RussEurope
Koalas, diplomatie et misère de l’anti-poutinisme
Jacques Sapir
Les
dirigeant des BRICS au G-20
Photo:
D.R.
Lundi 17 novembre 2014
Les
comptes-rendus dans la presse française
du G-20 qui s’est tenu en Australie ont
présenté un Vladimir Poutine soi-disant
isolé par la communauté internationale.
C’est un cas d’école de la manipulation
de l’information et de la
désinformation.
Qui isole qui ?
Ce n’est pas la « communauté
internationale » qui a cherché à isoler
Vladimir Poutine, mais les Etats-Unis et
les pays qui leurs sont liés comme la
Grande-Bretagne, l’Australie et la
France (et dans une moindre mesure
l’Allemagne). Alors, oui, les relations
de Vladimir Poutine avec les dirigeants
de ces pays ont été tendues. Mais, les
positions prises par la Russie, et par
Vladimir Poutine en particulier, sont en
réalité très populaires en Chine, en
Inde, en Afrique du Sud et au Brésil. Le
G-20 aura été l’occasion de marquer la
nette divergence entre les pays que l’on
appelle « émergents » et les autres.
Cette divergence a été voulue par les
pays de l’OTAN à ce sommet. Mais, elle
constitue un véritable danger à long
terme. Cette divergence construit en
réalité une nouvelle coupure du monde en
deux dont les conséquences dans la
capacité de régler les crises futures
risque d’être importante.
Le danger ici est que la politique
américaine, car c’est essentiellement
d’elle qu’il s’agit, est en train de
cristalliser une fracture entre les pays
émergents, qui tentent de s’organiser
autour de la Russie et de la Chine, et
les pays sous influence américaine.
C’est un jeu à la fois dangereux et
stupide car tout le monde sait bien que
les Etats-Unis, qui restent très
puissants, sont néanmoins une puissance
déclinante. Ce n’est pas ainsi qu’ils
gèreront leur déclin. Mais ils risquent
d’empêcher le monde de régler toute une
série de problème. Cette politique va
aboutir, peut-être, a retarder
l’inévitable. Elle ne saurait cependant
l’empêcher.
De plus, ce n’est évidemment pas
notre intérêt à nous Français, ni aux
Européens de manière générale. Nous
avons des problèmes communs à régler, en
particulier au Moyen-Orient et en
Afrique, que ces problèmes soient
militaires ou concernent le
développement de ces régions, ou encore
qu’ils concernent des problèmes de santé
comme l’épidémie du virus Ebola l’a
récemment mis en lumière. La nécessité
d’une coopération à grande échelle
s’impose. Il est à cet égard frappant
que le communiqué final de ce sommet du
G-20 fasse mention de la nécessité
« d’éradiquer le virus Ebola » mais ne
précise ni ne site le moindre moyen
financier alloué à cette tache. De même,
la question du terrorisme est plus que
jamais d’actualité. Les récentes
atrocités commises par ceux qui se
nomment « Etat Islamique » sont la pour
nous le rappeler, tout comme elles nous
rappelle le fait que ce terrorisme tue
tous les jours en Syrie, en Irak, voire
en Libye ou au Nigéria. Nous n’y prêtons
garde que quand un « occidental », un
« blanc » pour tout dire, en est
victime. L’indignation du Président
américain, et de notre Président,
François Hollande, apparaît alors comme
très hypocrite.
Une hystérie
anti-politique.
En fait, il y a une intense
coopération militaire avec la Russie au
Mali et au Niger. Il pourrait en être de
même au Moyen-Orient. C’est là que l’on
mesure l’imbécillité de l’opposition
systématique à Vladimir Poutine, et plus
encore sa « démonisation » dans la
presse. Henry Kissinger a expliqué à de
nombreuses reprises ces derniers mois
que « l’anti-Poutinisme » hystérique des
Etats-Unis et de la presse américaine,
ne constituait nullement une politique
mais était en réalité une réponse à
l’absence de politique. Il n’y a rien de
plus exact. Il le dit dans une interview
qu’il a donnée à l’hebdomadaire allemand
Der Spiegel le 13 novembre[1].
