clôture psychologique
qui caractérise les grandes psychoses.
Elle annonce un approfondissement de la
rupture entre les peuples et les élites
européistes, une rupture qui pourrait
avoir des conséquences tragiques dans un
proche futur.

[1]
http://www.elysee.fr/declarations/article/declaration-a-la-suite-du-referendum-britannique/
[2] http://www.spiegel.de/international/europe/spiegel-interview-with-london-mayor-boris-johnson-a-1047789.html
[3] Voir, Boris Jonhson
sur l’Euro :
http://www.theguardian.com/politics/video/2012/dec/04/boris-johnson-euro-video
Le sommaire de Jacques Sapir
Le
dossier politique française
Les dernières mises à jour

|