Le niveau de délire de la presse
américaine a été bien analysé par Robert
Parry, l’un des plus grands journalistes
indépendants des Etats-Unis[2].
Il est aujourd’hui tragique de voir que
ce discours, qui est une véritable
propagande de guerre, envahit les médias
en France et en Grande-Bretagne.
L’idée que la Russie voudraient
reconstituer de toutes ses forces l’URSS
défuntes est alors invoquée. Il faudrait
faire « barrage » à un tel projet, et
cela justifierait en réalité la violence
de l’opposition à Vladimir Poutine.
C’est une immense et considérable
erreur. Les dirigeants russes, et
Vladimir Poutine au premier chef, ont
tiré un trait sur l’ancienne URSS. Le
véritable enjeu pour les trente années
qui viennent, c’est l’alliance entre la
Chine et la Russie, et la question de
savoir si les pays que l’on nomme les
BRICS arriveront à constituer un front
cohérent face à la politique américaine.
Tout le reste n’est que (mauvaise)
littérature.
La question
ukrainienne.
De même, sur la question ukrainienne,
la Russie a toujours considéré que
l’adhésion de l’Ukraine à l’UE était un
problème ukrainien dans lequel elle
n’avait rien à dire. Par contre, et ceci
peut se comprendre, elle a affirmé à de
nombreuses reprises que si l’Ukraine
voulait entrer dans une zone de
libre-échange avec l’UE, elle ne
pourrait plus bénéficier des conditions
particulières de son commerce avec la
Russie. Le problème est que les
dirigeants ukrainiens ont voulu gagner
sur les deux tableaux. La Russie leur a
rappelé que cela n’était pas possible.
L’intégration économique des deux pays
était sur bonne voie quand ce sont
produits les événements de Maïdan.
L’erreur des dirigeants russes a été de
croire que cette réalité économique
pèserait suffisamment lourd dans le
contexte politique. Mais, ce dernier est
le lieu des émotions et il est sujet à
des processus de radicalisation qui ne
font pas appel aux réalités économiques.
De plus, le système politique ukrainiens
était affreusement corrompu, ce que les
dirigeants russes reconnaissent
eux-mêmes. En janvier 2014 à Moscou dans
des discussions avec des responsables du
Ministère des Affaires Etrangères de
Russie ces derniers m’ont dit être
effarés du niveau de corruption de leurs
homologues ukrainiens. Or, le mouvement
de la place Maïdan a commencé comme une
protestation contre la corruption du
système politique et économique
ukrainien, et cette protestation était
absolument légitime. Nul ne le conteste
dans les sphères officielles à Moscou.
Mais, en même temps, Moscou continuait
de négocier avec ces mêmes dirigeants
corrompus. Il y a là une contradiction
mais dont on voit mal comment elle
aurait pu être dépassée. Moscou a
probablement pâti du fait qu’elle était
engagée dans des négociations avec
Yanoukovitch. Mais, ce dernier étant le
Président légalement élu de l’Ukraine,
pouvait-il en être autrement ?
Honnêtement, je ne le crois pas.
La question de l’OTAN est un autre
problème. Il y avait un accord entre les
Etats-Unis et la Russie que l’OTAN ne
s’étendrait pas sur les anciens pays de
l’Est et de la CEI sans l’accord de la
Russie. Cet accord a été violé. Il en
est allé de même au Kosovo ou les pays
de l’OTAN ont couvert ce qu’ils
dénoncent aujourd’hui en Crimée et en
Ukraine. Les russes en tirent
naturellement les conséquences et ils
s’opposent à tout nouvel élargissement
de l’OTAN. Mais la vérité est que nous
payons au prix fort les inconséquences
qui ont été les nôtres, en tant que pays
dits « occidentaux », vis-à-vis de la
Russie. L’instrumentalisation politique
du droit international à laquelle se
livrent les Etats-Unis avec
l’assentiment de leurs vassaux est un
véritable problème car l’on comprend
bien qu’il ne peut y avoir de stabilité
et de paix dans le monde que sur la base
de règles respectées par tous.
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